(Orlando, Floride) Vous savez sans doute, chers lecteurs, qu’il n’est jamais trop tard pour parfaire ses connaissances. Même sur un sujet que l’on pense maîtriser.

Ce voyage professionnel à Orlando pour couvrir le camp d’entraînement du CF Montréal coïncide avec notre lecture du livre Inverting the Pyramid, du prolifique auteur anglais Jonathan Wilson. Cette œuvre exhaustive, mise à jour après la Coupe du monde de 2022, raconte l’histoire des tactiques au soccer, de la fin des années 1800 à aujourd’hui.

Laurent Courtois, le nouvel entraîneur-chef du CFM, est assis devant nous dans le hall de l’hôtel du club en Floride. Le livre traîne juste à côté. On le lui remet, en lui demandant s’il le connaît. Négatif, dit-il, avant de prendre une photo du livre – et du journaliste qui le lui présente – avec son cellulaire.

Pourquoi vous raconte-t-on cette anecdote ? C’est que nous avons ensuite posé cette question à Courtois : quels entraîneurs, actuels ou anciens, vous inspirent le plus dans votre travail ?

Le Français de 45 ans aurait facilement pu répondre Pep Guardiola. Sir Alex Ferguson. Arsène Wenger. Mais non.

« Wilfried Nancy. »

Nous sommes un peu pris par surprise. Ah bon, tant que ça ?

« Wilfried Nancy, c’est la version du tacticien avec une gestion de l’homme que j’aime beaucoup », explique Courtois.

Du même souffle, il ajoute le nom de Chelis, ou José Luis Juan Sánchez Solá de son nom complet, qui l’a entraîné lorsqu’il était joueur pour le Chivas USA, un peu après ses débuts en MLS. L’excentrique Chelis n’a été à la barre du Chivas que pendant cinq mois, de décembre 2012 à mai 2013, et pour 13 matchs seulement. Malgré son court séjour en MLS, il a été reconnu pour avoir rapidement acquis la loyauté de ses hommes.

Il m’a montré la passion pour ses joueurs. Il était capable de les défendre contre tout le monde. C’était la première fois que je sentais un entraîneur si biaisé, qui préférait être du côté des joueurs que de tout le reste. C’était pour moi une expérience assez incroyable.

Laurent Courtois

De l’extérieur, il existe une perception que l’entraîneur-chef d’une équipe sportive doit garder une distance dans sa relation avec ses hommes. Tandis que les adjoints, toujours selon le cliché, peuvent se permettre d’être plus amicaux, plus près des athlètes.

Regardez une vidéo de Laurent Courtois s’amusant avec Josef Martínez

Si ces deux noms sont venus spontanément à la tête de Courtois, et avec ces justifications-là, les qualités énumérées doivent forcément le caractériser en tant qu’entraîneur aujourd’hui. Un peu plus tard dans l’après-midi, on interroge David Sauvry, son nouvel adjoint, à ce sujet.

« [Courtois] est très fort sur le côté management d’humain, confirme-t-il. Évidemment, il y a une distance, un équilibre à avoir. Il est le coach, il prend les décisions par rapport aux joueurs. Mais je trouve que pour l’instant, ce n’est pas un cœur de pierre qui ne montre pas ses émotions. Il est capable de prendre des décisions et de faire passer le message comment il le sent. »

PHOTO JEAN-FRANÇOIS TÉOTONIO, LA PRESSE

David Sauvry

Sauvry, 32 ans, ancien entraîneur adjoint du LA Galaxy II en MLS NEXT Pro, en est à sa première expérience au sein d’une équipe professionnelle sénior. Il estime que « c’est important pour un coach moderne de casser un peu la barrière » de l’entraîneur autoritaire.

« C’est intéressant, dit-il. Et nous, forcément, on doit faire ce relais-là aussi entre le coach et les joueurs s’il y a des messages à faire passer. Mais je ne dirais pas qu’il n’est pas en relation avec les joueurs. Par contre, il est juste. »

« Il m’a laissé totale liberté »

Et puisque Courtois nous parle lui-même de son admiration pour Nancy, restons sur le filon. Comment c’était de travailler avec lui à Columbus ?

L’ancien entraîneur du Crew II est brièvement déconcentré par le jappement constant d’un chien derrière. Mais il reprend rapidement ses esprits, contrairement au bruyant petit animal.

Il m’a laissé totale liberté. Il n’est jamais arrivé en disant : à partir de maintenant, il faudrait faire ceci, cela. Il m’a expliqué son style de jeu. J’étais content d’apprendre que 90 % des choses qu’on faisait se rapprochaient de ce qu’il faisait.

