Ceux qui ont suivi le repêchage à la maison ont dû noter une incongruité. Pendant que Frank Nazar était sur la scène et enfilait le chandail des Blackhawks en tant que 13e choix, les spectateurs du Centre Bell se sont mis à hurler.

Le fan club de Nazar ? Une délégation de partisans des Blackhawks ? C’était plutôt une ovation pour Juraj Slafkovsky, qui sortait de l’arrière-scène du Centre Bell pour se diriger vers les coursives du niveau 100, afin de se rendre sur le plateau de TVA Sports.

Relisez notre couverture en direct du premier tour du repêchage

Le nouvel espoir du Canadien recevait un accueil digne d’une vedette rock. Il distribuait les « tope là » de chaque côté de l’escalier. « Slaf-kov-sky, Slaf-kov-sky ! », scandaient-ils, cris suivis des habituels « Olé, olé, olé ».

Une fois dans les coursives, les amateurs se ruaient vers Slafkovsky. Parmi eux, on aperçoit un ado avec un chandail du Canadien au numéro 51. Pas pour David Desharnais, Francis Bouillon ou Andrei Kovalenko. C’était un chandail de Shane Wright, autographié par Wright, de surcroît.

« Je pourrai dire que j’ai le premier chandail signé du Canadien de Shane Wright ! », nous lance Mark Friedman, l’ado en question.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Mark Friedman tenant son chandail autographié par Shane Wright

Rencontre avec Molson

À en juger par la réaction des spectateurs, la sélection de Slafkovsky en a pris plus d’un par surprise. Même si le nom du Slovaque revenait toujours parmi les candidats, la candidature de Wright était dure à écarter, parce que le Canadien a des trous à combler au centre, et parce que Wright est attendu depuis 2019 comme le premier de classe de cet encan.

En fait, Slafkovsky lui-même s’est dit pris par surprise !

Je n’ai même pas entendu mon nom ! J’ai simplement entendu “Slovaquie” et j’étais vraiment en état de choc, je n’écoutais plus, je tremblais et j’avais des frissons. C’est un moment incroyable.

Juraj Slafkovsky

À sa décharge, le Canadien a fait tout un travail pour brouiller les pistes. Vincent Lecavalier et Martin St-Louis, par exemple, ont tous les deux appelé Wright il y a deux semaines, mais pas Slafkovsky.

Cela dit, le grand Slovaque a eu droit à une invitation de dernière minute avec l’état-major du CH cette semaine. Cette rencontre devait avoir lieu lundi, à son arrivée à Montréal, mais comme son vol a été retardé, il est arrivé plus tard que prévu en ville. La rencontre a été reportée à jeudi et, tiens donc, Geoff Molson y a assisté, ce qui n’était pas prévu à l’origine.

Quand on arrive dans la salle et que le proprio y est, on doit bien se douter que quelque chose se trame, non ? « J’étais très surpris. Ils ont dit qu’il voulait assister à la réunion. Donc j’étais content qu’il y soit, même si on ne s’est pas parlé.

« Ils ne m’ont rien demandé de spécial. On a juste parlé pendant 20 ou 30 minutes. À la fin, ils ont dit : “Bonne chance. On t’aime.” Mais je ne savais pas que j’étais leur choix. »

Lui ne le savait pas, mais en fin de journée, des gens de l’entourage de Wright commençaient à se faire dire que le centre des Frontenacs de Kingston ne serait pas l’heureux élu du CH. Kent Hughes, lui, a dit que sa décision était prise mercredi matin, à 36 heures du repêchage. Ce qui a pesé dans la balance ?

« Des joueurs qui patinent, qui ont un côté physique, qui marquent, il n’y en a pas beaucoup, a rappelé Hughes, en fin de soirée. Ce qui revenait souvent, c’est que Juraj, même au Championnat du monde, il veut faire la différence, il veut avoir la rondelle. En entrevue, une de nos questions, c’était : “Qu’est-ce que tu aimes le plus au hockey ?” Il a dit que c’est d’être sur la glace quand c’est 4-3, qu’on mène 4-3 ou qu’on perde 4-3. »

Hughes a ajouté que la personnalité du jeune homme, qui a quitté le domicile familial à 14 ans pour jouer à un meilleur niveau, militait aussi en sa faveur. « Je pensais qu’il vivait en pension, ou que ses parents étaient avec lui, mais non. Je lui ai dit : “Comment cuisinais-tu ?” Il a répondu : “Avec un four !” »

Bilan mitigé

Kent Hughes lui-même l’a affirmé : « Si quelqu’un avait un bilan impeccable, notre décision serait facile à prendre. »

Si certains recruteurs avaient leurs réserves au sujet de Wright, de son intensité notamment, d’autres avaient des réserves à l’égard de Slafkovsky, qui a brillé sur la scène internationale, mais qui a aussi connu une saison modeste chez les pros en Finlande. Il a passé la saison chez le TPS Turku, où il a inscrit cinq buts et cinq passes en 31 matchs.

Aux Jeux olympiques, cependant, le géant de 6 pi 4 po et 229 lb a inscrit sept buts en sept matchs pour la Slovaquie, avant d’ajouter neuf points (trois buts, six passes) en huit matchs au Championnat du monde sénior.

Sa production à Turku a d’ailleurs été supérieure après les Jeux olympiques. Il ne comptait que quatre points en 21 matchs avant les JO, et en a amassé six en 10 matchs après Pékin. À sa défense, il était confiné à un rôle très réduit avant les Jeux. « Après ses sept buts aux Jeux, son entraîneur n’avait plus vraiment le choix de le faire jouer ! », nous a fait valoir un recruteur.

Mais en séries, toujours avec une utilisation bonifiée, il a été limité à deux buts et cinq passes en 18 matchs.

Sauf qu’un ailier de sa taille, décrit par le service indépendant de recrutement Hockey Prospects comme « un dynamique attaquant de puissance, qui attaque les défenses adverses », « toujours en mouvement », c’était visiblement trop dur à ignorer pour Hughes. Au point qu’il était prêt à ignorer un centre, un besoin qu’il a tenté de combler en obtenant Kirby Dach dans une transaction.

« C’est sûr que les centres ont de la valeur. Mais sinon, tu peux en trouver un sans le repêcher. On en a trouvé un. En même temps, le nombre d’appels qu’on reçoit pour Josh Anderson est incroyable, donc il y a aussi de la demande pour un joueur capable de marquer et qui est imposant physiquement », a déballé le DG.

Accueil mitigé

Sachant tout cela, Slafkovsky a reçu quelques huées lors de son passage sur le tapis rouge, à son arrivée au Centre Bell. Parce que oui, il y a des gens qui huent des jeunes de 18 ans qui n’ont pas encore mis le pied sur une patinoire de la LNH…

Mark Friedman, notre ami cité plus tôt, n’était pas du nombre, même s’il portait un chandail de Wright.

« Je n’ai pas entendu les huées, nous raconte Mark. Pour ma part, je ne l’ai pas hué. Mais j’avais apporté une casquette des Devils pour la lui faire signer. Je pensais qu’il allait au New Jersey ! »

Slafkovsky, lui, les a entendues. Et il a répondu comme lui seul sait le faire, avec sa répartie habituelle.

« Le hockey est leur passion, la mienne aussi. Peut-être que certains d’entre eux ne m’aiment pas. Mais je vais faire tout mon possible pour bien jouer pour cette équipe et peut-être qu’un jour, ils m’aimeront. »

La réconciliation est visiblement entamée.