Le taekwondo est un art martial millénaire issu de Corée. Difficile de croire que l'une des meilleures écoles de la planète se trouve aujourd'hui au fin fond d'une rue boisée de Sainte-Foy. Et qu'elle s'apprête à envoyer trois athlètes à Londres. La Presse a visité ce centre d'entraînement mené de main de maître par celui que ses élèves appellent «monsieur Bernier».

L'école au bout de la rue du Joli Bois à Sainte-Foy a des airs vaguement défraîchis. Le blanc des murs extérieurs aurait besoin d'un coup de pinceau. L'intérieur ressemble à n'importe quelle polyvalente du Québec: des photos aux murs, l'odeur du désinfectant... Il faut emprunter un couloir bordé de portes pour aboutir au gymnase.

Seul dans le local, un homme est en train d'assembler un énorme tatami sur le sol verni. «C'est long. Il faut faire ça trois fois par semaine: mettre le tapis, enlever le tapis. Ça a l'air de rien, mais il faut couvrir tout le plancher. Ça me prend plus d'une heure chaque fois!», souffle le col bleu.

Il est 16 h. Les élèves de «monsieur Bernier» ne vont pas tarder à arriver. Le gymnase de l'école Saint-François deviendra dans quelques minutes le Club de taekwondo de Sainte-Foy. Un nom qui ne dira rien aux néophytes, mais qui résonne de plus en plus dans le petit monde du taekwondo canadien.

Avec trois représentants à Londres cet été, le Canada s'apprête à envoyer sa plus grande délégation en taekwondo. Pour comprendre la raison de ce succès, il faut passer par le Club de taekwondo de Sainte-Foy. Karine Sergerie, Sébastien Michaud et François Coulombe-Fortier s'entraînent tous ici. Les deux garçons ont même été formés de A à Z entre ces quatre murs.

Ces trois «joueurs» de taekwondo (comme on appelle les pratiquants de ce sport) ne sont pas simplement qualifiés. Ils ont tous une chance de médaille. Sergerie l'a démontré il y a quatre ans en décrochant l'argent en Chine. Mais Michaud et Coulombe-Fortier ne sont pas en reste; les deux sont classés parmi les meilleurs de leur catégorie.

«C'est sûr qu'on est des gens à considérer, estime l'homme derrière ce succès, l'entraîneur Alain Bernier. Ces athlètes-là sont chacun dans le top 5 mondial. Si tout se passe bien, si le tirage va bien, si tu ne tombes pas contre le gars, la fille qui est à son pic, qui a un style difficile... Si tout ça va bien, tout peut arriver!»

L'argent remporté par Karine Sergerie était la deuxième médaille canadienne en taekwondo. La première remonte à Sydney, où le sport était présenté pour la toute première fois aux Jeux. La Manitobaine Dominique Bosshart avait alors remporté le bronze. L'équipe canadienne - québécoise, devrait-on dire - a donc plusieurs premières à sa portée à Londres. Une médaille masculine, une médaille d'or, une première double médaillée si Sergerie monte sur le podium... Mais Alain Bernier n'ose pas faire de prédiction. Avoir réussi à qualifier trois athlètes est déjà toute une victoire, fait-il valoir.

«Déjà d'être là, c'est quelque chose», lance-t-il, alors que ses premiers élèves font leur entrée dans le gymnase.

«On ne peut pas avoir plus de quatre représentants par pays. La Corée, l'Iran, le Mexique, qui sont des puissances, en ont quatre. Mais il y a de très bons pays qui n'en ont que deux. Je pense à la France par exemple, qui a un excellent programme national à l'INSEP et qui a deux qualifiés. L'Argentine en a un ou deux, le Brésil et l'Italie aussi. Et à notre club seulement, on en a trois! On est fiers.»

Ce serait la première fois dans le monde qu'un club local de taekwondo parvienne à qualifier trois athlètes pour les Jeux. La discipline est très compétitive. «Il n'y aura pas de jambon à Londres», fait valoir l'entraîneur de 50 ans.

