Pendant longtemps, les Jeux olympiques ont décerné, en plus des médailles pour les compétitions sportives, des médailles d’art (si vous ne saviez pas ça, d’autres surprises vous attendent dans cet article). Le summum a été atteint à Paris, il y aura 100 ans à l’été.

Un sculpteur grec, Costas Dimitriadis, a gagné la médaille d’or pour son Discobole finlandais aux Jeux de Paris en 1924. Son nu, arqué, un plâtre de 7 mètres de haut, a été exposé pendant des semaines au Grand Palais. « Discobole » est le mot dérivé du grec qui veut dire lanceur de disque.

En 1926, devant « une foule de femmes en tenue d’été et d’hommes portant chapeaux de paille », comme le rapportait le New York Times, une fonte en bronze de la statue primée a été installée devant le Metropolitan Museum of Art, dans Central Park.

« Un symbole de la perfection humaine », a dit un responsable du musée ce jour-là.

La statue n’est pas restée là longtemps. Comme les Jeux olympiques d’art, elle a fait un long voyage… menant à l’oubli.

PHOTO COLLECTION KATIA IAKOVIDOU ET YIANNIS ANAGNOSTOU, FOURNIE PAR THE NEW YORK TIMES

Deux ans après avoir valu une médaille d’or à son auteur, une fonte en bronze a été inaugurée à New York en 1926. Une feuille de vigne avait été ajoutée pour adapter l’œuvre aux mœurs américaines de 1926.

Le « pentathlon des muses »

À partir des Jeux de Stockholm en 1912, les Jeux olympiques ont tenu des concours de peinture, de sculpture, d’architecture, de musique et de littérature, « destinés désormais à faire partie de chaque olympiade au même titre que les concours athlétiques », avait écrit en 1910 Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux modernes. C’était le « pentathlon des muses », disait-il.

Des milliers d’artistes y ont participé. Plus de 150 médailles olympiques en arts ont été décernées, les mêmes que celles des athlètes. Lors des Jeux de 1932 à Los Angeles, 400 000 personnes ont visité l’exposition.

Au retour des Jeux à Paris, l’été prochain, des milliers de médailles d’or (vermeil, comme on les appelait alors), d’argent et de bronze seront décernées – toutes pour les disciplines sportives, aucune pour les arts. « L’esprit de Pierre de Coubertin n’a pas survécu », dit en soupirant Nikoleta Tzani, historienne de l’art grecque.

Certaines œuvres ont survécu, éparpillées ça et là dans des musées, des parcs ou des collections privées. Mais la plupart sont perdues, le temps et l’indifférence ayant fait leur œuvre.

À Lausanne, en Suisse, siège du Comité international olympique, le Musée olympique comprend une voûte sécurisée au sous-sol, où sont conservés équipements sportifs, uniformes, médailles, documents, flambeaux, trophées et œuvres d’art par milliers.

Mais les seules peintures médaillées d’or de cette collection cachée sont deux tableaux d’un triptyque qui a valu au Luxembourgeois Jean Jacoby – un illustrateur de journaux – la première place en 1924. L’un représente le soccer, l’autre le rugby. Où se trouve la troisième peinture, qui montre le départ d’une course à pied ? Mystère…

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE OLYMPIQUE DE LAUSANNE

Étude de sport de Jean Jacoby : Corner, à gauche, et Rugby, à droite, médaille d’or en peinture des Jeux de 1924

Au rez-de-chaussée et à l’étage, on apprend tout sur le baron de Coubertin et de nombreux artefacts olympiques.

Mais pas un mot sur ces compétitions artistiques.

Dehors, le jardin à flanc de colline est un musée à ciel ouvert. Un visiteur attentif y remarquerait une sculpture en particulier : une copie du Discobole, le lanceur de disque de Costas Dimitriadis, coulée à la fin du XXe siècle. « L’original a remporté le premier prix de sculpture du concours d’art organisé lors des Jeux olympiques de Paris en 1924 », peut-on lire sur une affichette, une phrase qui amène plus de questions que de réponses.

PHOTO TIRÉE DU RAPPORT OFFICIEL DES JEUX DE LA SEPTIÈME OLYMPIADE PARIS 1924

Une rare photo d’époque du lanceur de disque de Costas Dimitriadis, médaillé d’or olympique en sculpture. Sa posture est inspirée de l’épreuve du lancer du disque antique grec, qui coexista avec le lancer du disque moderne jusqu’en 1908.

Patricia Reymond est responsable des « collections, objets et artefacts » du Musée olympique. Le mois dernier, dans le silence de la voûte, au sous-sol, elle évoquait toutes ces œuvres d’art olympiques disparues.

De Paris à Randall’s Island

« Bien sûr, nous aimerions avoir des œuvres des artistes médaillés », dit-elle, devant une des peintures de Jacoby. « Mais c’est difficile. »

Il existe des listes d’artistes et d’œuvres pour chaque olympiade, mais les descriptions sont absentes ou vagues. Des artistes ont parfois créé plusieurs œuvres aux titres similaires, ce qui complique les recherches. Il y a peu de photos, toutes en noir et blanc.