Laurent Courtois

À ta présentation en tant qu’entraîneur-chef, quand tu disais que tu te « fichais » de ce qui s’était passé à Montréal avec Wilfried, c’était vrai ?

« Oui, parce que la posture de Wilfried, c’était vraiment : comment Laurent peut s’éclater, et sur quels éléments doit-il faire attention pour cette première expérience en tant qu’entraîneur-chef chez les pros. […] À aucun moment il ne m’a parlé de son histoire. Et je le dis en totale transparence devant les médias. »

« On sera inarrêtables »

Courtois assure que la plupart du temps, ses discussions avec son prédécesseur ne tournaient pas autour du foot. Mais comme il le disait, les philosophies de jeu des deux hommes se ressemblent, à quelques exceptions près. Laurent Ciman, qui a été aux premières loges de tous les chamboulements tactiques des dernières saisons, nous le confirme.

« On essaie de retrouver les bases qu’on avait perdues la saison dernière » sous Hernán Losada, affirme le Belge.

« Il y a des similitudes avec Wilfried, ajoute l’ancien général aux remparts. Il y a des gestes qui ne sont pas les mêmes, mais je ne vais pas les dévoiler tout de suite. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Wilfried Nancy

Nancy a remporté la Coupe MLS avec le Crew, en 2023, en déployant un soccer offensif, attrayant, dont le beau jeu s’est construit de l’arrière au profit de passes courtes et vives.

« Ce sont les mêmes concepts de soccer, avec un petit ajustement », ajoute à son tour le latéral Raheem Edwards, ancien du LA Galaxy, qui a visiblement observé les séries de la MLS l’automne dernier.

« C’est excitant, souligne-t-il également. Je pense que ce sera rafraîchissant pour la ligue de nous voir jouer ce style de jeu. »

Mais nul n’est plus dithyrambique que Victor Wanyama, qui a retrouvé le plaisir de jouer en cette présaison, après son embrouille avec Losada en 2023. Tenez-vous bien.

« Il a sa propre philosophie », a souligné le vétéran lors de notre rencontre quelques jours après notre entretien avec Courtois. « Il commence à l’installer avec l’équipe. Ça va prendre du temps, évidemment. Avec Will [Nancy], ça nous a pris un an et demi. Une fois que tout le monde sera sur la même page, on sera inarrêtables. »

PHOTO JEAN-FRANÇOIS TÉOTONIO, LA PRESSE

Victor Wanyama

Tu le penses vraiment, Victor ?

« Quand on sera sur la même page, répète-t-il, on sera une puissance à ne pas négliger [a force to be reckoned with]. »

C’est gros, comme affirmation. Et ça témoigne de la confiance que ce joueur à la longue carrière voue à son nouveau personnel d’entraîneurs.

« Je leur demande beaucoup de patience dans leur acceptation des choses qui ne marchent pas encore », rappelle Laurent Courtois, avant de reprendre la formule que Wanyama allait utiliser plus tard dans la semaine. « On n’est pas encore tous sur la même page. Mais en même temps, il faut y aller. »

« Trop rose »

C’est qu’au moment de ces entrevues, le CF Montréal était à environ deux semaines de commencer la saison. C’était aussi avant la défaite de 6-2 subie dans le cadre d’une rencontre de 120 minutes face aux Rapids du Colorado, samedi après-midi.

« Pour l’instant, tout est un peu trop rose, convient Courtois. Tout le monde m’a fait un accueil extraordinaire, les joueurs sont réceptifs. »

Il veut s’assurer que son navire garde le cap lorsque les vagues viendront le faire basculer. Et la mer pourrait vite devenir houleuse, avec six matchs sur la route pour entamer la saison.

Quand l’échec arrive, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on commence à douter, déjouer, et ne plus faire ce qu’on a dit qu’on ferait ? C’est un petit peu ça, ma crainte. […] La vie de groupe va être primordiale.

Laurent Courtois

Son effectif en est encore à parfaire ses connaissances, donc. Contrairement à notre lecture d’Inverting the Pyramid qui n’avance malheureusement pas à un rythme soutenu ces temps-ci, le CF Montréal se retrouve dans un « contre-la-montre » d’ici au 24 février.

« Ce n’est pas la présaison qui va te faire gagner un championnat, illustre Laurent Courtois. Mais c’est la présaison qui va faire que tu ne le perdes pas. »