»Il m'a permis d'aimer encore plus mon sport»

Comment expliquer ce succès? Par les efforts d'un entraîneur inspirant et déterminé? L'éducateur physique de formation, enseignant de taekwondo depuis 26 ans, n'y croit pas. «J'ai la chance d'avoir beaucoup de jeunes talentueux, de gens motivés qui sont prêts à s'investir sérieusement», dit-il.

Mais la chance n'explique pas tout. Ce n'est pas la chance qui a convaincu Karine Sergerie, alors la meilleure de sa discipline au pays, de quitter la région montréalaise et son entraîneur d'alors pour s'installer dans la capitale nationale.

«Juste avant les Jeux de Pékin, je suis passée au club. J'ai été frappée de voir comment les athlètes avaient des buts communs, comment ils travaillaient fort, raconte Sergerie. J'aimais beaucoup la relation entre monsieur Bernier et les athlètes et je me suis dit que je ne pouvais pas arrêter le taekwondo avant d'avoir vécu quelque chose comme ça.»

«Les entraîneurs d'arts martiaux dans les films sont souvent intenses, presque fous. Ils gueulent, ils ont l'écume à la bouche et c'est quasiment l'armée. M. Bernier, c'est une personne intense, compétente et ses entraînements sont très difficiles, explique Sergerie. Mais c'est une personne calme, capable de blaguer avec nous quand c'est le temps et il respecte beaucoup ses athlètes. Il m'a fait aimer mon sport encore plus.

«Je vais me souvenir de mes performances quand j'aurai cessé la compétition. Mais je vais vraiment me souvenir des moments où on est allés souper après les compés et des conversations qu'on a eues. C'est quasiment comme un autre parent.»

Lorsqu'on lui soumet ces faits, monsieur Bernier - «on l'appelle tous monsieur Bernier et on le vouvoie», dixit Sergerie - concède qu'il n'est peut-être pas un mauvais coach. «Je dois avoir une petite part là-dedans», dit-il.

Il est maintenant passé 16 h et la salle est pleine de jeunes en dobok. La relève. Alain Bernier voit au-delà des Jeux de Londres. Il aimerait une salle permanente pour l'enseignement du taekwondo à Québec. Il souhaite que la Ville l'aide à trouver et à payer un local. Le gymnase de l'école Saint-François, avec son tatami à remonter et démonter trois fois par semaine, a fait son temps.

«Je pense que c'est maintenant l'étape à franchir pour nous. On espère qu'avec les résultats qu'on a, on va convaincre la Ville de Québec d'investir pour donner aux athlètes des conditions pour encore mieux faire, dit-il. Juste une petite claque dans le dos. Une question de respect. En nous disant vous le méritez, on va vous donner de bonnes conditions.»

En attendant, la petite équipe de la rue du Joli Bois de Sainte-Foy va se rendre à Londres. Alain Bernier rêve bien sûr de médailles pour ses athlètes. Lui-même n'en recevra pas. Sa récompense ne sera ni d'or ni d'argent ni de bronze. Elle viendra au moment où il verra ses trois protégés marcher sur le tatami au ExCeL Center de Londres et se mesurer aux meilleurs de la planète.

«Ces jeunes-là, je les ai tous vus petits. Ils arrivent ici enfants, et ils ont tous un rêve et ils espèrent le réaliser, raconte-t-il. Comme coach, tu aimerais ça qu'ils y arrivent tous, mais ce n'est pas vrai, c'est impossible que tout le monde y arrive. Mais d'en avoir trois dans ton groupe qui se rendent aux Jeux... C'est le fun.»

Photo : Érick Labbé, Le Soleil

François Coulombe-Fortier, 27 ans, 4e au monde chez les 87 kg : «Je suis confiant à l'approche des Jeux. Je sais que j'ai ma place parmi les 16. Je vise une médaille, d'or préférablement. Mais je me contenterais d'une médaille d'argent...»

Photo : Érick Labbé, Le Soleil

Sébastien Michaud, 25 ans, 6e au monde chez les 80 kg : «C'est sûr que je veux une médaille. Dans notre sport, c'est très serré et on n'est que 16, alors tout peut arriver. Il y a des gens que régulièrement je bats, mais ça peut arriver qu'ils me battent. Une frappe peut faire trois points de différence.»