Au Musée olympique, on scrute les ventes aux enchères et en ligne. La langue est un obstacle. Toutes les pièces ne sont pas annoncées comme étant liées aux Jeux olympiques.

Le cas du Discobole est un excellent exemple. Ery Kehaya, un immigré grec ayant fait fortune dans le tabac aux États-Unis, a commandé une version en bronze pour New York.

En 1936, 10 ans après son dévoilement au Metropolitan Museum, elle a été relocalisée à Randall’s Island, à New York, devant un nouveau stade (où le coureur Jesse Owens allait se qualifier pour les Jeux olympiques de Berlin).

PHOTO VICTOR J. BLUE, THE NEW YORK TIMES

La signature de l’artiste grec Costas Dimitriadis, à la base du bronze qu’il a coulé à partir de la statue de plâtre médaillée d’or en sculpture aux Jeux de Paris de 1924. Cette fonte se trouve à Randall’s Island, à New York.

L’emplacement sportif avait du sens, mais la plupart des New-Yorkais ne s’y arrêtent jamais. L’île d’à peine 2 km⁠2 et presque inhabitée supporte le pont Robert F. Kennedy, où passent les automobilistes circulant entre Manhattan, Queens et le Bronx. En contrebas se trouvent des parcs et des installations sportives entretenus par la Randall’s Island Park Alliance.

Le logo de l’Alliance est le lanceur de disque, qui s’apprête à le projeter à deux mains. On dirait un nudiste musclé qui se penche en arrière pour tendre un pain à quelqu’un derrière lui. « Les gens ne savent pas ce qu’il représente », reconnaît Deborah Maher, présidente de l’Alliance.

La statue n’avait pas bien vieilli. Usée, altérée et amputée d’un bras par des vandales qui ont volé le disque aussi, elle avait été enlevée en 1970 et entreposée.

Mais le lanceur de disque a été redécouvert, restauré et remis en place en 1999.

L’ancien stade étant voué à la démolition, il a été placé sur un îlot séparateur au pied de la bretelle menant à Manhattan. La statue est restée là jusqu’à l’automne dernier, quand Mme Maher s’est inquiétée de travaux routiers. L’Alliance l’a enlevée de là et le 16 avril, le lanceur de disque a été dévoilé, une fois de plus, devant le stade Icahn de 5000 places, qui a ouvert ses portes en 2005 sur le site de l’ancien stade Downing, bien plus grand.

La statue est la pièce maîtresse d’une nouvelle place de 1,6 million de dollars. Elle se dresse au centre d’un parterre de fleurs surélevé, et est éclairée sur quatre côtés.

« Nous voulions la mettre en valeur », a déclaré Mme Maher.

Son inauguration en 2024 – année olympique, 100anniversaire de sa médaille d’or en sculpture et 100anniversaire des Jeux de Paris de 1924 – est une heureuse coïncidence.

Son installation dans un parterre fleuri devant un petit stade à Randall’s Island n’est peut-être pas une grande gloire olympique. Mais c’est un sort plus heureux que celui des autres œuvres artistiques olympiques, pour la plupart oubliées depuis longtemps.

Cet article a été publié dans le New York Times.

Lisez cet article dans sa version originale (en anglais ; abonnement requis).

Pour en savoir plus

La posture du Discobole finlandais de Dimitriadis ne correspond à aucune des phases du lancement du disque de la discipline olympique moderne, note l’historienne de l’art Nikoleta Tzani, dans sa thèse de doctorat sur l’artiste Costas Dimitriadis. Le sculpteur s’est probablement inspiré de la technique – plus statique – de l’épreuve du lancer du disque antique grec, qui coexista brièvement (Jeux de 1906 et de 1908) avec le lancer du disque moderne.

Pourquoi l’œuvre s’intitule-t-elle le Discobole finlandais ? « Dimitriadis utilisa comme modèle le discobole (lanceur de disque) finlandais Armas Rudolf Taipale », explique Mme Tzani. Taipale fut médaillé d’or aux Jeux de 1912 à Stockholm et d’argent aux Jeux de 1920 à Anvers, puis 12e à Paris en 1924.

Au sujet de la posture de la statue, Mme Tzani ajoute que « Dimitriadis avait comme point de référence la façon antique de lancer le disque qui nous est connue surtout par des indications indirectes, représentations sur des statuettes, vases et monnaies antiques ». Il y avait un peu de patriotisme dans ce choix : le Comité olympique grec, dès le Congrès olympique de Paris en 1894, avait prôné le retour du lancer du disque antique grec, note Mme Tzani.

La sculpture médaillée d’or était en plâtre. Elle servit de moule en 1924 ou en 1925 pour le bronze exposé à Randall’s Island aujourd’hui et pour au moins un autre qui se trouve à la Galerie nationale d’Athènes.

Les Américains n’appellent pas leur statue par son nom original, l’appelant simplement The Discus Thrower.

La Presse