Quatre cents ans. C’est le temps que met une balle de tennis à se décomposer. Dans l’objectif de redonner au sport qui lui a tant apporté, l’entrepreneur Pierre Langlois a lancé Recycle Balles Canada, une initiative qui permet de recycler jusqu’à 100 000 balles de tennis par année au Québec.

Pierre Langlois a pratiqué le tennis en tant que semi-professionnel pendant de nombreuses années. Le sport lui a même permis de rencontrer sa femme lors d’un tournoi en Europe. Ensemble, ils ont eu quatre enfants, tous des joueurs… de tennis, vous l’aurez deviné. Tissée serré, la famille a voyagé partout dans le monde, visitant les plus beaux terrains : Wimbledon, Indian Wells, Roland-Garros.

« C’est devenu comme un mode de vie », lance l’homme de 60 ans en entrevue avec La Presse.

M. Langlois, qui est aussi depuis 2002 le président de la firme Econoler, s’est beaucoup investi dans le développement du tennis à Québec au fil des années. « Le tennis m’a donné beaucoup, alors il faut redonner », dit-il.

Il y a huit ans, c’est lui qui a tout mis en place afin de créer le programme de tennis du Rouge et Or à l’Université Laval. Il souhaitait offrir aux étudiants ce que lui-même aurait tant rêvé d’avoir. Puis, il a voulu « engager des entraîneurs de qualité » pour les athlètes, explique-t-il. Mais pour y arriver, il lui fallait trouver une source de financement.

C’est là, à ce moment précis, qu’est née l’idée de recycler des balles de tennis, jetées par millions annuellement. Ultimement, le projet s’est avéré une « mauvaise idée pour le financement, mais une bonne idée pour le reste »…

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE LINKEDIN DE PIERRE LANGLOIS

L’entrepreneur Pierre Langlois

Tendev

Pierre Langlois a quitté l’Université Laval avant la pandémie, mais il a gardé son projet environnemental bien en vie. En fouillant un peu dans ses temps libres, il a découvert l’OBNL américain Recycle Balls, « qui ramasse les balles de tennis, en fait un recyclage et réussit à faire un business viable ».

Après de nombreux coups de fil et discussions, le Québécois a obtenu une licence d’opération canadienne de Recycle Balls. Le principe est simple : des boîtes de recyclage identifiées sont installées près des terrains, les joueurs n’ont qu’à y déposer leurs balles. Une boîte permet de recycler 200 balles.

Le programme canadien, mis sur pied avant la pandémie, est actif depuis environ un an. Pour le gérer, M. Langlois a créé l’OBNL Tendev – une fusion des mots tennis et développement – qui est géré par la famille Langlois, dont les quatre enfants.

Ils font toutefois face à deux problèmes : contrairement aux États-Unis, les clubs de tennis inscrits ne reçoivent pas de crédit d’impôt lorsqu’ils achètent une boîte. Et le coût d’une boîte est actuellement de 20 $.

Qui plus est, comme les frais de transport sont beaucoup plus élevés au Canada qu’au sud de la frontière, ce sont les clubs qui doivent venir chercher lesdites boîtes eux-mêmes, puis aller les reporter dans les centres prévus une fois qu’elles sont remplies. Il y a trois centres pour l’instant : à Montréal, à Québec et à Ottawa.

« Quand j’ai assez de boîtes, je fais une palette que j’envoie par transporteur à l’usine [de Burlington], fait savoir M. Langlois. Ça coûte beaucoup moins cher que de prendre chaque boîte individuelle et d’appeler Purolator comme si on envoyait une enveloppe. »

À l’usine, les balles sont transformées afin de séparer le feutre et le caoutchouc et de créer différents produits dérivés en « or vert », comme des courts de tennis ou des couvre-sol pour les arènes équestres.

« [La surface] est extrêmement durable parce que c’est du caoutchouc, donc c’est indestructible. »

Jusqu’ici, une trentaine de clubs de Québec, Montréal et Ottawa sont inscrits, sans compter un grand partenariat avec Tennis Canada, qui recycle toutes les balles de ses tournois. Dans les clubs, le nombre de boîtes varie. Par exemple, « le Club Avantage, à Québec, a 13 terrains et donne 50 boîtes pleines par année. C’est quand même 10 000 balles ».

Au total, plus de 100 000 balles ont été amassées dans la dernière année par Recycle Balles Canada. C’est déjà beaucoup, on en convient, mais ce pourrait être bien plus.

« Actuellement, on est bien en dessous de ce qu’on pourrait faire. Est-ce qu’on va ramasser 1,5 million de balles au Québec ? La réponse, c’est non. On n’y arrivera pas à 100 %. Est-ce qu’on pourrait faire 40 %, ramasser 500 000 balles par année ? Possible. »

Le grand défi

M. Langlois persiste et signe : les joueurs « sont extrêmement motivés de récupérer des balles, c’est dans l’esprit du temps ».

« Quand un club [habitué d’avoir] des boîtes n’a plus de boîtes, il se fait demander où elles sont. Parce que les gens, naturellement, ça les réconforte de savoir qu’ils ne pollueront pas avec leurs balles. Mais encore faut-il qu’il y ait des boîtes de disponibles. Il y a des clubs qui adhèrent et d’autres qui n’adhèrent pas encore. »

Notre gros défi, c’est que ça coûte quelque chose. Dès que ça coûte quelque chose, tu as toujours l’écart entre je veux protéger l’environnement, mais je ne veux pas payer.

Pierre Langlois, fondateur de Recycle Balles Canada

Les solutions, donc, sont peu nombreuses. La plus évidente : engager quelqu’un à temps partiel pour s’occuper de la logistique, appeler les clubs, aller porter les boîtes, etc. Pour ça, il faut de l’argent.

« Il n’y a pas de subvention du gouvernement du Québec qui me permet, à ce jour, de dire : je vais vous aider à couvrir les frais de collecte, qui sont les frais récurrents annuels. Si j’étais capable d’avoir 15 000 $ par année, je pourrais engager quelqu’un, un étudiant, chaque année. »

Dans tous les cas, M. Langlois n’en est encore qu’au point de départ de ce grand projet environnemental. Et « pour toute chose qui finit par être un grand succès, il faut avoir un point de départ », rappelle-t-il sagement.