Pendant une pause publicitaire, samedi soir, une caméra de télévision a suivi une conversation entre David Savard et Jordan Harris.

On n’entendait pas le contenu de l’échange. Mais à voir la gestuelle du Québécois de 31 ans, dont c’était le 660e match de saison dans la LNH, il était clair qu’il revenait sur une situation de jeu avec celui qui, de 10 ans son cadet, vivait son baptême du hockey professionnel.

C’est une scène qu’on pourrait revoir souvent au cours des prochaines années. Car le renouveau de la défense du Tricolore est bel et bien amorcé.

Justin Barron, 20 ans, a disputé les quatre derniers matchs de l’équipe. Corey Schueneman, 26 ans, est évidemment plus vieux, mais il n’a encore que 19 matchs d’expérience dans la LNH. Dans la Ligue junior de l’Ouest, Kaiden Guhle s’est établi comme un arrière dominant. Il sera accueilli à bras ouverts l’automne prochain, que ce soit à Montréal ou à Laval, dans la Ligue américaine. À 22 ans, Alexander Romanov apparaît soudain comme l’un des plus expérimentés du groupe.

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Alexander Romanov

Cette présence de plusieurs jeunes patineurs entraîne une modification des tâches de leurs collègues plus expérimentés. S’établir comme défenseur dans les rangs professionnels prend du temps et demande beaucoup d’encadrement. Les erreurs, inévitables, sont nombreuses ; encore faut-il en tirer des apprentissages. Les vétérans doivent, d’une part, être prêts à prendre le relais après une bourde et, d’autre part, se trouver des qualités d’enseignant.

La vague de rajeunissement de la défense que vit le Tricolore est probablement la plus flagrante depuis quelque 20 ans. Plusieurs parallèles ont déjà été dressés entre la difficile saison 2000-2001 et la présente campagne du CH. On pourrait ajouter cet élément à la pile.

À l’époque, deux défenseurs recrues ont disputé plus de 60 matchs. Andrei Markov, 21 ans, arrivait tout juste de Russie, et Stéphane Robidas, 23 ans, venait de passer trois ans dans la Ligue américaine. Leurs noms s’ajoutaient à celui de Francis Bouillon, qui n’avait qu’une saison avec le Canadien à son actif, et à ceux de Christian Laflamme, 23 ans, Sheldon Souray, 24 ans, et Craig Rivet, 26 ans, qui n’avaient alors chacun que trois saisons complètes dans la LNH.

À leurs côtés, Karl Dykhuis (28 ans), Patrice Brisebois (29) et Eric Weinrich (33) passaient presque pour des patriarches. Mais ils ont pleinement pris conscience du contexte et ont embrassé le défi qui s’offrait à eux. Brisebois a pris Markov sous son aile. Weinrich a fait de même avec Robidas.

« J’ai adoré ça », témoigne Eric Weinrich au bout du fil. Il faut dire qu’il a hérité d’un « bon étudiant » qui « faisait tout bien » et qui, lorsqu’il ne réussissait pas quelque chose, « pratiquait encore et encore jusqu’à ce qu’il y arrive ».

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Eric Weinrich dans l’uniforme du Canadien, en 2001

Brisebois, pour sa part, rappelle que « dès qu’on a vu Andrei Markov arriver, on savait qu’il serait une étoile dans la LNH ». Il n’empêche que tout était nouveau pour lui.

Taciturne, l’ancien du Dynamo ne parlait pas un mot d’anglais. Une employée de Don Meehan, l’agent des deux joueurs, suppliait le Québécois de « prendre soin » de la recrue. Brisebois a accepté et il se rappelle avoir vécu de « beaux moments » avec lui.

« Je pense qu’il a souri trois fois pendant la saison, mais je me souviens de celui qu’il m’a fait après son premier but à Philadelphie », raconte celui qui avait obtenu une mention d’aide sur le jeu.

Encadrement

Weinrich est aujourd’hui entraîneur affecté au développement chez les Devils du New Jersey. Son rôle est le même que celui que remplit Francis Bouillon chez le Canadien : suivre de près le cheminement des défenseurs repêchés par l’organisation jusqu’à leur arrivée dans la LNH.

Après avoir lui-même disputé 1157 matchs dans le circuit Bettman, il peut donc témoigner des facteurs qui contribuent au succès d’un jeune joueur, à plus forte raison s’il évolue en défense, « l’une des positions les plus difficiles » à maîtriser, selon lui.

« Passer directement du junior, de l’université ou de l’Europe à la LNH, c’est très inhabituel », estime-t-il.

Un défenseur, c’est long à développer. Même les meilleurs passent parfois par la Ligue américaine, que ce soit pour 20 matchs ou 3 saisons.

Eric Weinrich, ex-défenseur

Or, croit-il, au-delà de la proverbiale patience, il importe avant tout d’« entourer » ces joueurs. Autant au sein du club-école que dans la LNH, derrière le banc comme sur la glace, « il faut des personnes expérimentées pour les appuyer, pour les aider dans toutes les situations ».

On parlait de Savard, mais il y a aussi Joel Edmundson, chez le Canadien, qui prend déjà ce rôle à cœur. Il est jumelé à Barron depuis ses débuts avec l’équipe et, avec Christian Dvorak, il est allé souper avec Harris en Floride pour répondre aux questions du nouveau venu. Et il y a bien sûr Luke Richardson, adjoint de Martin St-Louis responsable des défenseurs et l’une des figures les plus respectées de l’équipe.

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Joel Edmundson

Autant Brisebois que Weinrich se souviennent spontanément de ceux qui leur ont servi de modèles quand ils ont accédé à la LNH. Brisebois parle de Jean-Jacques Daigneault et de Sylvain Lefebvre, qui ont été ses partenaires à cinq contre cinq, et même de Mathieu Schneider et d’Éric Desjardins qui, même s’ils ne sont pas beaucoup plus vieux que lui, l’ont accompagné en avantage numérique.

Weinrich, lui, évoque le nom de Murray Brumwell, qu’il a côtoyé à sa première saison chez les Devils d’Utica, dans la Ligue américaine. En 1988, Brumwell avait la fin vingtaine et avait surtout terminé, sans le savoir, sa carrière dans la LNH. On lui a attribué un jeune partenaire qui arrivait tout juste de l’Université du Maine, et les deux ont passé la saison ensemble.

« C’est la même chose dans tous les domaines, pas juste au hockey : quand un jeune arrive, ceux qui ont de l’expérience doivent l’aider, estime Weinrich. [Brumwell] n’était pas là où il voulait dans sa carrière, mais il m’a accompagné dans chaque entraînement, m’a poussé tous les jours. Je m’en suis souvenu toute ma carrière. »

Pratiquement tous les défenseurs le diront : leur métier, ils l’ont appris « sur le tas ». Et c’est ce que les jeunes arrières du Canadien font.

Sachant cela, on les protège des situations à risque, ou bien on les envoie dans la fosse aux lions à la première occasion ? Brisebois a choisi son camp : il a adoré voir Barron et Harris – on pourrait ajouter Schueneman – obtenir du temps de glace en prolongation au cours des derniers matchs.

« C’est comme ça qu’ils vont apprendre, martèle-t-il. Ce sont de bons patineurs, ils ont un sens offensif. Alors go ! Ils vont commettre des erreurs… mais les vétérans en font, eux aussi. C’est comme ça qu’ils vont prendre de l’expérience. Ils ont du talent. Faites-les jouer, ils vont tout donner. »