On aurait dit que le scénario était écrit comme ça. Lucian Bute a prononcé les mots après lesquels on ne revient pas. «C'est le moment de tourner la page. Aujourd'hui, ici, officiellement, je vous annonce que je prends ma retraite. C'est pour toujours. Si je vous dis: "C'est fini", c'est fini pour vrai.»

Pendant tout le temps qu'a duré son discours d'adieu, une dizaine de minutes, on entendait en trame de fond les gazouillis de ses enfants, Ema et Eric. Deux magnifiques bambins, pétants de santé, habillés chic pour l'occasion. Ema vient de célébrer ses deux ans, Eric ses trois mois. 

C'était leur manière d'approuver le choix de leur père de mettre fin à sa carrière de boxeur. Une carrière, on le sait, qui peut laisser des traces. La décision flottait dans l'air depuis longtemps déjà, mais Bute l'a prise, finalement, pour eux. Les plus beaux cadeaux que la vie lui a offerts, a-t-il lancé avec émotion.

«Une semaine après mon combat contre Eleider Álvarez [son dernier, le 24 février 2017], ma fille Ema est venue au monde. J'ai pris le temps de réfléchir, j'ai passé beaucoup de temps avec elle et avec ma femme. Quelques mois plus tard, je ne savais pas ce que je devais faire. J'avais des doutes. Puis je l'ai vue grandir, et j'ai dit non. Je n'ai plus rien à prouver. C'est mieux de rester en santé et de prendre soin de cette petite fille. Ensuite, mon deuxième est arrivé et c'était fini pour moi. Je n'avais plus de doute. Je savais que je n'allais pas monter sur le ring une dernière fois. Ça ne servait à rien de faire un autre combat.» 

Au moment d'annoncer sa retraite, Bute a fondu en larmes. Ç'a été le point d'exclamation d'une conférence de presse chargée d'émotion. Lucian Bute était entouré de ceux qui l'avaient mené là où il est aujourd'hui, le promoteur Yvon Michel et l'entraîneur Howard Grant d'un côté, l'homme d'affaires Jean Bédard et l'entraîneur Stéphan Larouche de l'autre. Des gens qui n'iraient pas nécessairement souper ensemble, mais qui sont la preuve que Lucian Bute, tout au long de sa carrière, a su rassembler. 

Bute a raconté ses débuts, son arrivée au Québec comme partenaire d'entraînement d'Éric Lucas avant son combat revanche (qui n'a jamais eu lieu) contre Markus Beyer. Stéphan Larouche résume l'événement: «Sincèrement, ça n'avait pas bien été pour Éric. J'ai dit: "Ne t'en fais pas, il vient d'arriver, on va frapper sur ses coudes quelques jours et il va se calmer." Après trois ou quatre jours, Éric m'a dit: "Ton gars, il ne ralentit pas vite." Éric a dit à Yvon: "Tu penses que tu veux un champion du monde? Je pense qu'il y en a un dans le gym." Personne n'avait brassé Éric comme ça avant.» 

Peu de temps après, le 25 octobre 2003, Bute signait un contrat avec InterBox. Le jour même du plus grand fiasco professionnel d'Yvon Michel, quand Leonard Dorin a craqué et refusé de défendre son titre contre Michel Callist devant les siens, en Roumanie. 

«Parfois, les choses semblent aller tellement mal, mais parfois il y a de bonnes choses qui peuvent en sortir, a dit Yvon Michel. Cette signature a permis à Lucian Bute de faire l'histoire. Il a amené la boxe au Québec à un niveau qu'on n'avait jamais vu.» 

L'histoire 

À jamais, Lucian Bute restera un grand nom de l'histoire de la boxe québécoise. Il y a eu 18 champions de boxe québécois. Seulement trois d'entre eux ont réussi plus de quatre défenses de leur titre: Gatti (sept), Stevenson et Bute (neuf chacun). 

