Le 10 juillet 2001, Éric Lucas devenait champion du monde des super-moyens du WBC en battant Glenn Catley par K.-O. au Centre Molson. Deux décennies plus tard, entretiens avec les deux boxeurs sur ce moment historique du sport québécois.

On entend la voix, mais pas d’image. À l’autre bout de l’appel Zoom, Glenn Catley nous demande d’attendre pendant qu’il appelle les enfants à la rescousse. Quelques secondes plus tard, il apparaît. « Je ne suis pas très fort avec la techno », s’excuse-t-il, en leur demandant de fermer la porte en sortant.

La bouille du boxeur anglais n’a pas changé. On devine l’ajout – prévisible – de quelques kilos, mais pas de doute, c’est bien lui. De belle humeur, il semble enchanté de discuter de ce combat qu’il a pourtant terminé dans le mauvais rôle, étendu au tapis à une minute de la fin du septième round.

« Éric était prêt. Je suppose qu’il savait que c’était sa dernière chance de devenir champion du monde et il a tout donné. Sans l’ombre d’un doute, il était le meilleur ce soir-là », souligne Catley, aujourd’hui âgé de 49 ans.

C’est certain que oui, c’était le combat de la dernière chance pour moi. Je le voyais comme ça. Mais je ne me souviens pas, durant ma préparation, que j’avais ça en tête, par contre.

Éric Lucas

Le Québécois s’était déjà incliné à deux reprises en combat de championnat du monde, face à Fabrice Tiozzo et Roy Jones Jr. Et, également, contre ce même Catley, un an et demi plus tôt, en décembre 1999, dans un combat éliminatoire pour la ceinture WBC des super-moyens.

Avant leur premier duel, toutefois, le boxeur originaire de Sainte-Julie s’était fracturé la main droite à l’entraînement. Il avait dû passer un mois sans sparring ni musculation et s’était présenté au combat « flat », décrit-il. Dans le ring, Lucas n’avait pu utiliser sa droite à compter du troisième round. Il s’était finalement incliné par K.-O. technique à moins d’une minute de la fin du combat.

Au rendez-vous revanche, cependant, la droite du favori de la foule était en santé. Le boxeur de Sudbury, au Royaume-Uni, n’en doute pas un instant.

« Je me souviens qu’il m’a atteint solidement tôt dans le combat, au deuxième round, et j’étais parti. Ma vision périphérique n’était plus là », raconte Glenn Catley.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Glenn Catley reçoit une gauche d’Éric Lucas en plein visage lors du troisième round.

Ce n’est pas l’impression qu’on a en regardant le combat, mais l’Anglais affirme qu’il a été sur le pilote automatique pendant un bon moment après ce coup.

Puis, au sixième, Lucas lui a fait visiter le plancher à deux occasions.

Au round suivant, il s’y est retrouvé pour la troisième et dernière fois.

« Quand on a commencé le septième, on savait qu’on l’avait vraiment shaké, donc c’était de prendre notre temps, placer le bon coup, explique le Québécois. J’ai recommencé le round tranquillement, je ne me suis pas lancé dessus comme un fou, mais je lui ai mis de la pression pour finalement lui passer la main droite. »

« Il était un meilleur boxeur que lors de notre premier combat », constate Catley.

Du ressentiment

Les entrevues avec les deux opposants ont eu lieu séparément en raison de la barrière linguistique.

Celle avec Glenn Catley, en début de soirée chez lui, sans doute de retour de sa journée comme vendeur. Le week-end, de temps à autre, il agit également à titre d’hypnothérapeute et de psychothérapeute, essentiellement en performance sportive, des services qui l’ont beaucoup aidé au cours de sa carrière, indique-t-il.

Celle avec Éric Lucas, au contraire, a eu lieu pendant sa longue marche (très) matinale. Parfois, il passe à la course, mais sans pression.

« Quand je pars, je ne sais jamais si je vais courir ou marcher. Des fois, en marchant, j’ai le feeling que je me sentirais bien en courant. Un peu comme Forrest Gump ! »

L’ex-boxeur, qui vient de célébrer son 50anniversaire, se tient en forme, sans forcer, dans les bois de la région de Magog, où il réside, et dans son gym au sous-sol. Il se sent bien, physiquement et mentalement.

Catley aussi semble se porter plutôt bien. Mais, à l’évidence, la boxe lui a laissé des sentiments plus amers. Après sa victoire de 1999 contre Lucas, l’Anglais s’est emparé du titre WBC des super-moyens en battant l’Allemand Markus Beyer par K.-O. technique au dernier round. Le même sort qu’il avait fait subir à Lucas cinq mois plus tôt.

Puis, pour sa première défense, il s’est déplacé en Afrique du Sud afin d’affronter un autre pugiliste bien connu des Québécois : Dingaan Thobela. Il insiste longuement sur ce combat, qu’il n’a toujours pas digéré.

Par-dessus tout, Catley réitère que Thobela a triché en trafiquant ses bandages sous les gants. Il n’en démord pas, bien que le Sud-Africain l’ait toujours nié. Catley avait finalement été mis K.-O. au dernier round.

Lors de la présentation en différé sur RDS du combat Lucas-Catley II, Yvon Michel affirmait que l’Anglais avait gagné son protêt à ce sujet, raison pour laquelle il avait obtenu le combat contre Lucas. Le titre était devenu vacant entre-temps.

N’empêche, perdre sa ceinture de cette façon lui avait enlevé la passion de son sport, qu’il dit avoir continué à pratiquer pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de sa famille.

