Et si, plutôt que de se laisser couler vers le fond du classement, les équipes qui ne joueront pas en séries éliminatoires devaient remporter le plus de matchs possible en fin de saison afin d’améliorer leur choix au repêchage ?

C’est la formule qu’a retenue la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) pour sa saison inaugurale. On ne se fiera pas au classement inversé, pas plus qu’on ne laissera une loterie décider de qui décrochera la première sélection du repêchage. Des deux équipes (sur six) qui n’accéderont pas aux séries, c’est plutôt celle qui accumulera le plus de points au classement après sa date d’exclusion qui gagnera le premier tour de parole.

Bien que rien ne pointe vers l’adoption d’un tel mode de fonctionnement dans la LNH, La Presse s’est demandé de quelle manière il aurait affecté l’ordre de sélection des deux derniers repêchages. La réponse : le chamboulement serait total.

En 2022, le Canadien aurait glissé du premier au quatrième rang. On peut ainsi parier que Juraj Slafkovsky n’aurait plus été disponible. En 2023, le CH aurait perdu deux échelons, passant du cinquième au septième si, comme dans la LPHF, le « plan Gold » avait été en vigueur. Là aussi, on aurait sans doute dû faire le deuil de David Reinbacher.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

En juillet 2022, le Canadien de Montréal a repêché, au tout premier rang de l’encan amateur, l’attaquant slovaque Juraj Slafkovsky.

Cette méthode a été suggérée pour la première fois en 2012 lors d’une conférence sur les outils analytiques dans le sport. Adam Gold, alors candidat au doctorat en statistique à l’Université du Missouri, avait exposé ce modèle destiné à empêcher l’autosabotage — le tanking, en anglais. En 2016, Shane Doan, attaquant des Coyotes de l’Arizona, avait fait la promotion de cette idée. Depuis, elle est ponctuellement ramenée dans la discussion par certains commentateurs, mais sans plus. La LPHF, toutefois, a estimé que c’était la voie à suivre.

Or, l’effet du « plan Gold » pourrait y être limité. Vu la taille du circuit, le nombre de parties disputées (24) et le fait que chaque victoire en temps réglementaire vaille trois points, il est possible que les six organisations soient encore dans le coup jusqu’à tard dans la saison.

Dans la LNH, c’est l’inverse. Les Blackhawks de Chicago, par exemple, seront mathématiquement éliminés au cours des prochains jours, peut-être dès samedi. À ce moment, même en remportant la totalité de ses matchs restants, les Hawks ne pourraient amasser suffisamment de points de classement pour rejoindre l’équipe qui détient provisoirement le dernier rang donnant accès aux séries.

Impact

Nous nous sommes donc intéressés aux impacts qu’aurait eus le « plan Gold » sur les deux dernières saisons de la LNH en calculant le nombre de points que chaque équipe du top 8 au repêchage a amassés après avoir perdu toute chance de participer aux séries.

Le Canadien a terminé la saison 2021-2022 au tout dernier rang du classement général. Cette longue campagne de misère s’est traduite par 18 longues joutes disputées sans enjeu. Au cours de ces 18 duels, le CH a obtenu 11 points en vertu d’une fiche de 5-11-1.

Vu son positionnement, l’organisation montréalaise a hérité des meilleures probabilités (25,5 %) en vue de la loterie décidant du premier choix au repêchage. Loterie qu’elle a gagnée.

En vertu du « plan Gold », le Tricolore aurait plutôt choisi quatrième, après avoir vu les Coyotes de l’Arizona et le Kraken de Seattle (12 points pour chacune des deux équipes), mais surtout les Sénateurs d’Ottawa (15 points), passer devant lui. Les Ottaviens (7-5-1) avaient en effet connu une fin de saison du tonnerre.

Le CH aurait aussi perdu des plumes en 2022-2023, mais dans une moindre mesure. En sept matchs post-élimination, il n’a récolté que deux points. Le « plan Gold » l’aurait alors vu obtenir le septième choix au repêchage, plutôt que le cinquième, comme ce fut le cas.

La débâcle aurait été encore pire à Anaheim, avec 2 points en 9 matchs, alors que les Blue Jackets de Columbus auraient été les champions de cette course tardive, avec 14 points en 10 matchs.

Ces projections sont évidemment à prendre avec un grain de sel. Les organisations auraient en effet pu gérer différemment leur formation si elles avaient évolué dans ce système, par exemple en freinant des transactions ou en retardant des interventions chirurgicales prévues pour des joueurs vedettes. Le présent exercice n’est donc que spéculatif.

Enthousiasme

Nous avons néanmoins demandé à quatre administrateurs d’équipes de la LNH leurs impressions sur le « plan Gold ». Trois d’entre eux se sont spontanément enthousiasmés. Les partisans y trouveraient leur compte, soulève-t-on, et les entraîneurs aussi. Cette façon de faire donnerait en effet une valeur aux dernières rencontres de la saison, ce qui empêcherait la lassitude de s’installer.

Un gestionnaire a affiché plus de réserve, soulignant à quel point le marché des joueurs de « location » serait bouleversé à l’approche de la date limite des transactions.

Prenons l’exemple des Ducks d’Anaheim, actuellement installés au 30rang du classement général de ligue. On peut prédire qu’ils échangeront, d’ici vendredi prochain, quelques-uns de leurs bons joueurs — Adam Henrique et Frank Vatrano, au premier chef. Sous le « plan Gold », le dilemme serait réel : les échanger en maximisant le retour, ou bien les garder pour conclure le calendrier en force ?

Aucune solution n’est parfaite, car les joueurs, surtout ceux possédant des contrats à court terme, « se fichent du premier choix au repêchage », nous écrit-on. Surtout s’ils sont appelés à changer d’organisation pendant l’été, ils préféreront finir leur saison dans un club qui aspire aux séries, voire à la Coupe Stanley.

En ce sens, on déplacerait le problème actuel, alors que tous les joueurs d’une équipe de fond de classement subissent les conséquences des défaites qui s’accumulent en fin de saison sans garantie de profiter des bénéfices d’un choix élevé ou d’une reconstruction réussie.

Rien n’est parfait, en somme, et n’importe quel système fera des mécontents. Jusqu’à preuve du contraire, la loterie de la LNH est là pour de bon. Or, si jamais on désirait insuffler un peu de chaos, le « plan Gold » ne demandera qu’à être essayé.