S’émerveiller qu’un jeune défenseur soit responsable défensivement en dit-il davantage sur le joueur lui-même ou sur les tendances de son équipe et de la ligue ?

La réponse est probablement à mi-chemin entre les deux. Et elle explique en grande partie pourquoi Jayden Struble, que rien ne destinait à un poste à Montréal l’automne dernier, n’a pas seulement disputé 31 matchs avec le Canadien cette saison : il s’est rendu indispensable.

Son ascension, ce n’est plus un secret, a été spectaculaire. Inséré dans la formation après qu’Arber Xhekaj et Jordan Harris furent tombés au combat, il n’en est plus jamais ressorti. Il a dépassé ses deux coéquipiers dans la hiérarchie du flanc gauche, ce qui a eu des répercussions sur le flanc droit : la solidité de son jeu a permis à son entraîneur de faire jouer Kaiden Guhle à droite, si bien que Johnathan Kovacevic et Justin Barron ont perdu des plumes.

À ses 15 premiers matchs, son temps de glace moyen a été de 13 min 10 s. Au cours des 16 suivants : 18 min 4 s. Le voilà maintenant bien installé à la gauche du deuxième duo.

« Il a vraiment compris comment être efficace dans la LNH », a affirmé David Savard, vendredi dernier, lorsqu’interrogé sur celui qui est de 11 ans son cadet.

« Il garde sa game assez simple, il fait de bonnes passes, il a un bon coup de patin et il est capable de faire des jeux ; il est physique, il peut frapper et il est excellent dans ses batailles… Mais le plus important, c’est qu’on est en confiance quand il est sur la glace. »

Il ne fait pas vraiment de grosses erreurs.

David Savard

Le choix de demander à Savard de parler de son coéquipier n’était pas fortuit. Le Québécois de 33 ans a bâti sa carrière sur son jeu défensif.

« Ç’a toujours été une priorité pour moi, confirme-t-il. À mes deux dernières années junior, mon côté offensif a monté, et à mon arrivée chez les pros, j’étais un peu entre les deux. Mais je suis retourné à mes classiques en bloquant des tirs. C’était plus naturel pour moi. »

« Pas très prisé »

La LNH, ce n’est pas un secret ça non plus, est passée à l’attaque au cours des deux dernières décennies. Chaque équipe marque en moyenne un demi-but par match de plus qu’il y a 20 ans. Le taux d’efficacité des gardiens baisse avec constance.

Conséquemment, se définir comme un défenseur à caractère défensif, « ce n’est pas très prisé », constate Savard.

Homme de son époque, Struble n’a pas échappé à cette tendance. « Personne ne veut être un défenseur défensif quand on est jeune ! abonde-t-il. Tout le monde pense à faire des points. »

PHOTO DAVID KIROUAC, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Jayden Struble et Joel Armia

Au secondaire, à sa dernière saison sur le circuit des collèges préparatoires américains, il a ainsi amassé 40 points en 28 matchs, ce qui lui a valu d’être repêché par le Tricolore au deuxième tour en 2019. Sa conversion est plutôt survenue à l’Université Northeastern, où sa production a fléchi à mesure qu’avançait sa carrière dans la NCAA : après avoir amassé 22 points en 39 matchs à ses deux premières saisons, il n’en a ajouté que 26 en 65 au cours des deux campagnes suivantes. Son jeu dans sa zone, toutefois, s’est nettement amélioré.

« À l’université, tu dois trouver ton rôle, souligne Struble. Puis les rangs professionnels arrivent et tu dois le faire de nouveau. À mon arrivée [dans l’organisation du Canadien], on m’a dit : tu dois être bon défensivement, être difficile à affronter. Et je ne pouvais pas laisser [l’occasion] passer. »

À la tête d’une jeune équipe, Martin St-Louis reconnaît souvent que « ce n’est pas le fun de jouer en défense ». Struble, pourtant, éprouve beaucoup de « fierté » à frustrer ses adversaires.