Son règne avec le titre IBF des super-moyens a duré cinq ans, d'octobre 2007 à mai 2012. Il a commencé avec ce que Bute a décrit comme le plus beau moment de sa carrière, sa victoire par K.-O. technique contre Alejandro Berrio au Centre Bell. Et il s'est terminé inversement avec le pire moment de sa carrière, sa défaite cinglante contre Carl Froch en Grande-Bretagne. 

Un combat qui a laissé des traces. 

«Oui, on peut dire que ça a été le début de la fin, a reconnu Bute. Après cette défaite, je n'ai plus été comme avant. C'était une défaite dure, qui m'a fait mal. J'ai reçu des coups à la tête, ça m'a laissé hésitant pour mes combats suivants. J'ai travaillé avec des psychologues, j'ai continué à travailler en pensant que j'avais encore en moi de devenir champion du monde. J'ai tout donné, je n'ai pas de regrets, je suis allé au bout.» 

Il s'est ressayé à deux reprises, sans succès, contre James DeGale en novembre 2015, puis contre Badou Jack en avril 2016. C'est dans ces moments que Bute a compris qu'une carrière de boxeur voulait dire gagner beaucoup, mais perdre parfois aussi. 

En 14 années de carrière, Bute a vécu sa part de grands moments. Impossible d'oublier le Centre Bell plein à craquer, la province qui retient son souffle, pour son duel tant attendu contre Jean Pascal. Impossible aussi d'oublier sa courageuse deuxième performance contre Librado Andrade, un K.-O. au quatrième round, pour effacer tout doute sur l'issue controversée du premier duel. Vous vous souvenez sans doute: celui que Bute avait gagné par décision, même s'il avait été sonné dans les derniers moments du match. 

Bute, c'est ça. C'est un boxeur qui a su réunir les foules, qui a su faire l'unanimité. Qui était tellement populaire que les partisans ont refusé de croire qu'il s'était dopé en 2016 malgré un résultat positif. La Commission athlétique du District de Columbia a d'ailleurs retenu sa version des faits, soit que le dopage était involontaire et provenait d'un supplément contaminé à son insu. 

Bute, c'est aussi celui qui est arrivé au Québec et a décidé d'apprendre le français pour mieux s'intégrer. Il avait été piqué au vif d'être incapable de répondre aux questions des journalistes tôt dans sa carrière. Il s'est donc astreint à suivre des cours du soir à l'Université de Montréal, où il se rendait après ses entraînements quotidiens. 

C'est d'ailleurs au Québec qu'il vivra sa retraite sportive, avec sa femme et ses deux enfants. Pour l'avenir, il ne sait pas encore. Agent? Promoteur? Analyste de boxe? Il a tout le temps d'y penser. De toute façon, les portes s'ouvriront bien assez vite.

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Lucian Bute et ses enfants, Ema et Eric.

La carrière de Lucian Bute

Lucian Bute prend sa retraite, à 39 ans, avec une fiche en carrière de 32-5-0 (25 K.-O.). Ces cinq défaites sont survenues dans ses sept derniers combats. Il a d'abord perdu son titre IBF des super-moyens contre Carl Froch en mai 2012, un combat qui a laissé des traces. Il s'est aussi incliné devant Jean Pascal dans un des combats les plus attendus des dernières années. Il a aussi échoué contre James DeGale (novembre 2015) et Badou Jack (avril 2016) à redevenir champion du monde. Bute a été mis K.-O. par Eleider Alavarez à son dernier combat, le 24 février 2017. Il est devenu champion le 19 octobre 2007 en battant Alejandro Berrio. Il a ensuite défendu son titre neuf fois, un record québécois qu'il partage avec Adonis Stevenson. Il a vaincu: William Joppy, Librado Andrade (deux fois), Fulgencio Zuniga, Edison Miranda, Jesse Brinkley, Bran Magee, Jean-Paul Mendy et Glen Johnson. Bute a aussi été huit fois champion national de la Roumanie et médaillé de bronze aux Championnats du monde.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Lucian Bute contre Alejandro Berrio, le 19 octobre 2007.