Donc, lorsqu’on lui rapporte les propos d’il y a 10 ans d’Yvon Michel, selon qui Catley était trop confiant à l’approche de son second face-à-face avec Lucas, il n’est pas d’accord.

Je n’étais pas le même boxeur la deuxième fois que nous nous sommes battus. Mais n’enlevez aucun mérite à Éric. Il était le meilleur ce jour-là, sans équivoque, et il était mieux préparé.

Glenn Catley

On pourrait croire, de l’extérieur, qu’il tente de diminuer la victoire de son adversaire, mais il apparaît on ne peut plus sincère. De toute façon, Lucas accueille d’abord ces commentaires avec ouverture.

« Je peux le croire. La boxe est un sport qui est dur, tu avances là-dedans, tu franchis des étapes. Lui s’est fait battre de cette façon-là, il a un doute. Et il s’est fait knocker solidement, c’est dur de se remettre d’un knock-out aussi. Peut-être qu’il était désabusé, ça se peut », réagit-il.

Mais il enchaîne en affirmant qu’avec le camp qu’il avait connu, en santé et au sommet de son art, l’état d’esprit de Glenn Catley n’a eu aucun effet dans le résultat.

« Tout était sur la coche, lance le Québécois. La préparation avait été bonne, la stratégie était bonne, physiquement j’étais bien, ma perte de poids s’était bien passée. Rien n’avait cloché. »

Puis, il ajoute ceci : « Le Éric Lucas de 2001 aurait battu le Glenn Catley de 1999 aussi facilement. Je pense qu’il n’y a pas grand monde qui aurait pu me battre ce soir-là. »

Pas facile à ébranler. Comme dans le ring.

Relisez notre texte d’il y a 10 ans sur la préparation de Lucas

Au-delà des attentes

Glenn Catley se dit tout de même reconnaissant de ce que la boxe lui a permis d’accomplir, en dépit d’un coffre à outils qu’il juge limité.

« Éric avait une meilleure technique que moi. J’étais plutôt fort physiquement, mais je n’étais pas le meilleur, pas le plus naturellement doué. J’ai travaillé dur », résume-t-il.

Ça nous fait penser à quelqu’un…

« C’est exactement ce que j’allais dire. Je dirais les mêmes choses de moi. Je n’avais pas le talent d’un Lucian ou d’un de la Hoya, mais j’étais un travaillant, rappelle Lucas. Moi non plus, je ne me considère pas comme un boxeur très talentueux. »

Après sa victoire contre Catley, il a défendu son titre avec succès trois fois, jusqu’à cette défaite controversée contre Markus Beyer, en Allemagne.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Lucas et Markus Beyer lors d’une conférence de presse en marge de leur combat, prévu le 7 septembre 2002

Son sentiment dominant lorsqu’il repense à cette soirée du 10 juillet 2001 ? La fierté.

Ça m’a pris 10 ans pour devenir champion du monde. Les boxeurs de talent le deviennent après trois, quatre ans. Les gars comme moi travaillent longtemps !

Éric Lucas

« J’étais très fier aussi pour Yvon. On travaillait ensemble depuis les amateurs. Et pour Stéphan, tout ce monde-là qui a cru en moi. C’était une sensation d’équipe. J’en suis encore très fier aujourd’hui. »

Yvon Michel, alors DG d’Interbox, était dans le coin avec le coach Stéphan Larouche, qui avait concocté la recette pour venir à bout de Catley. « Il avait fait ses devoirs », dit d’ailleurs ce dernier à propos du travail de Larouche.

En rétrospective, Éric Lucas s’étonne toujours du chemin qu’il a parcouru pendant sa carrière.

« Jamais de la vie, je pensais que je me rendrais là. Je vais toujours me souvenir qu’en début de carrière, j’avais dit : “Si je peux devenir champion canadien, je vais être content” », raconte-t-il.

En anglais, on dirait qu’il est le parfait exemple d’un overachiever.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

À la suite de sa victoire contre Glenn Catley, Éric Lucas devient champion du monde des super-moyens du WBC.

« Quand j’ai fait mes débuts avec Stéphane Ouellet, j’étais un partenaire d’entraînement. Je ne pense pas qu’on voyait grand-chose en moi. Je n’avais pas eu une carrière amateur exceptionnelle. J’étais juste un bon gars qui avait un bon cœur, qui travaillait fort et qui pouvait prendre un coup de poing. C’est à peu près ça que j’avais. »

La famille

Ce samedi, Éric Lucas et sa femme avaient prévu un souper en famille pour souligner l’anniversaire du combat, mais surtout la fin des études universitaires et secondaires de leurs deux filles qui n’ont pu célébrer selon les coutumes en raison de la pandémie.

On lui rappelle alors qu’il y a 10 ans, il nous avait confié avoir l’intention de se remémorer le combat en le regardant avec ses filles.

« Je pense qu’on va le réécouter, c’est une bonne idée ! Mais j’ai des filles, ça ne les intéresse pas beaucoup », dit-il en riant.

La famille va bien. Il est en santé, paisible dans les Cantons-de-l’Est, loin des projecteurs. Dans ses déplacements comme camionneur aux États-Unis, personne ne le reconnaît.

Éric Lucas semble parfaitement heureux où il est.

Mais il promet de se déplacer à Montréal si jamais Glenn Catley y fait un saut. Ce dernier nous a demandé de transmettre ses salutations à son ex-adversaire, tout en souhaitant le revoir un jour.

« Je me souviens d’un gars qui était très sympathique, indique Éric Lucas. S’il repassait à Montréal et qu’il voulait me rencontrer, j’irais, c’est sûr. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Lucas et Glenn Catley, lors de la tournée promotionnelle précédent leur combat du 10 juillet 2001