(Sherbrooke) Les histoires de repêchage sont souvent marquées par l’exaltation. Souvent, aussi, par la déception.

La déception d’avoir perdu des rangs, des tours. Celle d’avoir été totalement ignoré une année. Parfois deux. La désillusion, cela va de soi, est proportionnelle aux attentes.

Justin Gill, lui, ne fait pas de cachettes. En 2021 et en 2022, il n’y a pas eu de surprise pour lui. « Je savais que ça n’arriverait pas. »

« Comme n’importe quel joueur junior de 17 ans, je voulais être repêché dans la LNH, rappelle-t-il. Mais à ce stade-là de ma carrière, j’étais loin d’être là. Je n’étais même pas près d’être considéré. »

Assis dans les gradins du Palais des sports Léopold-Drolet, à Sherbrooke, ce n’est pas la tête basse que Gill prononce ces paroles. D’une part, son équipe, le Phœnix, amorcera ce samedi une série relevée contre les Mooseheads d’Halifax, en demi-finale de la LHJMQ. D’autre part, le plus récent classement de la Centrale de recrutement de la LNH a placé le joueur de centre au 116e rang chez les patineurs nord-américains. Il est ainsi 10e parmi les joueurs du circuit québécois. Aussi bien dire qu’à 20 ans, et à sa troisième année d’admissibilité, Gill n’a jamais eu de meilleures chances d’être sélectionné par une équipe de la LNH.

« Je ne sais pas trop ce qu’il a fait pendant l’été, mais ça a marché ! », lance en riant son coéquipier et compagnon de trio Joshua Roy. Ce dernier souligne prestement qu’il s’agit d’une blague. Car tout le monde, à Sherbrooke, sait ce qui a changé pour Gill.

Le principal concerné parle d’un « mélange » de plusieurs facteurs. Il a sué sang et eau pendant la dernière saison morte pour arriver au camp d’entraînement du Phœnix dans une forme olympique. Il évoque aussi une plus grande maturité physique, attribuable, selon lui, à l’expérience acquise au fil des années. « Rendu à 19 ans, tu es dans les plus vieux, tu as appris des autres avant toi, tu as joué beaucoup de matchs, en saison et en séries éliminatoires, énumère-t-il. Cette expérience-là amène une certaine mentalité. »

Motivation

Il évoque aussi une meilleure « préparation », notamment sur le plan mental. Non seulement il a été fouetté par ce qu’il appelle les « échecs » du passé, mais il a en outre profité d’une dose de motivation inattendue.

Les Canucks de Vancouver l’ont invité à leur tournoi des recrues, dans l’Ouest canadien, en septembre dernier. Son passage là-bas ne lui a pas valu d’invitation au camp d’entraînement du grand club, mais il en est revenu avec une perspective nouvelle sur son propre développement.

Ça m’a fait réaliser que j’étais capable de rivaliser avec des jeunes de la Ligue américaine ou des gars qui venaient de finir leur stage junior, confirme-t-il. Ç’a été tout un boost de confiance. J’ai pris tout le bagage que je pouvais.

Justin Gill, à propos de sa participation au tournoi des recrues des Canucks de Vancouver

De retour à Sherbrooke, la magie a opéré. À ses trois premiers matchs de la saison, il a inscrit six buts.

« J’étais flabbergasté ! », se remémore l’entraîneur-chef Stéphane Julien, ajoutant dans la foulée que ce départ canon a eu lieu en l’absence de la vedette offensive du Phœnix, Joshua Roy, qui était encore au camp du Canadien à Montréal.

Justin Gill est, à ses yeux, le joueur « qui a le plus progressé dans l’équipe ». Le dirigeant rappelle la transaction qui l’a amené à Sherbrooke de Charlottetown en janvier 2021, au plus fort de la pandémie de COVID-19. À l’évidence, son moral n’était pas à son sommet – « il se cherchait un peu ». Les premiers signes d’amélioration se sont manifestés la saison dernière. Puis est venu ce fameux camp à Vancouver, le « bonbon » dont son joueur de centre avait besoin.

Explosion

Les astres, donc, se sont alignés. Gill a amassé 93 points, dont 44 buts, en 68 matchs, soit davantage que la production cumulée de ses trois premières campagnes dans la LHJMQ. Une démesure par rapport à ses sommets personnels de 20 buts et 46 points de 2021-2022.

Il a travaillé tellement fort ! Tout ce qui lui arrive, il le mérite. On a su très vite qu’il allait connaître une bonne saison. Il a gagné en vitesse ; en fait, tout son jeu est monté d’une coche. En plus, c’est l’ami de tout le monde, ici. On est tous vraiment contents pour lui.

Joshua Roy, coéquipier de Justin Gill

Les équipes de la LNH trouveront chez lui un athlète « qui a tout pour jouer chez les pros », insiste Stéphane Julien. « J’ai vu des joueurs beaucoup moins talentueux que lui être repêchés », dit-il. Son tir est digne des ligues majeures, entend-on à son sujet.

Patineur hargneux sans être le plus costaud de sa génération (6 pi 1 po, 190 lb), Gill dit de lui-même qu’il se voit jouer « dans toutes les situations », mais qu’il devra encore travailler sur sa vitesse et son agilité « pour atteindre le prochain niveau ».

À deux mois du repêchage, il garde la tête froide au sujet de son avenir. Le classement de la Centrale de recrutement, « c’est sûr [qu’il l’a] regardé », avoue-t-il. « J’essaie de ne pas trop me faire d’attentes », ajoute-t-il, conscient de la froide réalité de son industrie, mais aussi des autres voies, hors repêchage, pour trouver du travail dans les professionnels.

« [Néanmoins], si ça doit arriver, je vais être super content », souffle-t-il, un sourire timide aux lèvres.

On le serait à moins.

Justin Gill en bref

  • Né le 27 janvier 2003 à Montréal
  • Repêché au 2e tour (32e au total) par les Islanders de Charlottetown en 2019
  • Ignoré deux fois au repêchage de la LNH (2021, 2022)
  • 9e pointeur de la LHJMQ en 2022-2023 (93 points)