Cinq joueurs de l’équipe canadienne ayant participé au Championnat mondial junior de 2018 devront se rendre aux autorités. Ils feront face à des accusations d’agression sexuelle, a révélé le Globe and Mail.

Le quotidien torontois affirme avoir obtenu cette information de deux sources près du dossier. Les suspects, qui ne sont pas encore accusés, disposeraient d’un « certain délai » pour se présenter au quartier général de la police de London, en Ontario. Le corps policier a d’ailleurs convoqué les médias pour une mise à jour le 5 février prochain.

Le monde du hockey est tombé en état de choc après qu’une jeune femme eut déposé, en avril 2022, une poursuite contre huit ex-joueurs de la Ligue canadienne de hockey (LCH), contre la ligue elle-même et contre Hockey Canada. Elle y accusait ces joueurs, dont certains venaient de remporter la médaille d’or au Championnat du monde junior, de l’avoir agressée dans une chambre d’hôtel de London après un gala organisé par Hockey Canada en 2018. Elle avait les facultés fortement affaiblies au moment des faits.

La poursuite détaillait des gestes dégradants posés par les agresseurs présumés et mentionnait que la jeune femme avait subi, à l’époque, de la pression des défendeurs afin qu’elle ne les dénonce pas.

L’écrasante majorité des joueurs de cette formation évoluent aujourd’hui dans la LNH. L’identité des suspects n’a encore jamais été dévoilée. L’affaire a rapidement été réglée à l’amiable avec Hockey Canada. La victime réclamait 3,55 millions de dollars, dont 2 millions en dommages pécuniaires passés et futurs et 1 million en dommages punitifs.

Des « motifs raisonnables »

Après avoir amorcé une enquête criminelle en 2018 et l’avoir conclue sans accusation huit mois plus tard, la police de London a annoncé, en juillet 2022, qu’elle réactivait son enquête. En décembre 2022, citant des documents judiciaires, le Globe and Mail a révélé que le corps policier estimait avoir des « motifs raisonnables » de croire que cinq membres de l’équipe canadienne junior de hockey de 2018 avaient bel et bien agressé la jeune femme.

Depuis que les évènements allégués de 2018 ont été révélés, la LNH et Hockey Canada ont aussi commandé des enquêtes, dont les conclusions n’ont pas encore été rendues publiques.

Chez Hockey Canada, on a confié le rapport des enquêteurs externes à un panel indépendant, qui avait pour mandat de tenir une audience afin de déterminer si certains suspects avaient enfreint le code de conduite de Hockey Canada et, le cas échéant, quelles devaient être les sanctions imposées à ces joueurs.

Le tribunal a fourni son rapport final à toutes les parties visées, et l’une d’elles a interjeté appel. Le processus est toujours en cours.

Les hautes instances de la LNH n’ont pas souhaité commenter la situation, mercredi.

La ligue avait annoncé dès le mois de mai 2022 qu’elle mènerait une enquête. Les entrevues avec les joueurs d’Équipe Canada junior 2018 se sont étalées sur des mois. Le commissaire Gary Bettman et son adjoint Bill Daly ont multiplié les interventions médiatiques pour affirmer, laconiquement, que le processus avançait. Même si l’enquête est bouclée depuis longtemps, ses conclusions n’ont jamais filtré hors des murs des bureaux de la ligue.

Tous les joueurs de la LNH qui faisaient partie de l’équipe nationale junior en 2018 ont poursuivi leurs activités, certains signant même de nouveaux contrats avec leur équipe respective. La seule exception est Alex Formenton qui, à défaut de s’entendre avec les Sénateurs d’Ottawa sur les détails d’un nouveau pacte à l’été 2022, a passé la dernière saison en Suisse. Son club, le HC Ambri-Piotta, lui a par ailleurs accordé un congé mercredi afin de lui permettre de « revenir au Canada ».

La convention collective liant la ligue à ses joueurs investit le commissaire d’un pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions à la suite de gestes commis hors de la patinoire. Gary Bettman est donc en droit de suspendre un joueur, de lui imposer une amende ou même de faire résilier son contrat.

