Les joueurs de la Ligue nationale évoquent souvent l’anxiété liée à la date limite des transactions. C’est particulièrement vrai pour des vétérans d’équipes comme le Canadien, qui n’ont aucune chance de participer aux séries. Du jour au lendemain, ils peuvent recevoir un appel et devoir faire leurs valises pour des lieux aussi variés que New York, Edmonton ou Los Angeles.

Leurs homologues en Suisse n’ont pas à se casser la tête, eux. On vante souvent les conditions idylliques de ceux qui y font carrière : salaires intéressants, courts déplacements, calendrier plus léger qu’en Amérique du Nord.

À cela, il faut ajouter la stabilité presque garantie, parce que les échanges d’un joueur contre un autre y sont un phénomène marginal.

Cristobal Huet est bien placé pour vulgariser la différence entre la Suisse et l’Amérique du Nord, lui qui a joué dans la LNH, puis dans la ligue nationale suisse. Il y occupe maintenant un poste d’entraîneur des gardiens, où il découvre la réalité du point de vue des gestionnaires.

« Notre ligue est soumise au droit du travail suisse. Si un joueur détient un contrat valable, il doit accepter d’être échangé, détaille Huet, rencontré lors du passage de La Presse à Lausanne en octobre. Alors ça peut arriver, mais si un des deux joueurs dit non, c’est fini. La ligue n’est pas assez forte pour avoir une convention collective qui passe au-dessus des lois du travail comme on le voit dans la LNH. »

MLaurent Strawson est spécialisé en droit des contrats et a occupé le rôle de président du Genève-Servette HC de 2018 à 2021.

« Vous, votre patron ne peut pas vous échanger au journal de Laval, nous explique-t-il, en guise d’illustration. La LNH a des dispositions qui dérogent au droit du travail, mais dans un cadre réglementaire. Chez nous, si on intégrait une clause au contrat d’un joueur permettant une transaction, ce serait légal. Mais je ne crois pas que les joueurs accepteraient ! »

Peu de flexibilité

La Suisse n’est pas le seul pays à fonctionner ainsi. Larry Mitchell, directeur sportif de l’EHC Kloten, où joue David Reinbacher, a été dirigeant en Allemagne, où le cadre légal est similaire.

« J’y vois des avantages pour les joueurs, car ça crée une culture où les contrats sont garantis et ne peuvent pas être résiliés sans leur accord, nous expliquait Mitchell en octobre dernier. Mais comme dirigeant, tu as toujours des joueurs malheureux, des joueurs pour qui ça ne fonctionne pas. Quand j’ai été embauché, j’ai hérité de plusieurs contrats à long terme. Je ne les voulais pas tous, c’est normal ! »

Le Montréalais John Fust, directeur sportif du Lausanne HC, le dit d’ailleurs sans hésiter : « Je préfère le système nord-américain, parce que tu peux tenter de développer un joueur, travailler trois, quatre, cinq ans avec lui et si ça ne marche pas, tu peux corriger ton erreur », souligne-t-il.

En mars, on crée déjà l’équipe pour la prochaine saison. Tu as peut-être un gars à l’essai et c’est tout. Tout ce qui reste à décider, c’est dans quel trio ils jouent. Donc tu ne dois pas faire d’erreurs et les joueurs le savent, ils ont le pouvoir, tu ne peux pas te débarrasser d’un contrat.

John Fust, directeur sportif du Lausanne HC

« Une des conséquences de cela, c’est que les coachs n’ont aucune sécurité d’emploi, enchaîne Fust. Si tu perds cinq ou six matchs de suite, ça se peut que tu sois congédié, parce que tu ne peux pas faire de transaction. C’est vraiment un autre monde. »

Depuis le début de la saison, 2 des 14 clubs ont congédié leur entraîneur : Gerry Fleming (Kloten) en janvier et Petri Matikainen (Bienne) la semaine dernière. « C’était presque une année exceptionnelle, s’étonne Grégory Beaud, journaliste affecté à la couverture du hockey pour le quotidien Blick. Je ne dis pas que la moitié des clubs changent d’entraîneur, mais en temps normal, il y en a trois ou quatre par année. »

En revanche, ces mêmes organisations sont ainsi incitées à travailler sur le développement des joueurs.

« La structure est basée sur le modèle du foot européen et j’aime ça », estime l’agent de joueurs Allain Roy, qui compte notamment les Helvètes Nico Hischier, Jonas Siegenthaler et Akira Schmid au sein de son écurie.

« Tu recrutes des joueurs amateurs qui passent par tes programmes U14, U16, U18, U20, puis les ligues B et A. Les U20, à un certain point, peuvent signer un contrat et leurs droits appartiennent au gros club. Au Québec, à cet âge-là, tu te retrouves avec un club junior, mais tu n’appartiens pas à un club professionnel. En Europe, le système incite le club à s’engager à développer le joueur. »

Une transaction rocambolesque

Cela dit, malgré tout ce qui vient d’être exposé, des transactions demeurent possibles. On comprend toutefois que les chaînes sportives ne sont pas en direct pendant six heures d’affilée le 31 janvier, jour de la fin des transferts internes dans la ligue nationale suisse.

Larry Mitchell donne l’exemple de ces joueurs qui, un an en avance, signent un contrat ailleurs. Il va arriver, si cet autre club compte dans ses rangs un joueur malheureux, qu’une transaction se fasse afin d’envoyer en avance le joueur à son futur club.

Mais ça ne se produit pas à tout coup. À Kloten, justement, Marc Marchon a signé en début de saison un contrat avec Berne pour 2024-2025. Mais Mitchell a gardé son joueur qu’il sait sur son départ malgré tout. « On va prendre chaque match qu’il peut nous donner », explique-t-il.

PHOTO PONTUS LUNDAHL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Marc Marchon

Le journaliste Grégory Beaud note quant à lui une nouvelle tendance : des prêts de quelques semaines entre deux équipes de la ligue. Il donne l’exemple d’un jeune joueur de Zurich, meilleure équipe de la ligue, prêté à Ajoie, la pire équipe, afin qu’il puisse jouer au sein des deux premiers trios. Un peu comme si les Stars de Dallas envoyaient Mavrik Bourque au Canadien pour un mois dans le but de lui donner des minutes de qualité.

Du reste, les transactions comme on en voit ici demeurent l’exception. À preuve : on parle encore de celle de 2014 qu’avait concoctée Chris McSorley, qui dirigeait alors Genève-Servette. Le 31 janvier, après un match, et quelques minutes avant minuit, il cède Jérémie Kamerzin et John Fritsche à Fribourg, contre Romain Loeffel. La transaction avait été conclue sans l’accord préalable de tous les joueurs, mais surtout, ils avaient physiquement changé d’autocar à une gare routière !

Mais l’échange avait été effectué par McSorley, un Canadien, qui venait de la culture nord-américaine. « Un des trois joueurs impliqués, sur le coup, ne voulait rien savoir, mais il s’est résigné quand il a compris que son club n’allait pas le faire jouer s’il refusait la transaction, se souvient Grégory Beaud. Mais le hockey suisse avait été choqué ! »