De Toronto à Montréal, en passant par le Connecticut et par… Shenzhen ! C’est un parcours unique qui a mené Elaine Chuli devant le filet de l’équipe de Montréal en Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF).

Un parcours qui a dû avoir du bon, puisque celle qui partage le travail avec Ann-Renée Desbiens trône aujourd’hui au 1er rang des gardiennes de la nouvelle ligue dans les principales catégories statistiques.

Son échantillon est mince, mais elle a profité des rares occasions qui se sont offertes à elle. En trois matchs, elle montre une moyenne de 1,31 et une efficacité de ,962, des sommets dans la LPHF. Sans surprise, Montréal a signé la victoire lors de ces trois matchs.

Bref, elle retient l’attention, et pas seulement en raison de son masque orné d’images de Carey Price et de Ken Dryden.

« C’est facile de lui donner des départs, car on sait à quoi s’attendre comme performance », souligne Kori Cheverie, entraîneuse de l’équipe, après l’entraînement de lundi au Centre 21.02.

Détour par la Chine

Il reste que, comme bien des joueuses de sa génération (elle est née en 1994), son parcours pour atteindre le statut de professionnelle a été tordu.

PHOTO ABBIE PARR, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Elaine Chuli repousse la rondelle, lors d’un match contre l’équipe du Minnesota, le 24 janvier.

Ça a commencé par quatre années à l’Université du Connecticut, où elle est « une légende », dixit sa coéquipière Leah Lum, qui l’a croisée chez les Huskies de 2014 à 2016. « Elle a eu à se surpasser à de nombreuses reprises là-bas, comme elle le fait ici quand elle reçoit 40, 50 tirs par match ! Elle est incroyable », estime Lum.

Une opération à un genou à sa sortie de l’université l’a forcée à rater la saison 2016-2017, et c’est un appel inattendu qui lui a permis de relancer sa carrière.

J’ai reçu un appel me demandant si je voulais jouer en Chine. J’ai tout de suite accepté !

Elaine Chuli

C’est donc pour le Kunlun Red Stars qu’elle s’est engagée, au moment où la Chine tentait de promouvoir le hockey en vue des Jeux d’hiver de 2022. L’équipe était basée à Shenzhen, métropole chinoise tout juste au nord de Hong Kong. « C’était super professionnel, on était très bien traitées. Ça m’a permis de voyager. On était à deux heures d’avion de la Thaïlande, et j’ai aussi voyagé au nord, pour faire une longue randonnée pédestre sur la Grande Muraille de Chine. J’ai vraiment adoré mon expérience. »

Derrière Desbiens

De retour de l’empire du Milieu, Chuli a ensuite joué pour les différentes équipes qui se sont succédé dans son Toronto natal, les deux dernières années dans la défunte Premier Hockey Federation (PHF), pour le Six.

« Elle a joué beaucoup de matchs ces dernières années, comparativement à celles qui ont seulement participé à des showcases, estime Olivier Michaud, entraîneur des gardiennes de l’équipe montréalaise. Elle est très avancée en lecture de jeu, elle feele le jeu. Je découvre aussi une gardienne forte mentalement. Dès qu’un exercice veut dire quelque chose, ça paraît.

« Aussi, elle est partie de Toronto, où c’était SON filet, pour arriver ici, où elle doit se battre pour des minutes. Et elle a été très correcte avec ça. Elle a super bien réagi et nous a donné la chance de gagner chaque fois. »

Chuli a en effet le malheur d’être née en 1994, soit la même année que Desbiens et Emerance Maschmeyer, deux piliers d’Équipe Canada depuis leurs années chez les U18. Ses seules statistiques au sein d’une équipe nationale remontent justement au mondial U18 de 2012. Comme si elle avait constamment eu à se battre dans l’ombre des deux geôlières.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, LA PRESSE CANADIENNE

Elaine Chuli (à droite) partage le filet de l’équipe montréalaise avec Ann-Renée Desbiens.

« On blaguait encore dernièrement, on disait que 1994 n’est pas la meilleure année de naissance pour une gardienne ! relate Chuli. Mais c’est un privilège d’être ici, de compétitionner avec Ann-Renée. On se bat au quotidien, mais au bout du compte, on joue pour la même équipe. »

Même si Desbiens a obtenu jusqu’ici les deux tiers des départs, Chuli ne sent aucune raison de se plaindre. Les conditions de la LPHF lui ont notamment permis de prendre une pause de son travail en comptabilité. Elle apparaît d’ailleurs toujours dans le répertoire de l’Ordre des comptables agréés de l’Ontario.

« J’ai toujours ma certification, j’ai encore quelques clients, mais à mon compte. L’an passé, j’aurais pu ne pas travailler, mais je voulais le faire, ça me faisait du bien mentalement, ça m’évitait d’être toujours en mode hockey, même si je travaillais de 35 à 40 heures par semaine. C’est différent cette année, je dois me trouver autre chose à faire à la maison ! Donc je peux maintenant lire, j’ai du temps pour me détendre, pour aller dans les cafés. »

La recette lui sourit jusqu’ici.

En bref

Cheverie en français

Dans une riche entrevue publiée samedi avec le confrère Simon-Olivier Lorange, Kori Cheverie a confirmé qu’elle suivait toujours des cours de français, et qu’à défaut de pouvoir donner une entrevue complète dans sa nouvelle langue seconde, elle pourrait néanmoins tenter une réponse. Ce qu’elle a fait lundi, sans même que La Presse le lui demande. Au sujet d’Elaine Chuli, elle a donc dit qu’elle a « une bonne attitude et elle prend beaucoup de répétitions. Les performances d’Elaine sont très, très, très bien, parce que son effort, chaque jour, est très bien. » Un effort certainement louable. « Je suis capable, mais je suis un peu gênée ! », a-t-elle ajouté.

Commode ménage à trois

Le Canadien n’est pas l’unique équipe montréalaise avec trois ressources devant le filet. En plus de Desbiens et Chuli, le club compte sur la Néo-Brunswickoise Marlène Boissonnault. Cette dernière n’a pas encore joué, mais elle a néanmoins droit à un bon volume de travail. Lundi, lors du passage de La Presse, Desbiens manquait à l’appel, puisqu’elle avait joué la veille au Minnesota avec Équipe Canada dans le cadre de la Série de la rivalité. Chuli et Boissonnault avaient donc chacune leur filet. « Quand on a deux gardiennes, elles reçoivent trop de tirs, estime Kori Cheverie. C’est difficile, de nos jours, à deux gardiens. Ça prend trois gardiennes, sinon, elles n’ont jamais de pause. » Olivier Michaud a quant à lui précisé qu’il tente aussi de sauter sur la patinoire avec Boissonnault les jours de match où elle n’est pas en uniforme. « Il faut qu’elle s’entraîne, il faut qu’elle ait du volume », rappelle-t-il.

Courte nuit

Parlant de la Série de la rivalité, l’équipe montréalaise y comptait cinq joueuses : Desbiens, Marie-Philip Poulin, Laura Stacey, Sophie Shirley et Erin Ambrose. Les cinq ont été exemptées de l’entraînement de lundi puisqu’elles ont joué trois matchs en cinq jours et sont rentrées à Montréal tard dimanche soir. Cheverie y était elle aussi, en tant qu’adjointe. Mais elle dirigeait néanmoins la séance de lundi à Verdun. « J’ai coaché le match, j’ai attendu à l’aéroport, le vol a été retardé, j’ai fini par arriver et je me suis couchée à 2 h. Et je me suis levée à 6 h 30. Mais j’ai manqué assez de temps, il était temps que je revienne ! »