Quelques flocons tombent timidement sur le Vieux-Terrebonne lors d’un mercredi matin voilé de mai, ce qui trahit toute conception d’un été imminent. Raphaëlle Tousignant entre en trombe dans le café Brûlerie de la Rivière, où elle a convié La Presse.

« Désolée d’être arrivée un peu juste », lance-t-elle alors qu’une reprise de Free Fallin’, par John Mayer, joue en arrière-plan et que la neige fond à vue d’œil sur son veston noir et sur ses mèches blondes. « Je crois qu’ils installent les terrasses ou ils font de la construction », précise-t-elle.

Une fois son café glacé à la main, elle s’installe sur une banquette de cet estaminet rustique, presque western, pour parler de ses défis, ses réalisations, ses moments de doute comme d’allégresse.

C’est un peu à l’image des dernières semaines de la joueuse de parahockey. Les choses changent et sont remplies de surprises – bien plus grandes que le retour des terrasses.

Il y a deux semaines à peine, Raphaëlle a appris qu’elle représentera le Canada au Championnat du monde masculin, qui se tiendra à la fin du mois. Elle deviendra alors la première femme à prendre part à une compétition masculine d’envergure de parahockey en arborant le chandail de l’unifolié.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DU DÉFI SPORTIF ALTERGO

Raphaëlle Tousignant en action

En un claquement de doigts, Raphaëlle est devenue le visage du parahockey féminin et possiblement du parahockey canadien.

« Je ne réalise pas encore tout ce que ça implique, admet-elle. J’ai eu ce rôle de porte-parole par la bande. Certains jours, j’embrasse ce rôle, d’autres, moins. Je ressens une petite pression supplémentaire, car je me dis que je représente le parahockey féminin au complet. Je me dis, c’est quoi, le message ou l’impact que ça envoie si je n’ai pas le tournoi que je souhaite ? C’est une pression que je mets moi-même.

« Mais je suis aussi contente d’avoir ce titre. Dans les dernières années, je m’étais faite à l’idée que mon rôle était juste d’ouvrir les portes aux futures générations. Je me disais que si je n’allais pas aux Jeux paralympiques, mais que j’étais capable de faire avancer le sport du côté masculin pour le développer du côté féminin, peut-être que les futures générations n’auraient pas à se soucier de savoir si elles pourront aller aux Jeux paralympiques. Car quand j’ai commencé, je croyais que je pouvais y aller. »

En fait, c’est le rêve de Raphaëlle. Celui d’un jour porter les couleurs du Canada aux Jeux paralympiques, et ce, dans son sport. Le hic, c’est que le volet féminin n’existe pas au parahockey. Le constat près de 30 ans après l’intégration de ce sport au programme paralympique : seulement trois femmes y ont participé, et jamais du côté des deux puissances nord-américaines, le Canada et les États-Unis.

Une affirmation qui pourrait devenir caduque après les Jeux de Milan-Cortina alors que l’attaquante sera assurément dans les plans de la direction canadienne.

Frappée par le destin

Raphaëlle n’était pas prédestinée à devenir la prochaine première de classe du parahockey.

Jeune, elle s’intéresse à de multiples sports comme le soccer et la danse. C’est toutefois à 8 ans que son père l’initie à la ringuette, un sport duquel elle tombe amoureuse.

Deux années plus tard, elle subit une vilaine chute en jouant à son sport favori. « Je pensais que c’était un bleu, se rappelle-t-elle. Mais plus ça allait, plus c’était pire. Ça chauffait beaucoup et je n’étais plus capable de dormir sans ice pack. »

Quelques mois plus tard, la cause de ses douleurs est connue et porte un nom : l’ostéosarcome. Ce type de cancer des os s’est installé dans sa hanche droite et dans son nerf sciatique.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Raphaëlle Tousignant à l’hôpital en 2012

Deux grandes options ont émergé. Elle pouvait soit avoir une « jambe molle » qu’elle « traînerait » pour le restant de ses jours, ou une amputation de sa jambe droite. Après avoir analysé le pour et le contre, elle se fait amputer la jambe droite à 10 ans.

« Le seul point pour lequel toute ma vie s’arrêtait, c’était pour le sport. J’ai pleuré quand j’ai su que j’allais me faire amputer. Ce n’était pas parce que je n’allais plus marcher, car il y a des options pour ça, mais vraiment parce que j’avais peur de ne plus pouvoir faire de sport », se souvient-elle.

Quand mon père m’a trouvé le parahockey, il n’y avait plus de problème.

Raphaëlle Tousignant

Un rêve cultivé

Puisqu’elle devait faire des traitements de chimiothérapie après l’amputation, Raphaëlle a dû attendre encore avant de retrouver l’activité physique et surtout de renouer avec la glace. Quand, après une année d’attente, elle essaie enfin le parahockey, c’est le coup de foudre.

« J’ai tout de suite dit à mon père que je voulais faire l’équipe nationale féminine, se remémore Raphaëlle Tousignant. Il m’a dit : “wô, commence par tenir sur ta luge, on verra après”. »

De fil en aiguille, Raphaëlle progresse. À seulement 14 ans, elle se taille un poste avec l’équipe féminine sénior. À 16 ans, elle représente le Québec chez les hommes lors des Championnats nationaux.

Toute cette lancée est freinée par la COVID-19. Une pause presque salutaire. En plus de se rétablir de quelques blessures, elle prend en main sa nutrition et sa préparation physique et mentale pour devenir une athlète de niveau international.

Tout était en place pour l’éclosion de Raphaëlle Tousignant. À 20 ans, c’est la consécration.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Raphaëlle Tousignant en conversation avec notre journaliste Justin Vézina

Elle est invitée à participer à une série de matchs contre les Américains, tout en sachant que les joueurs sont en audition pour une place au Championnat du monde. Or, l’attaquante voit surtout ce camp comme un endroit où les joueurs déjà dans l’équipe viennent confirmer leur statut.

Elle y connaît « le camp de sa vie » et à sa plus grande stupéfaction, elle est choisie pour le Championnat du monde.

Jamais de la sainte vie je n’ai cru que j’étais dans l’équation. Jamais. Je n’avais pas fait l’équipe avant, alors je n’étais pas en évaluation. J’ai fait le camp et j’étais confiante, je jouais super bien et les joueurs en parlaient.

Raphaëlle Tousignant

Que veut-elle dire par « les joueurs en parlaient » ?

Eh bien, ses coéquipiers avaient un droit de parole sur les sélections. Ils devaient tous mentionner un joueur ou, dans ce cas précis, une joueuse s’étant particulièrement démarqué lors des rencontres et qui méritait sa place pour le Mondial qui sera disputé à Moose Jaw à la fin de mai. Le nom de Raphaëlle est sorti de façon quasi unanime, et le tour était joué.

« J’étais un peu sous le choc, avoue-t-elle. Encore à ce jour, je le réalise, mais pas complètement. On dirait que j’ai tellement voulu ça pendant des années et même si ça arrive, on dirait que je vais juste y croire quand je vais y être. Ce n’était vraiment pas prévu. Je n’ai même pas pleuré quand j’ai appris la nouvelle alors que les coachs, oui. »

C’est un autre jalon pour Raphaëlle Tousignant la parahockeyeuse. Un autre exploit pour la pionnière. Et surtout, le début de quelque chose de grand pour la future paralympienne. « Mais pour l’instant, je ne vais qu’être Raphaëlle », ose-t-elle tempérer.