La dégelée de 7-3 subie au premier match. La leçon de hockey des joueurs soviétiques. La stupeur partout au Canada. Puis la renaissance de la formation unifoliée et, évidemment, le but de Paul Henderson.

Cinquante ans plus tard, on finit par supposer qu’à peu près tout le monde peut résumer les grandes lignes de la Série du siècle. Mais est-ce vraiment le cas ? Et à quel point en connaît-on toutes les ramifications politiques ?

Le visionnement du long métrage documentaire Révolution sur glace (Ice Breaker, dans sa version originale anglaise), du réalisateur montréalais Robbie Hart, justifie ces questions. Et confirme qu’un demi-siècle plus tard, des zones d’ombre subsistaient.

C’est une « drôle de coïncidence », survenue il y a deux ans, qui l’a incité à revisiter cette série de huit matchs qui a marqué les esprits. Ce résidant du Mile End est tombé par hasard, dans une boîte de livres gratuits laissée près de chez lui, sur l’ouvrage Cold War, publié en 1997 à l’occasion des 25 ans de l’évènement.

« Après 30 pages, j’ai réalisé que je n’avais qu’une connaissance superficielle de la Série du siècle », raconte Robbie Hart au bout du fil. Celui-ci avait pourtant suivi la série, à l’époque, alors qu’il sortait tout juste de l’enfance. Un rapide sondage auprès de ses proches a confirmé que, pour les personnes de son âge, le souvenir se résumait en « des informations générales ». Et que bien des représentants des plus jeunes générations « ne savaient même pas que la série avait eu lieu ».

« Ça m’a beaucoup motivé », ajoute Hart. Sa maison de production s’est donc associée à un producteur torontois. Ce dernier l’a orienté vers le journaliste Roy MacGregor, encyclopédie vivante de la Série du siècle. Et MacGregor l’a présenté à Gary Smith, ex-diplomate à l’ambassade du Canada à Moscou, qui a joué un rôle clé en coulisses avant et pendant la Série. Smith est d’ailleurs le personnage central du film.

« Je voulais avoir un regard différent de celui des joueurs, qui est déjà très documenté, explique Robbie Hart. C’est une cassette assez redondante. Je voulais élargir le discours et approfondir notre regard sur le sujet. »

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

L’ex-diplomate Gary Smith (avec une casquette rouge) et le documentariste Robbie Hart (à droite) pendant le tournage du film à Moscou

Témoignages

Deux catégories d’intervenants se dégagent dans le long métrage.

D’abord des témoins extérieurs à l’évènement. Par exemple, des partisans de l’époque, certains peu connus, d’autres un tout petit peu plus, comme Wayne Gretzky. Des journalistes et des entraîneurs offrent aussi des analyses inédites, parfois surprenantes.

Ensuite, des acteurs de la Série elle-même. L’angle diplomatique est bien sûr abordé, mais également celui du hockey. Apparaît ainsi à l’écran Alan Eagleson, directeur général de l’équipe canadienne de 1972. Tombé en disgrâce des années plus tard après avoir été reconnu coupable de fraude, il n’en a pas moins été l’architecte de cette formation tout étoiles. À presque 90 ans, l’ex-avocat et agent est en grande forme, le verbe aussi clair que ses souvenirs.

« C’était un gros coup de l’avoir, affirme Robbie Hart. C’est lui qui a réuni l’équipe, avec [l’entraîneur-chef] Harry Sinden. Ce serait une erreur de ne pas donner la parole à ce protagoniste. »

La caméra de Hart se déplace aussi à Moscou, où l’équipe de tournage a rencontré l’ex-gardien Vladislav Tretiak ainsi que d’ex-coéquipiers de l’époque, les attaquants Alexander Yakushev et Boris Mikhailov.

« Il fallait donner la parole aux Russes », insiste Hart. C’est Tretiak lui-même, aujourd’hui président de la fédération de hockey de son pays natal, qui a rendu ces rencontres possibles.

Un moment fort du film réside justement dans la visite du gardien au Palais des sports Loujniki, où se sont déroulés les matchs 5 à 8. Tretiak relate alors, à même la patinoire, la dernière minute de l’ultime match, qui s’est soldé par le triomphe canadien. Pendant le tournage, Hart savait combien il vivait « quelque chose de spécial ».

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Sur la patinoire du Palais des sports Loujniki, l’ex-gardien de but Vladislav Tretiak relate la dernière minute de l’ultime match.

Critique

Le cinéaste s’est efforcé de porter un regard critique sur l’équipe canadienne, notamment sur son style de jeu brutal. Des images d’archives, par exemple, rappellent les remontrances qu’adresse le public canadien à ses joueurs pendant les matchs disputés à Winnipeg et à Vancouver. Les rencontres hors concours disputées en Suède avant l’arrivée en Union soviétique et conclues dans la bagarre sont aussi abordées. À l’époque, les médias canadiens avaient conspué l’équipe.

Le film se conclut néanmoins sur un crescendo d’amour envers le hockey canadien. « Il ne faut pas non plus nier ce qui est arrivé : ils ont quand même gagné les trois derniers matchs ! », s’exclame Robbie Hart, rappelant que c’est réellement cette victoire qui a « donné naissance à Équipe Canada ».

Après avoir présenté son film partout au pays, Hart est emballé d’enfin le dévoiler au public montréalais. Le documentaire prendra l’affiche au cinéma du Parc ce lundi, d’abord en version originale en anglais puis avec sous-titres français dès mercredi. Des ententes doivent encore être conclues, mais le réalisateur aimerait bien le voir diffusé dans d’autres salles indépendantes de la province. Révolution sur glace sera en outre présenté sur les ondes de RDS à la fin du mois de décembre.

Soutenu par Patrimoine canadien, Robbie Hart fera aussi, en 2023, une tournée des écoles pour faire découvrir son film et la Série du siècle aux élèves québécois et canadiens.

« Je pense que ça demeure un sujet d’importance pour les jeunes d’aujourd’hui », croit-il.

Pas juste pour les jeunes, en fait.