De quelle manière une équipe faible offensivement et faible défensivement atteint-elle les séries éliminatoires ?

Grâce à des unités spéciales efficaces. Grâce à un gigantesque fossé entre les clubs les plus forts et les plus faibles de sa conférence. Et surtout, surtout, grâce aux prouesses de son gardien.

Igor Shesterkin, des Rangers de New York, remportera cette saison le trophée Vézina. On le sait depuis des mois. Et il recevra certainement des votes pour le trophée Hart, qui couronne le joueur le plus utile à son équipe.

Seulement trois gardiens, à ce jour, ont maintenu un taux d’efficacité en saison égal ou supérieur à ,935 tout en amorçant au moins 50 matchs : Tim Thomas en 2010-2011, Dominik Hasek en 1998-1999 et Igor Shesterkin en 2021-2022. Le Russe vient littéralement de conclure l’une des campagnes les plus prolifiques de l’histoire de la LNH sur le plan individuel.

Mais il est humain. C’est un problème pour son équipe, qui s’est inclinée par la marque gênante de 7-2 lundi à Pittsburgh. Les Penguins s’emparent ainsi d’une avance de 3-1 dans cette série de premier tour, qui pourrait se conclure dès mercredi à New York.

PHOTO CHARLES LECLAIRE, USA TODAY SPORTS

Jake Guentzel et Bryan Rust

Lors du premier match de la série, Shesterkin a été un surhomme, malgré la défaite des siens. Les 83 tirs qu’il a reçus en quelque six périodes ont frôlé un record de la ligue. Lors du deuxième match, celui-là gagné par les New-Yorkais, il a été excellent, repoussant 39 des 41 rondelles dirigées vers lui.

Or, on tend à l’oublier, mais une collision entre Jeff Carter et lui est survenue en fin de rencontre ce soir-là. Le contact, très bas au niveau des jambes, n’était pas le plus violent. Le gardien venait d’éviter son propre défenseur, et Carter a semblé vouloir le contourner. Mais Shesterkin a néanmoins été propulsé dans les airs et il est resté étendu sur la glace un long moment avec un thérapeute du sport avant de se relever.

Est-ce qu’il s’est blessé sur cette séquence ? Bonne chance pour le savoir. Mais le fait est que depuis le début du match suivant, ça ne fonctionne plus du tout pour lui.

En un peu moins de 54 minutes de jeu à cinq contre cinq réparties entre les troisième et quatrième matchs, le site spécialisé NaturalStatTrick calcule que Shesterkin était sur la glace pour 3,61 buts attendus de l’adversaire. Il en a toutefois accordé sept. Toutes situations confondues, il n’a arrêté que 77,8 % des tirs qu’il a affrontés.

Il s’agit là de chiffres surréels pour un portier qui, pendant la saison, avait « sauvé » 24 buts – la différence entre les buts attendus et les buts accordés.

Le pire match

Juste à le regarder, on constate que le gardien de 26 ans n’est pas dans son état normal. Mais il n’y a pas que cela.

Devant lui, les Rangers ont disputé ce qui est peut-être le pire match qu’on pourrait imaginer d’une équipe en séries. Toujours selon NaturalStatTrick, les Penguins ont remporté la guerre des chances de marquer de qualité à cinq contre cinq par le score démesuré de 20 à 1. Rarement a-t-on vu un effondrement de la sorte. On croyait que les Rangers avaient atteint le fond en deuxième période, mais le festival des surnombres s’est poursuivi en troisième.

On assiste, de fait, à un choc entre deux vieux rivaux, certes, mais également entre deux philosophies diamétralement opposées dans la construction d’une franchise.

Le modèle des Rangers, c’est celui d’une reconstruction accélérée, donc incomplète. Quelques joueurs d’exception, mais beaucoup de failles, notamment défensivement. On s’en remet au gardien de but, pour le meilleur et pour le pire.

Dans l’autre camp, ou a soulevé la Coupe Stanley, en 2016 et en 2017, avec peu ou pas de vedettes en défense – Kristopher Letang n’a pas joué des séries en 2017 – ou devant le filet – encore que Matt Murray a été superbe cette année-là.

Depuis ces deux conquêtes, il est devenu coutumier de parier contre les Penguins. Comme si, chaque année, Sidney Crosby et Evgeni Malkin étaient arrivés au bout de leurs exploits. Pourtant, non. Les deux grandes vedettes sont encore en pleine forme, évoluant au sein d’une formation formidablement bien entraînée qui fait rayonner des héros improbables, comme c’est le cas depuis des années dans la Ville de l’acier.

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Sidney Crosby

À 28 ans, Mike Matheson vient de connaître la meilleure saison de sa carrière. Evan Rodrigues n’avait jamais franchi la barre des 30 points ; il en a amassé 43 en 2021-2022. Jeff Carter, 37 ans, vient de conclure sa plus prolifique production en cinq ans. Danton Heinen, considéré comme un joueur de soutien, évolue désormais à la gauche de Malkin. Le défenseur Mark Friedman, 26 ans, a marqué, lundi. Le plus honnêtement du monde, combien de détails auriez-vous pu énumérer à son sujet avant la rencontre ?

Les Penguins ne gagneront peut-être pas la Coupe Stanley. Sans doute pas, en fait, puisque jusqu’à preuve du contraire, leur gardien le plus expérimenté s’appelle Louis Domingue, ce qui deviendra problématique contre des adversaires plus coriaces.

Il n’en demeure pas moins qu’ils savent comment gagner. Et ils le montrent. Les Rangers ne sont pas rendus là. C’est dommage pour eux et pour Igor Shesterkin, qui les a sortis du pétrin tellement, mais tellement souvent. Ça s’inscrit tout de même dans une nécessaire courbe d’apprentissage, en route vers ce qui sera possiblement une redoutable machine de hockey pour les années à venir.

Or, l’apprentissage se fait parfois à la dure. Ça donne des matchs comme celui de lundi.