Angelo Destounis n’en revient toujours pas. « C’est un rêve, c’est n’importe quoi », lance le Montréalais au cours d’un entretien virtuel avec La Presse. Difficile de mieux décrire la chose.

C’est que le club de soccer amateur qu’il a fondé à la fin des années 2000, les Ringleaders, vient de faire son entrée dans le jeu vidéo FC24. Cette franchise d’EA Sports, anciennement associée à la FIFA, constitue l’un des jeux les plus vendus et reconnus à travers le monde.

Ainsi, des joueurs de partout sur la planète, contrôlant les Jude Bellingham, Erling Haaland, Lionel Messi ou Kylian Mbappé de ce monde à l’écran, peuvent aujourd’hui faire porter à ces personnages virtuels le maillot floqué du flocon des Ringleaders.

Cette formation issue de la communauté créative du foot montréalais évolue dans des circuits récréatifs de la métropole. Elle se distingue par son caractère artistique, amical, ludique et surtout, dans le cas qui nous concerne, niché.

Du moins, assez niché pour qu’on ne s’attende pas à ce qu’elle se retrouve dans FC24.

PHOTOS TIRÉES DU JEU FC24, FOURNIE PAR LES RINGLEADERS

L’ensemble du thème des Ringleaders comprend le logo, les maillots primaire et secondaire, le stade, les bannières et l’écusson, le tout basé sur le design du club.

« C’est une sortie assez exclusive dont on est assez fiers en tant que club de soccer canadien et québécois », estime Yvan Delia-Lavictoire, stratégiste numérique et membre de longue date des Ringleaders.

Alors, comment en sont-ils arrivés là ? Pour trouver la réponse, il faut reculer dans le temps.

Destounis porte, entre autres casquettes, celle d’un entrepreneur mode pour qui le soccer a toujours fait partie de ses projets. Au fil des années, il s’est bâti des connexions au sein du grand petit monde des artistes du foot. Un photographe américain, aujourd’hui directeur artistique chez EA Sports – ceci explique cela –, a rapidement croisé sa route virtuelle.

« Quand on a commencé les Ringleaders, tous les petits créatifs du soccer se sont mis sur Instagram, raconte Destounis. [Le photographe], dans le temps, il prenait de belles photos de terrains de soccer magnifiques partout dans le monde. Il y avait une connexion là, on se connaissait grâce à l’art. »

Delia-Lavictoire a lui aussi passé du temps chez EA Sports dans les dernières années.

« À travers Yvan, à travers [le photographe], il y avait une relation » avec la compagnie vidéoludique, explique Destounis.

Avance rapide de quelques années.

« C’est juste arrivé pendant la COVID. [EA] a choisi une équipe à Paris. Et soudainement, je voyais les collaborations qui passaient. New York, Londres. Avec [Bartolomé Graziana, collaborateur aussi présent lors de cet entretien], on savait qu’à un moment donné, on allait être les prochains. C’était sûr. »

Le déclic s’est fait lorsque l’union d’EA avec la FIFA a été rompue. Premièrement, EA Sports s’est retrouvé avec « plus de pouvoir » créatif. Deuxièmement, pour les Ringleaders, il valait mieux de ne pas s’associer à la FIFA.

« Le nom de la FIFA est associé à un bagage », souligne Bartolomé Graziana, un Marseillais d’origine qui est passé par Montréal avant de faire son chemin vers Los Angeles, d’où il s’est connecté à la rencontre.

« Il y a des choses politiques derrière, continue-t-il. Alors que là, ils se sont recentrés sur le soccer et sa culture. »

« Ringleaders, c’est le héros »

Et ça se déploie comment, les Ringleaders sur FC24 ?

Les utilisateurs peuvent débloquer la trousse associée au club à travers le mode en ligne Ultimate Team, soit en dépensant des points accumulés dans le jeu, soit en effectuant une microtransaction.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DU JEU VIDÉO FC24

Boutique du jeu vidéo FC24

« Vivez la fusion entre la passion pour le football et la culture street de Montréal avec le Ringleaders FC », est-il notamment écrit dans la boutique du jeu.

Pour ceux qui se posent la question : oui, le flocon des Ringleaders existait bien avant celui du CF Montréal.

L’ensemble du thème comprend le logo, les maillots primaire et secondaire, le stade, les bannières (ou tifos, dans le jargon) et l’écusson, le tout basé sur le design du club.

Déjà présente depuis un mois sur la plateforme, cette trousse disparaîtra dans une dizaine de jours, sauf pour ceux qui se la seront procurée ; EA Sports sort de ces ensembles une ou deux fois par année.

