Penny Oleksiak est arrivée devant les photographes avec quatre médailles parfaitement alignées accrochées à son cou. Elle les a enlevées et déposées à ses pieds avant le début de la conférence de presse. À ses yeux, ce précieux métal ne va pas la transformer.

« Je ne pense pas que quoi que ce soit va vraiment changer », a assuré dimanche la nouvelle sensation de la natation. « Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre. Je vais juste retourner à la maison et vivre ma vie, j'imagine. »

À ses côtés, son entraîneur a probablement souri intérieurement. Ben Titley sait ce qui attend sa protégée. Avant d'arriver au Canada en 2012, il a mené des nageurs vers des médailles olympiques et des titres et records mondiaux en Grande-Bretagne, son pays d'origine, qui espérait ces succès depuis des décennies.

La situation d'Oleksiak est encore plus particulière. « On parle de gens qui étaient au début ou au milieu de la vingtaine par rapport à une fille qui avait 15 ans il y a un mois et demi », a souligné Titley, samedi soir, avant le début de la session finale à Rio.

Lui-même devra changer son approche. 

« À partir de maintenant, gérer les attentes et les autres distractions devient vraiment 50 % du coaching. Elle est arrivée à cette compétition sans attentes autres que celles qu'on s'était fixées, elle et moi. Maintenant, il y a 35 millions de personnes qui ont des attentes. C'est une pression différente à gérer. »

- L'entraîneur de Penny Oleksiak, Ben Titley

L'ASPECT MENTAL

Certains n'y sont pas parvenus. Grande vedette de l'équipe américaine avec quatre titres à Londres, Missy Franklin a sombré dans un presque anonymat à Rio, où elle a dû se contenter de l'or comme relayeuse en préliminaires.

L'histoire de Laure Manaudou se rapproche encore plus de celle d'Oleksiak. En 2004, elle était peu connue lorsqu'elle a remporté le 400 m style libre aux JO d'Athènes, une première médaille d'or olympique pour la natation française en plus d'un demi-siècle. D'un seul coup, elle est devenue une héroïne nationale.

« Moi, j'avais 17 ans, j'étais insouciante en fait », se rappelle Manaudou, consultante pour Canal+ à Rio. « À cet âge-là, on ne réfléchit pas, on fait notre course, on va à fond. À 24, 25 ans, on commence à réfléchir : est-ce que je me suis bien entraînée ? Pourquoi je suis ici ? Plein de choses auxquelles on ne réfléchit pas à 16 ans. Je crois que c'est grâce à ça en fait qu'elle a réussi à arriver à ce niveau-là. Parce qu'il y a les entraînements, mais il y a aussi l'insouciance de la jeunesse. »

Consacrée héroïne nationale instantanée, Manaudou a accumulé des succès pendant quelques années, jusqu'à ce qu'elle se perde peu avant les JO de Pékin. Ses histoires de coeur et changements d'entraîneurs ont fait les manchettes. Elle est devenue une star people. Après une première retraite, elle a fait un retour infructueux aux derniers JO de Londres.

« Le plus difficile, c'est de rester à un haut niveau, note-t-elle. C'est dur d'y arriver, mais c'est encore plus compliqué d'arriver à une compétition en ayant un titre de championne olympique. C'est très compliqué sur la psychologie, en fait. J'espère qu'elle sera bien entourée, parce que c'est important aussi. »

UNE SUITE HEUREUSE ?

« Très impressionnée » par Oleksiak, qui n'a pas encore atteint sa pleine maturité physique, Manaudou souhaite la voir durer longtemps. Pour y arriver, elle devra diversifier ses intérêts et poursuivre ses études, estime la Française.

« Moi, c'est vrai que j'ai arrêté tôt parce que je n'avais que la natation. Je ne pensais qu'à ça et je ne restais que dans ce monde-là. Il faut savoir partir un peu à côté pour pouvoir profiter justement de tout ce moment-là et se rendre compte de la chance qu'on a d'être ici. »

Pour Ben Titley, il n'y a « pas de limites » pour Oleksiak. Sa famille, son entourage et sa personnalité terre à terre en font une candidate parfaite pour s'inscrire dans la durée.

« Il y a un mois, je disais à qui voulait l'entendre que j'avais l'intention que Penny devienne l'olympienne canadienne la plus médaillée de l'histoire, souligne l'entraîneur. Je ne vois pas pourquoi elle n'y arriverait pas. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle ait quatre médailles autour du cou à ce moment-ci. »

À la fin de la conférence de presse, la principale intéressée s'amusait à allumer et éteindre le voyant rouge de son micro. Ces considérations ne l'ont visiblement pas encore atteinte. « Je dois juste continuer à aimer ce que je fais, a dit Oleksiak. J'aime la natation. Je veux continuer à en faire aussi longtemps que j'aime ça, et j'espère continuer de progresser. »