Chaque jour, la Ligue professionnelle de hockey féminin confirme davantage son statut de circuit professionnel à part entière. Elle apprend aussi que le succès vient parfois avec certains désagréments.

Il a fallu moins de 30 minutes, mercredi matin, pour que s’écoulent tous les billets disponibles en vue du match du 20 avril prochain qui mettra aux prises les équipes de Montréal et de Toronto au Centre Bell. Après une longue attente, des partisans qui étaient dans la queue virtuelle ont d’abord eu la mauvaise surprise de constater que l’offre était réduite à quelques billets éparpillés dans l’amphithéâtre. Quelques instants plus tard, il ne restait plus rien.

Or, au même moment, des billets ont commencé à apparaître sur des sites de revente. Sur billets.ca, par exemple, plusieurs dizaines de places étaient disponibles à des prix variant de 109 à 275 $. Sur StubHub, certains se détaillaient à presque 500 $ chacun. Le site Ticketmaster, auquel recourt la LPHF pour ses billets, exploite son propre service de revente. En fin de journée, mercredi, on y trouvait une centaine de sièges à des prix de 115 à 330 $.

Cela alors que l’équipe elle-même vendait initialement les billets de 32 à 125 $, avant les frais de service : des sommes plus élevées que pour les autres matchs locaux disputés à l’Auditorium de Verdun et à la Place Bell de Laval, mais très loin des prix exigés pour un match du Canadien de Montréal.

« La situation de la revente existe. […] Ça fait partie de l’industrie du sport, semble-t-il », a noté la directrice générale de l’équipe, Danièle Sauvageau, lors d’une mêlée de presse tenue mercredi matin en marge de l’entraînement du club.

« J’aurais préféré que les billets restent là où ils doivent être pour dire à nos partisans : on veut que vous soyez là et que vous payiez les prix que nous considérons les bons », a-t-elle ajouté.

Questions sans réponse

Marie-Christine Boucher, directrice des opérations commerciales de l’équipe, assure avoir posé « beaucoup de questions » pour contrer la revente de billets, sans jamais obtenir de réponse satisfaisante.

Personne n’a de solution. Si j’en avais une, c’est sûr que nous prendrions des actions.

Marie-Christine Boucher, directrice des opérations commerciales de l’équipe de Montréal

Cela tombe d’autant plus mal que l’organisation s’efforce, depuis le début de sa saison inaugurale, de « rendre l’expérience accessible à tout le monde », notamment aux familles. « C’est tellement important pour nous », poursuit la gestionnaire.

Sans minimiser la frustration ressentie par certains partisans, Mme Boucher avance que le nombre de billets en revente est relativement limité par rapport au total des sièges disponibles : quelques centaines, alors que le Centre Bell a une capacité de plus de 21 000 personnes. La salle comble du 20 avril établirait d’ailleurs un nouveau record d’assistance au hockey féminin.

Il nous a été impossible de savoir combien de billets individuels avaient été mis en vente mercredi matin, information que la LPHF se refuse à dévoiler.

On peut toutefois présumer que plusieurs milliers de billets avaient déjà trouvé preneur avant mercredi. Les détenteurs d’abonnements avaient reçu la première option d’achat. Après eux, les personnes ayant effectué des achats de groupe plus tôt cette saison, et ensuite toutes les personnes ayant déjà acheté un billet individuel pour un autre match. Sachant que l’équipe a déjà attiré 10 000 personnes à la Place Bell à deux reprises, il est permis de croire que les entrées restantes n’étaient plus nombreuses mercredi à 10 h, moment auquel la vente au grand public a été ouverte.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’équipe montréalaise de la LPHF a déjà attiré 10 000 personnes à la Place Bell à deux reprises cette saison.

Marie-Christine Boucher assure que le processus s’est déroulé selon « les meilleures pratiques » de l’industrie. À ses yeux, la vitesse de vente des billets témoigne du « beau succès » que connaît le hockey féminin à Montréal depuis que Marie-Philip Poulin et ses coéquipières ont amorcé leur campagne en janvier dernier.