Plus tu joues, plus tu affrontes de bons joueurs, et tu finis par te mesurer aux meilleurs de la ligue. Il n’y a pas de meilleur sentiment que ça. Je m’amuse beaucoup.

Jayden Struble

Cette sagesse, pour un défenseur de 22 ans, « ce n’est pas la norme », remarque St-Louis. Comme bien du monde, il considère que l’Américain constitue une « belle surprise » cette saison.

Pas besoin de chercher bien loin pour illustrer cette rareté. Plus tôt cette saison, Arber Xhekaj a été cédé au Rocket pour aller apprendre à défendre son territoire au hockey professionnel. Justin Barron est à Laval en ce moment avec le même objectif. Toujours chez le Rocket, Mattias Norlinder, William Trudeau et Logan Mailloux attendent leur tour. Et Nicolas Beaudin, mécontent de son utilisation, vient de voir son contrat résilié.

Tous les défenseurs du paragraphe précédent ont un profil offensif. Et tous ont vu Struble passer devant eux. Concédons à Mailloux que, contrairement aux autres, il dispute sa première saison professionnelle.

Si le numéro 47 a su s’accrocher à son poste à Montréal, ce n’est pas en raison de « juste une chose », a précisé St-Louis.

« Il est très combattif et il a de bonnes touches [de rondelle] dans l’espace », a détaillé l’entraîneur. On pourrait ajouter à cette courte liste son calme avec la rondelle ainsi que sa capacité évidente, sans forcément accumuler beaucoup de points, à appuyer l’attaque. « C’est son comportement global », a résumé le pilote montréalais.

Confiance

La confiance que St-Louis a en son jeune défenseur ne se résume pas qu’à ces paroles. Elle s’incarne sur la glace.

À cinq contre cinq, 46,5 % des mises en jeu dans lesquelles est impliqué Struble ont lieu en territoire offensif (ce calcul exclut celles en zone neutre). Des chiffres comparables à ceux de Savard (44,6 %) et de Mike Matheson (44,9 %), loin devant ceux de Harris (52,1 %), de Barron (52,5 %) et, surtout, de Xhekaj (55,5 %).

PHOTO JEROME MIRON, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Jayden Struble a su s’accrocher à son poste à Montréal.

Pour la première fois de la saison, la semaine dernière, Struble et Xhekaj ont passé deux matchs dans la formation en même temps. Struble a principalement affronté les deux premiers trios adverses et Xhekaj, les trios 3 et 4. Cela alors que le « Shérif » a une année professionnelle entière d’avance sur son contemporain.

Sans faire référence aux malheurs de certains de ses coéquipiers, Struble note que l’une des choses qui l’ont le plus marqué depuis sa toute récente accession à la LNH, c’est « à quel point ça peut aller vite ».

« Tu vois beaucoup de joueurs passer, tu sais que la fenêtre est petite, poursuit-il. Chaque jour compte, chaque jeu compte. Ce n’est pas un choc, parce qu’on le sait à l’avance. Mais j’en suis encore plus conscient. »

Au camp d’entraînement, il savait qu’il se dirigeait vers la Ligue américaine. « Je me suis levé les manches et j’ai tenté d’être au mieux [à Laval]. Ça a bien fonctionné, et j’ai été rappelé rapidement à cause des blessures. » Tous les jours, dit le défenseur, il cherche comment rester un jour de plus. Et un autre. Et un autre.

La vitesse des évènements, avoue-t-il, l’a un peu pris de court. Le feu roulant d’une saison de hockey n’est pas le lieu de toutes les introspections ; il y a quelques jours, toutefois, alors qu’il était seul dans sa voiture, la réalité l’a frappé de plein fouet.

« J’ai repensé à comment je me sentais, comme enfant, raconte-t-il. À mes parents, aussi. C’était mon rêve, c’était toute ma vie, et c’est ce que je vis maintenant. Ça m’a rendu émotif. Je me suis dit : wow, c’est en train d’arriver ! C’est important de le réaliser, de saisir sa chance et de ne plus la lâcher par la suite. »