L’agression sexuelle alléguée qui aurait été commise par cinq membres de l’équipe canadienne junior de 2018 est connue du public depuis plus d’un an et demi. Maintenant que l’identité des suspects a été révélée, que la nature des accusations a été dévoilée et que le processus judiciaire s’est mis en marche, à quoi peut-on s’attendre ? La Presse tente d’y voir plus clair avec Simon Roy, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.

Et maintenant ?

C’est probablement la question que se posent toutes les personnes qui suivent cette affaire depuis le début. Maintenant que les accusations ont été déposées par la police – ce qui est la norme en Ontario, alors que c’est le Directeur des poursuites criminelles et pénales qui s’en charge au Québec –, un compte à rebours de 30 mois s’amorce.

Trente mois, c’est le délai jugé raisonnable pour qu’un dossier criminel suive son cours devant la justice avant que la partie défenderesse puisse invoquer l’arrêt Jordan, donc un délai de traitement jugé abusif. Est-il prématuré d’en parler ? Pas vraiment. La Couronne a averti qu’elle déposerait une preuve « substantielle », que devra maintenant étudier la défense. Et la justice ontarienne, comme au Québec, accuse un retard important dans le traitement de ses dossiers.

La balle est dans le camp de la défense, qui doit décider de sa stratégie en fonction de la preuve pesant sur les cinq accusés.

La Cour de London se penchera de nouveau sur l’affaire le 30 avril prochain.

Pourquoi l’article 271 ?

Le professeur Simon Roy, de l’Université de Sherbrooke, prend la peine de souligner la nature du chef d’accusation déposé contre chacun des prévenus. On a en effet choisi d’invoquer l’article 271 du Code criminel (agression sexuelle) plutôt que l’article 272, qui définit l’agression de groupe. Cela alors qu’il y a cinq accusés et que l’agression, selon une poursuite civile déposée en 2022, semble avoir été perpétrée par plusieurs personnes.

PHOTOS MATT SLOCUM, NOAH K. MURRAY, PAUL SANCYA, COREY SIPKIN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les cinq accusés, de gauche à droite : Alex Formenton, Cal Foote, Michael McLeod, Dillon Dube et Carter Hart

L’article 271 prévoit une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans, et non de 14 ans comme l’article 272. Conséquemment, selon les règles en vigueur, « la Couronne ne se met pas d’enquête préliminaire dans les pattes », souligne M. Roy.

Cette étape permettrait à la défense d’interroger les témoins de la Couronne, donc la victime alléguée. « En matière de violences sexuelles, vous aurez compris que ça peut être traumatisant de se faire interroger et contre-interroger à l’enquête préliminaire et au procès », note le professeur.

Combien de procès ?

Les accusés et leurs avocats décideront rapidement s’ils souhaitent demander un, deux, trois, quatre ou cinq procès. Une défense concertée permettrait notamment aux prévenus de garder le silence en cour, donc de ne pas témoigner.

L’angle de la défense dictera aussi le choix. Une défense commune pourrait s’attaquer aux faits avancés par la victime. « Mais s’ils plaident le consentement, il faut témoigner. Et si tu témoignes, tu te soumets à un contre-interrogatoire. Ça, c’est moins le fun », soulève Simon Roy.

En outre, sans spéculer sur la nature de la preuve, il n’est pas exclu que celle-ci n’accable pas les accusés à parts égales. « Le danger d’un procès à cinq, c’est de se faire ramasser parce que t’es le chum des quatre autres », résume le chercheur.

Des procès séparés permettraient donc à chacun de répondre de ses actes, et même de faire témoigner d’autres coaccusés. En contrepartie, la victime devrait témoigner plusieurs fois.

Cela étant, même si les accusés demandaient des procès séparés, il n’est pas assuré qu’ils les obtiendraient.

Un jury ou pas ?

Demander un procès devant jury ou devant un juge seul fera aussi partie de la stratégie de la défense.

Après avoir épluché la preuve, composée de centaines, voire de milliers de pages écrites ainsi que de fichiers audio, les avocats de la défense devront déterminer, toujours selon le professeur Roy, « s’ils ont une meilleure chance en droit qu’en faits, ou pas de chance du tout ».

Si la preuve semble « plus ou moins solide » sur le plan des faits, on tentera de convaincre un jury que les accusés n’ont pas commis une agression. Devant les jurés, on scrutera aussi la victime de plus près.

Si la preuve semble plus facilement attaquable sur des fondements de droit, alors on demandera qu’un juge seul tranche.

Quels plaidoyers… et quelles peines ?

A priori, les avocats des cinq hockeyeurs ont annoncé que leurs clients plaideraient non coupable. Si cette volonté résiste à l’examen de la preuve, un procès ira de l’avant.

Or, « si la preuve est très forte, ça a beau être des joueurs de hockey très riches, il n’est pas impossible qu’ils plaident coupable », avance Simon Roy.

Reconnaître sa culpabilité, « en droit criminel, ça démontre que l’accusé a pris conscience de son crime ». Sa peine pourrait donc être réduite, encore davantage si cet aveu est livré d’entrée de jeu et non tard dans le processus. Le fait d’avoir épargné des ressources judiciaires et d’avoir évité à la victime de témoigner est aussi pris en compte.

Par ailleurs, le spectre des condamnations est large, notamment en raison de la définition même d’agression sexuelle, qui peut inclure différents gestes et comportements. Qu’à cela ne tienne, puisqu’une agression de groupe semble en cause, Simon Roy s’attendrait, advenant une reconnaissance ou un verdict de culpabilité, à une peine d’emprisonnement.