Mais l’image de marque des Ringleaders redeviendra disponible en avril dans le mode Volta, qui remplace FIFA Street dans FC24. Le club prévoit d’ailleurs un évènement dans les rues de Montréal pour souligner cette sortie.

Volta, « c’est du 3 contre 3 dans la rue, que ce soit à Rio, à Venise, à Londres, explique Destounis. Ce qui est cool, c’est qu’en avril, on va avoir 16 objets. Bart a conçu un survêtement. Les lunettes de la campagne promotionnelle vont être disponibles. Un membre de notre équipe, Rocco Polito, a conçu les chaussures. »

On touche ici à un élément névralgique de toute cette initiative : la création artistique entourant cette collaboration a été entièrement réalisée par les membres et joueurs des Ringleaders.

« On est presque comme une agence, souligne Angelo Destounis. On n’a pas besoin d’aller faire un pitch à Sid Lee ou à Cossette. On le fait nous-mêmes. »

On a parlé des accessoires, mais c’est le cas également pour la musique dans la vidéo promotionnelle, réalisée par le club. Le portrait de l’une des joueuses de l’équipe a été modélisé pour en faire le visage de la campagne.

PHOTO TIRÉE DU JEU FC24, FOURNIE PAR LES RINGLEADERS

Le visage modélisé de l’une des joueuses des Ringleaders qui a servi à la campagne promotionnelle du club

« Au départ, EA est venu nous voir avec une liste de joueurs pour la bande-annonce, explique Bartolomé Graziana sous les reflets du soleil californien. “Pour votre campagne, vous pouvez utiliser Jude Bellingham, etc.” Il y avait une liste de joueurs du Bayern, de Manchester City. Avec Angelo, on s’est dit non, on veut que ce soit plus générique, qu’on ne reconnaisse pas les joueurs. Que Ringleaders, ce soit le héros. »

Pour la « romance du foot »

La vidéo, diffusée sur les réseaux sociaux de l’équipe, montre un joueur s’apprêtant à botter le ballon sur un coup franc, au ralenti, alors que de la neige tombe doucement sur le terrain. En voix surimposée, « un poème qu’[Angelo a] écrit il y a cinq ans », révèle-t-il.

Quand on vous disait que les Ringleaders se distinguaient par leur caractère artistique.

Mais sinon, pour le club, quel genre de retombées peut susciter une telle collaboration avec EA Sports ?

Chaque fois qu’un budget était débloqué [par EA], on le réinvestissait tout de suite dans ce qu’on veut faire pour la prochaine phase.

Bartolomé Graziana

Comme cette idée du tournoi à Montréal en avril. « On va se louer un petit terrain, il va y avoir du budget pour des télés extérieures », ajoute Destounis.

Les Ringleaders ne savent pas encore quel est le taux de succès de l’initiative pour EA. Une « conversation » à ce sujet aura lieu dans les prochains jours.

Ça ne semble pas trop les inquiéter.

Pour eux priment avant tout « la poésie, la romance du foot ».

Rectificatif
Une version antérieure de ce texte indiquait erronément que les Ringleaders évoluaient au Soccerplexe Catalogna dans la Quebec Soccer League. Le premier a fermé et le deuxième n’existe plus. Nos excuses.

Le « symbolisme » du jeu sur la neige

PHOTO FOURNIE PAR LES RINGLEADERS

L’édition 2023 de la Frostbite Cup a eu lieu à Ottawa.

Notre discussion avec les Ringleaders avait lieu quelques jours avant l’évènement-phare du club : la Frostbite Cup, disputée le week-end dernier et depuis la fondation de l’équipe. Il s’agit d’un tournoi de soccer amical, dont les éditions des dernières années ont vu les Ringleaders faire des déplacements à Ottawa, à Halifax et même en Islande.

« L’objectif est de faire une année ici, et une année à l’extérieur », explique Angelo Destounis.

En 2024, la Frostbite Cup s’est jouée à Sainte-Adèle. « Parce qu’il y a beaucoup de neige là-bas », comparativement à Montréal.

Oui, vous avez bien lu. Le but des Ringleaders avec ce tournoi, c’est de jouer non pas sur du gazon ou du synthétique, mais sur une surface enneigée.

« On est canadiens, on vient du Québec, on sait que c’est un pays plus hockey. Mais on aime tellement le soccer qu’on va jouer sur la neige. C’est le symbolisme derrière tout ça. »

Habituellement, les membres de l’équipe pigent dans un chapeau afin de former des équipes aléatoirement pour le tournoi. Mais exceptionnellement, une équipe de Toronto aux atomes crochus avec les Ringleaders, le FC Cold Sand, est venue affronter la formation montréalaise cette année.

Montréal contre Toronto ?

« Ouais, mais on reste amical, pas de tacle », souligne Destounis en souriant.