« L’engouement est exceptionnel », insiste-t-elle.

Dans un courriel, un porte-parole de la ligue s’est réjoui que les partisans « démontrent de nouveau leur appui indéfectible envers nos équipes, nos joueurs et la LPHF », mais n’a pas répondu à notre question sur la revente.

Pas nouveau

Cela étant, l’enjeu des billets en revente à fort prix est tout sauf nouveau. Les habitués des évènements sportifs et culturels connaissent le phénomène, encore qu’il soit nouveau pour le hockey féminin.

Yany Grégoire, professeur titulaire au département de marketing à HEC Montréal, rappelle même que « 450 $, ça reste quand même raisonnable par rapport au prix qu’on peut payer pour Taylor Swift ou pour un match de séries éliminatoires du Canadien ».

Le problème se situe plutôt au sein des plateformes de vente de billets. Ticketmaster est en effet en situation de quasi-monopole. La société est d’ailleurs visée par une série d’actions en justice qui dénoncent ses pratiques, notamment en ce qui a trait à la tarification dynamique – la fluctuation des prix en fonction de la demande.

Le fait qu’elle utilise son propre service de revente est aussi controversé, notamment vu le mystère entourant les « acheteurs professionnels ». Ceux qui « connaissent bien les critères de la tarification dynamique et qui vont acheter des billets au bon prix » par l’entremise d’outils technologiques automatisés (bots), souligne le professeur Grégoire.

« Ça fait en sorte que ces billets ne sont pas accessibles aux gens normaux qui n’ont pas cette expertise, poursuit-il. Les plateformes le savent, et c’est troublant, parce que ces gens peuvent revendre leurs billets en utilisant la même plateforme. Le vendeur va donc prendre sa [part de profit] deux fois : une première fois auprès de l’acheteur professionnel et une deuxième fois à la revente. »

Pour remédier à la situation, « il faudrait que le gouvernement s’en mêle », croit-il, et impose une loi sur le prix des billets. Justement, en décembre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il souhaitait encadrer la revente massive dans l’industrie du spectacle. L’affichage de billets à fort prix pour assister à l’hommage posthume (et gratuit) au chanteur Karl Tremblay, au Centre Bell, avait motivé cette initiative.

Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse, la députée caquiste Kariane Bourassa, adjointe parlementaire à la Justice et responsable du dossier, a indiqué que « la situation des billets du Festival d’été de Québec et de la LPHF démontre toute la nécessité d’agir ».

« Il n’est pas normal que les citoyens aient à payer deux, trois, parfois quatre fois le prix d’un billet pour assister à une représentation », écrit-elle.

Le match de la LPHF au Centre Bell est victime de son succès, estime Yany Grégoire. À la manière du match d’ouverture d’une autre équipe, comme le Canadien ou le CF Montréal, par exemple, « c’est un évènement auquel les gens vont attribuer plus de valeur » que pour un match normal.

Il doute donc qu’un « mouvement de fond » se déploie et rende les billets pour le hockey féminin inaccessibles. Du moins pour l’instant.

Les joueuses comblées

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Ann-Renée Desbiens

Sans se prononcer sur la revente des billets, on se réjouit, du côté de l’équipe montréalaise de la LPHF, de savoir que le Centre Bell sera rempli le 20 avril. « On sait que les partisans à Montréal et partout au Québec sont exceptionnels, a lancé la gardienne Ann-Renée Desbiens. Je suis certaine qu’il va y avoir des personnes d’ailleurs aussi. […] Quand on a parlé de la ligue, de l’institution, de comment ça allait fonctionner, on ne s’attendait pas à remplir le Centre Bell la première année. Ça démontre énormément le travail qui a été fait. » « C’est malade ! a abondé la défenseuse Catherine Daoust. C’est un rêve qu’on a tout le temps. On va voir le Canadien, on entend la foule et on espère que c’est nous qui allons être sur la patinoire. J’ai très, très hâte. » « Je continue de dire que nous avons les meilleurs partisans au monde », a conclu l’entraîneuse-chef Kori Cheverie.

Avec Katherine Harvey-Pinard, La Presse