Si la LNH a été prompte à déclencher une enquête sur les allégations de viol collectif remontant à 2018 qui pèsent sur certains de ses joueurs, il est loin d’être acquis que les conclusions qu’elle tirera de l’exercice seront éclairantes et que des sanctions en découleront.

Deux juristes ont confié à La Presse qu’ils doutaient sérieusement que la ligue identifie des coupables et les punisse, que ce soit par le truchement d’amendes ou de suspensions. Deux administrateurs d’équipes de la LNH ont quant à eux avoué qu’ils ne savaient franchement pas à quoi s’attendre de cette enquête.

Le monde du hockey est en émoi depuis qu’on a appris, en mai dernier, que Hockey Canada avait conclu une entente à l’amiable avec la victime présumée d’une agression sexuelle de groupe. Les évènements seraient survenus en juin 2018, en marge du banquet annuel de la fondation de l’organisme à London, en Ontario.

Dans une poursuite au civil, une jeune femme affirmait avoir été prise d’assaut par huit joueurs de la Ligue canadienne de hockey, dont la plupart avaient fait partie de l’équipe nationale junior cette année-là.

L’écrasante majorité des joueurs de cette formation (20 sur 22) évoluent aujourd’hui dans la LNH. À ce jour, l’identité des suspects n’a pas été dévoilée.

Presque sur-le-champ, le commissaire du circuit, Gary Bettman, a annoncé le déclenchement d’une enquête. Quelques heures avant le repêchage, en juillet dernier, il a qualifié les actes allégués d’« horribles, horrifiants et inacceptables », promettant d’« aller au fond de cette affaire [afin] d’avoir une compréhension complète de qui a fait quoi ».

Tous les joueurs de l’équipe seraient interrogés, a-t-il assuré. L’enquête est menée par Jared Maples, vice-président exécutif de la sécurité du circuit. Dans une entrevue à Sportsnet, le commissaire adjoint Bill Daly a affirmé que les entrevues avec les joueurs devaient être menées à la fin du mois d’août et que la ligue avait eu accès à une déposition écrite de la victime alléguée ainsi qu’à des messages textes et des photos préalablement fournies à la police de London.

PHOTO EMMI KORHONEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Bill Daly, commissaire adjoint de la LNH

M. Daly avait exprimé le souhait que, « dans un monde idéal », l’enquête soit conclue avant que ne s’amorcent les camps d’entraînement. Or, la saison 2022-2023 est maintenant vieille d’un mois, et rien n’a encore émané des bureaux de la LNH. « Nous sommes plus près de la fin que du début, mais aucun échéancier n’a été établi pour la fin de l’enquête », nous a indiqué un porte-parole dans un courriel.

Doutes

La Presse a consulté deux experts en droit du sport pour tenter de voir plus clair dans ce processus délicat. Les deux ont affirmé avoir des attentes assez faibles quant à la possibilité réelle que les suspects soient identifiés et punis par la ligue.

David Pavot, titulaire de la Chaire de recherche sur l’antidopage dans le sport de l’Université de Sherbrooke, se dit « circonspect sur la capacité d’enquête de la LNH ». « Ce sont des faits qui se sont passés il y a plusieurs années, rappelle-t-il. La collecte de preuves me semble extrêmement complexe. »

Deux enquêtes au sujet des allégations de 2018 n’ont à ce jour rien donné. La première, menée par la police de London, a été fermée en 2019 sans que des accusations criminelles soient déposées. La seconde, menée par une firme d’avocats mandatée par Hockey Canada, a été fermée en 2020.

Des audiences devant le Comité permanent du patrimoine canadien, à Ottawa, ont toutefois révélé que l’exercice avait été bâclé, alors qu’à peine une dizaine de joueurs avaient témoigné. Les deux enquêtes ont depuis été rouvertes.

Benoit Girardin, président-directeur général de LBB Stratégies et professeur de droit du sport, insiste donc sur l’importance pour la ligue, peu importe les conclusions qu’elle tirera, de démontrer qu’elle a procédé à « une enquête sérieuse et complète ».

« Si elle fait ça, elle va déjà marquer des points, croit-il. Mais si elle parle du processus à mots couverts et que rien ne sort de l’enquête, elle perdra beaucoup en crédibilité. » Lui non plus ne s’attend pas à ce que des sanctions soient imposées.