Hockey Canada implose

Jusqu’ici, c’est Hockey Canada qui a subi les plus puissants contrecoups de cette affaire. Pas une semaine n’a passé, pendant l’été 2022, sans qu’une révélation ou un nouveau rebondissement plonge davantage la fédération dans l’embarras.

L’enquête indépendante commandée par l’organisme à une firme d’avocats en 2018 avait été visiblement bâclée. Elle a depuis été réactivée.

Le Globe and Mail a mis au jour l’existence d’un fonds spécial de plusieurs millions de dollars utiliser pour dédommager des victimes de violences sexuelles en dehors des tribunaux. Par ce procédé ainsi que par le truchement d’autres sources de financement, Hockey Canada a versé 12 millions et demi de dollars à 22 victimes depuis 1989, a-t-on par la suite appris de la bouche de ses dirigeants en commission parlementaire à Ottawa.

Les fédérations provinciales ont commencé à taper du pied, réclamant notamment une plus grande transparence quant à la gestion générale de l’organisme et à la prise en charge de l’incident de 2018.

Au fil des mois, deux présidents du conseil d’administration ont démissionné. Tous les autres administrateurs ont fini par les imiter. Après s’être longtemps accroché à son poste, le président et directeur général de l’organisme, Scott Smith, s’est aussi retiré.

Ottawa a gelé son financement à Hockey Canada et des commanditaires majeurs ont quitté le navire – la plupart sont depuis rentrés au bercail.

En décembre 2022, l’organisme a annoncé que l’enquête qu’elle avait commandée à une firme externe était terminée. Ses conclusions ont été confiées à un comité d’examen indépendant qui devait formuler des recommandations au conseil d’administration quant aux suites à donner à l’exercice. Dans une entrevue à La Presse, en janvier 2022, le président du C.A. à l’époque, Hugh Fraser, a affirmé qu’il était prêt à prendre des « décisions difficiles » si les conclusions du comité l’imposaient.

En mars 2023, Hockey Canada a annoncé qu’aucun des joueurs de l’équipe nationale junior de 2018 ne représenterait le pays sur la scène internationale tant et aussi longtemps que toute la lumière ne serait pas faite sur cette affaire.

Une question de confiance envers le système judiciaire, disent des élus

Le député libéral Enrico Ciccone, porte-parole de l’opposition officielle en matière de sports à l’Assemblée nationale, a réitéré qu’il fallait « arriver à la fin » du scandale de Hockey Canada.

« Il faut absolument, à un moment donné, tourner la page sur cette situation-là, a-t-il dit en mêlée de presse à Québec, mercredi matin. C’est une question de confiance pour notre société. Si une faute grave a été commise, ceux qui l’ont faite doivent la payer chèrement. »

L’ex-hockeyeur a insisté sur le fait que les athlètes professionnels « ne sont pas différents » de quiconque et qu’ils doivent « être capables de faire face à la justice ».

La ministre québécoise responsable du Sport, Isabelle Charest, s’est pour sa part réjouie que des joueurs soient sur le point d’être accusés.

« C’est une bonne nouvelle. Ça démontre que personne n’est au-dessus de la loi. Depuis que je suis en fonction et que je suis dans les dossiers de sécurité et d’intégrité dans le sport, je dis à quel point c’est important de dénoncer. Et voir justement que malgré le fait que ce sont peut-être des noms connus, ils seront appelés à subir la conséquence de leurs actes, pour moi, c’est une bonne nouvelle », a-t-elle affirmé en marge d’une réunion du caucus caquiste à Sherbrooke.

À Ottawa, la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, qui était ministre des Sports jusqu’à l’été dernier, a jugé « satisfaisante » l’évolution de ce dossier quand les journalistes sur place l’ont interrogée.

« On va voir c’est quoi, les résultats et la suite du processus judiciaire, mais je pense que c’est un message à envoyer à toutes les victimes d’actes de violence à caractère sexuel comme quoi parfois les parcours se poursuivent et [que] ça vaut la peine de continuer. Je salue évidemment le courage de la personne qui a dénoncé, et on va suivre ça de près. »

Avec Hugo Pilon-Larose, Tommy Chouinard et Mylène Crête, La Presse