«En 22 ans dans le sport, je suis à mon meilleur état mental et physique. » Venant de Clara Hughes, l'olympienne canadienne la plus médaillée de l'histoire, la phrase fait son effet. La cycliste de 39 ans se sent d'attaque pour les championnats canadiens de Lac-Mégantic... et les Jeux olympiques de Londres.

Il y a des avantages à être la seule athlète de l'histoire à être montée sur le podium plus d'une fois autant aux Jeux olympiques d'été que d'hiver. Comme celui de faire déplacer les représentants des médias près de chez elle, aux confins de l'Estrie, un dimanche de la fête des Pères. «Oh, je n'avais pas réalisé que c'était la fête des Pères!» s'est exclamée Clara Hughes, plus amusée que désolée, entre deux entrevues dimanche dernier.

Très discrète depuis le début de la saison, la cycliste de 39 ans disposait d'une fenêtre de deux heures dans le cadre de son stage de préparation final avant les championnats canadiens sur route de Lac-Mégantic, qui s'ouvrent aujourd'hui avec le contre-la-montre. Hughes y défendra son titre acquis l'an dernier à Burlington. Quelques heures plus tard, Canada Cyclisme annoncera l'identité des trois coureuses qui composeront l'équipe aux JO de Londres, dont elle fera assurément partie.

Après quelques semaines en Utah, où elle possède une maison perchée à 2200 mètres d'altitude, Hughes devait normalement revenir s'entraîner à Montréal, où travaille son entraîneur Chris Rozdilsky. Mais la native de Winnipeg ne pouvait se résoudre à se limiter au circuit Gilles-Villeneuve de l'île Notre-Dame et au mont Royal, où le duo effectue habituellement ses tests. Ce fut donc direction Glen Sutton, l'endroit que Hughes appelle la maison depuis qu'elle s'y est installée avec son mari Peter, en septembre 2000.

«Je connais chaque route dans la région, chaque sentier, chaque espèce d'oiseaux. C'est vraiment l'endroit où je me sens dans mon environnement, où je me sens le plus calme», dit-elle.

Nul besoin pour Hughes de vanter la beauté de la région. Assise sur la terrasse du chalet d'accueil du camping Au Diable Vert, accroché au massif de Sutton, elle n'a qu'à se retourner pour admirer la vallée de la rivière Missisquoi et les montagnes vertes du Vermont. Pas très loin, le sommet de Jay Peak, passage obligé de plusieurs de ses sorties. L'interview a été égayée par les meuglements discrets des vaches écossaises à longues cornes Highland Cattle qui broutaient sur les pentes escarpées du bois en contrebas.

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Portant un chemisier blanc et un pantalon saumon, Hughes était resplendissante. Manifestement, elle a perdu du poids au cours des derniers mois. La grande rouquine ressemble de moins en moins à la patineuse de vitesse qu'elle a été pendant 10 ans et de plus en plus à la cycliste qu'elle s'acharne à redevenir depuis son retour à l'automne 2010. «C'est un sport de poids versus puissance et mes deux courses à Londres impliquentdes côtes... Je m'y concentre, de façon saine, mais je veux m'assurer d'être le plus lean and mean possible!»

L'an dernier, à ses premiers Mondiaux depuis 1999, Hughes a fini cinquième du contre-la-montre, une place derrière sa compatriote Tara Whitten. Après huit ans loin de son vélo, n'importe qui se serait satisfait d'un tel résultat. Pas Hughes. Ce n'est pas tant le résultat que la façon dont elle s'est sentie qui l'a ébranlée. Elle était épuisée. Physiquement et psychologiquement. «J'étais au bout de ma corde, résume-t-elle. Je dépensais tellement d'énergie à planifier et à tout préparer.»

Ce moment «pivot» l'a convaincue de faire les choses différemment. Elle s'est jointe à l'équipe professionnelle Specialized-Lululemon (ex-HTC-Highroad), ce qui lui donne accès à des courses plus relevées en Europe et lui fournit un encadrement optimal. Elle s'est aussi délestée de toute la gestion et de la planification grâce à l'aide de B2Dix et de son dirigeant Dominick Gauthier.

«Sans exagérer, ils m'ont donné accès à tout ce dont j'avais besoin comme je ne l'avais jamais vécu en tant qu'athlète, incluant mes 10 ans en patinage de vitesse», a dit Hughes, qui revenait d'ailleurs d'une sortie en compagnie de Jennifer Heil, la championne olympique de bosses à l'origine de cette structure d'entraînement privée.

Cette tranquillité d'esprit lui a permis d'aligner quelques prestations prometteuses contre la montre, dont une victoire au Chrono Gatineau, il y a un mois.

Deux jours plus tard, elle s'est fait une petite peur en chutant lors de la course sur route à la suite d'une fausse manoeuvre de sa compatriote Rhae Shaw. Hughes n'a pas ménagé celle qui est en lutte avec elle pour un poste à Londres. «Je suis encore fâchée», a-t-elle dit, condamnant ce qu'elle considère comme le pilotage téméraire de l'ancienne triathlonienne. «Je me blâme encore pour ne pas avoir laissé un plus grand écart entre nous. J'aurais dû savoir qu'elle allait tomber.»

Cela promet pour l'esprit d'équipe à Londres si, comme tout semble l'indiquer, Shaw fait partie de la sélection olympique (Whitten aurait signifié son intention de se concentrer sur la piste depuis déjà quelque temps).

Une semaine après cette chute à Gatineau, Hughes n'a eu besoin de l'aide de personne pour toucher le bitume lors de l'échauffement en vue du prologue du Exergy Tour, en Idaho. L'incident ne l'a pas empêchée de prendre le départ, mais elle a néanmoins souffert de douloureux maux de dos dans les jours qui ont suivi. «Je suis pas mal à l'abri des balles!»

Aujourd'hui, elle irradie. Surnommée la «Red Rocket» par ses équipières quand elle porte sa combinaison rouge de championne nationale du contre-la-montre, elle ne cache pas ses intentions de défendre son titre à Lac-Mégantic. Suivront le Giro d'Italie féminin, un stage en altitude à l'ombre du Stelvio et le début d'une course par étapes en Allemagne.

Puis Londres, où Hughes visera un septième podium olympique, ce qui lui permettrait de devancer son ancienne coéquipière, la patineuse Cindy Klassen, un «titre» qui la laisse indifférente. «Je me soucie davantage de démontrer mon potentiel que de gagner une médaille.»