M. Girardin souligne à quel point la LNH a entre les mains un dossier complexe. Des intérêts commerciaux sont inévitablement en jeu, puisque la plupart des suspects potentiels sont de jeunes joueurs prometteurs, voire de futures vedettes du circuit. D’ailleurs, croit-il, la ligue aurait eu avantage à recourir à un enquêteur externe afin justement de s’affranchir de tout soupçon de conflit d’intérêts.

Inédit

Invoquant l’enquête en cours, l’Association des joueurs de la LNH a décliné notre demande de commentaires.

La convention collective liant la ligue à ses joueurs investit précisément le commissaire d’un pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions à la suite de gestes commis hors de la patinoire. Gary Bettman est donc en droit de suspendre un joueur, de lui imposer une amende ou même de faire résilier son contrat.

Le caractère inédit du présent exercice réside plutôt dans la cause à évaluer. Prenons deux exemples largement médiatisés des dernières années. En 2014, Slava Voynov, des Kings de Los Angeles, a été suspendu indéfiniment après avoir été arrêté et accusé de violence conjugale. En 2018, suivant une accusation similaire, Austin Watson, des Predators de Nashville, a écopé de 27 matchs de suspension.

Dans l’affaire de Hockey Canada, aucune accusation criminelle n’a encore été déposée. Il revient donc à la ligue de déterminer le fil des évènements et de juger du niveau de consentement de la victime.

Dans la poursuite qu’elle a intentée, celle-ci affirme avoir été agressée. Les avocats des suspects, dans un reportage publié par le Globe and Mail, ont plutôt argué que la jeune femme avait consenti aux actes qu’elle dénonce.

« La ligue doit se référer aux notions juridiques sur le consentement comme l’ont établi nos cours au Canada. Elle n’a pas le choix », souligne Benoit Girardin. Cela dit, le verdict à rendre n’est pas soumis, contrairement à un procès devant une cour de justice, « au même degré de preuve hors de tout doute raisonnable ».

David Pavot rappelle quant à lui qu’il existe une nécessaire « déconnexion entre le disciplinaire et le criminel ». Une organisation n’est donc pas tenue de lier ses actions à des accusations déposées par l’appareil judiciaire.

« Une enquête criminelle peut prendre des années, alors qu’une enquête disciplinaire est bien plus rapide », dit-il.

Des administrateurs de haut rang d’équipes de la LNH consultés par La Presse n’ont pas caché qu’ils étaient totalement dans le noir quant aux conclusions à attendre de l’enquête en cours.

L’un d’eux avance que si des sanctions devaient être imposées, il serait souhaitable qu’elles surviennent avant le prochain championnat mondial junior, qui s’amorcera fin décembre.

Si la ligue sévit, les joueurs pourraient interjeter appel ; la cause serait alors entendue par un arbitre indépendant. Encore faudrait-il qu’ils soient soutenus par l’Association des joueurs. L’un des administrateurs interrogés doute sérieusement que des agents montent au front.

Positif

Les deux juristes que nous avons consultés soulèvent néanmoins que l’existence même de l’enquête peut avoir un impact positif sur le circuit et sur la pratique du hockey en général.

« C’est très positif de voir que des organes de gouvernance sportive sautent finalement dans le train en marche, note David Pavot. Ils n’ont plus le choix d’emprunter la voie de l’intégrité, de se mettre au diapason du reste de la société. »

« Les ligues ont trop laissé passer de choses dans le passé, abonde Benoit Girardin. Dès qu’il y a des cas de harcèlement ou d’autres crimes physiques, même de nature économique, elles devront automatiquement déclencher un processus disciplinaire qu’on espère indépendant. »

Partout dans le monde, les organisations sportives font le ménage. Elles ne peuvent plus faire autrement, leur image est trop importante.

Benoit Girardin, président-directeur général de LBB Stratégies et professeur de droit du sport

Cela ne vient toutefois pas avec un impératif de résultats. Même si l’enquête de la LNH se révélait non concluante, « c’est intéressant si ça amène à réviser les façons de faire », enchaîne David Pavot. « Ça envoie le signal qu’on siffle la fin de la partie. »

Bien qu’il souligne à gros traits l’impact positif de l’enquête, le professeur réitère ses attentes « mesurées ». « C’est quand même un circuit qui n’a même pas de règles antidopage claires… »

L’exercice est « salutaire », dit-il. « Mais est-ce que la montagne va accoucher d’une souris ? On verra. »