Jake Allen venait de réussir quelques vols, le dernier pour réparer une erreur de Corey Schueneman devant lui.

Dans les gradins du Centre Bell, on criait « Allen, Allen » comme on devait crier « Wamsley, Wamsley » à une autre époque au Forum. Pendant la pause publicitaire subséquente, la caméra de l’écran géant est restée sur lui, les partisans continuant à l’ovationner pendant une bonne minute.

« C’était assez cool, a dit Allen. Je venais voir jouer Carey quand j’avais 17 ou 18 ans et que je jouais dans le junior. Jouer pour cette équipe, c’est un honneur. C’était assez unique comme moment. »

Au fond, Allen a vécu une soirée typique pour un vétéran d’une équipe en reconstruction. Il a sauvé les meubles pour ses jeunes coéquipiers et leur a permis de rester dans le match. Puis, en prolongation, une erreur des jeunes Nick Suzuki et Cole Caufield, combinée à une mauvaise lecture en zone offensive du vétéran Jeff Petry, et c’était terminé.

Ses 43 arrêts n’ont pas suffi. Un but de Brad Marchand plus tard, les Bruins l’emportaient 3-2, dans un match disputé quelques heures après une date limite des transactions mouvementée pour le Tricolore.

Les départs d’Artturi Lehkonen, Brett Kulak et, avant ça, Ben Chiarot et Tyler Toffoli ne sont qu’une première étape. Kent Hughes continuera à remodeler son équipe l’été venu.

Il est encore trop tôt pour savoir si Allen en fera partie, notamment parce qu’une certaine incertitude persistera tant que Carey Price ne sera pas vu en chair et en os devant le filet dans un match qui compte.

Sauf que ce processus ne se fera pas du jour au lendemain. Les joueurs laissent généralement leurs dirigeants se mouiller sur des projections à long terme, mais Allen a eu l’honnêteté d’y aller.

Après avoir salué les transactions de Hughes, après avoir reconnu l’effet positif qu’a eu Martin St-Louis depuis son arrivée, Allen s’est montré réaliste.

« On sait que ce n’est pas une démarche d’un an et qu’on ne retournera pas immédiatement en finale de la Coupe Stanley, a lancé le Néo-Brunswickois. On en a pour deux ou trois ans. Ceux qui ne le voient pas de façon réaliste vont trouver ça difficile. Mais quand on arrivera au bout de la démarche, ça aura valu l’attente. »

Ceux qui restent

Chacun a sa façon d’aborder le processus actuel du Canadien, qu’on l’appelle reconstruction, réinitialisation ou, comme on le disait en 2003, réingénierie.

Dans son poste de nouvel entraîneur-chef, qui s’attend visiblement à être ici à long terme, St-Louis fait partie des optimistes.

Là, on sait où on est, qui est ici et on a le reste de l’année pour travailler sur notre plan, sur la façon dont on veut jouer avec les gars qu’on a. L’an prochain, je sais qu’on ne recommencera pas à zéro.

Martin St-Louis

Pour les joueurs, par contre, chacun aura sa réaction. Fin janvier, Brendan Gallagher était resté évasif quand il avait été interrogé sur son désir de vivre un tel processus.

Josh Anderson et lui ont des ententes valides jusqu’en 2027. Carey Price, jusqu’en 2026. Joel Armia, Christian Dvorak, Jeff Petry et David Savard sont liés au Canadien jusqu’en 2025, à moins d’une transaction d’ici là. Ils ont en commun d’être des vétérans qui voient de précieuses années de leur carrière possiblement sacrifiées. Du lot, seul Savard possède une bague de la Coupe Stanley.

Reste donc à voir comment ils aborderont cet avenir. Armia s’est fait poser la question, mais a été incapable de verbaliser ce qu’il ressentait.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Joel Armia célèbre son but en 3période.

Savard, par contre, a toujours été vanté pour son leadership, une qualité qui sera précieuse au sein d’une brigade défensive qui rajeunira au cours des prochains mois. Alexander Romanov y est déjà, Justin Barron y sera dans les prochains jours, et on devrait voir Kaiden Guhle et Jordan Harris avant longtemps. Ceux parmi eux qui resteront dans la LNH auront besoin de modèles.

« Je pense que les jeunes qui sont montés ont bien joué. […] Ils étaient prêts à prendre la chance que Martin leur a donnée, a indiqué Savard. Ça augure bien pour l’avenir. C’est le fun de voir les jeunes performer, ça va nous pousser à performer. »

Au cours des prochaines semaines, d’autres vétérans s’exprimeront devant les micros, mais aussi, et surtout, dans le bureau de Kent Hughes. Les plus malheureux pourraient bien vouloir quitter le navire, mais si le directeur général est conséquent avec ce qu’il a dit pour Petry (une transaction qui aura du sens pour le Canadien), ils ne pourront pas tous partir. Certains de ces contrats seront à peu près impossibles à échanger.

À tout le moins, si Hughes tient à Allen, ce dernier tient aussi à son équipe.

« J’avais bon espoir que je resterais ici, a dit le gardien. C’est ici que je veux jouer, je ne voulais pas être échangé et je suis content d’être ici pour le reste de la saison. »

Dans le détail

David Savard l’artiste

Avec seulement 42 buts à son actif en 653 matchs de saison, David Savard sait bien qu’il n’est pas payé pour ses mains de soie. Il n’en demeure pas moins qu’à sa première saison avec le Canadien, il privilégie la qualité à la quantité. Contre les Bruins, le défenseur a marqué d’un tir du revers dans la partie supérieure du filet après avoir reçu une passe précise d’Alexander Romanov. C’était son deuxième filet de la saison. Son premier a été inscrit le 28 décembre dernier à Tampa ; il avait alors intercepté une passe à la ligne bleue, déjoué Victor Hedman, rien de moins, et surpris le gardien Maxime Lagacé avec un tir décoché de l’enclave. Après la rencontre de lundi soir, Savard a gentiment décliné l’invitation à être rebaptisé Bobby Orr.

Un souper pour Clifton

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Connor Clifton célèbre son but qui égalisait la marque en 3période.

Le défenseur Connor Clifton ne marque pas souvent lui non plus. En créant l’égalité tard en troisième période, il ne s’est inscrit au pointage que pour la deuxième fois cette saison, et pour la cinquième de sa carrière de 140 matchs. Ce but n’est pas spécial seulement parce qu’il a donné un point de classement aux Bruins. Il vaudra en effet à Clifton un souper, gracieuseté de Brad Marchand. C’est ce dernier qui a servi une passe parfaite à Joel Armia le long de la ligne bleue du Canadien en début de troisième période. Le Finlandais a profité d’une longue échappée pour envoyer son équipe en avant 2-1. L’entraîneur-chef Bruce Cassidy a évoqué un jeu « négligent » de son joueur étoile. Marchand lui-même a parlé d’une séquence « embarrassante » pour lui. « C’était un jeu terrible de ma part, a-t-il analysé. Je dois un souper à Cliffy ! Je suis content qu’on n’ait pas perdu à cause de ce revirement. »

Marchand voulait faire payer Allen

Brad Marchand a beau avoir marqué deux buts, y compris celui qui a donné la victoire à son équipe, il aurait pu en inscrire pas mal plus, n’eût été Jake Allen, qui a offert une performance magistrale. Le gardien du Canadien a volé son adversaire à de multiples reprises, notamment sur un tir depuis l’embouchure du filet à mi-chemin en troisième période. C’est toutefois dans la toute dernière seconde du deuxième vingt qu’Allen s’est dressé de la manière la plus spectaculaire, étirant la mitaine à la suite d’un tir de Marchand. L’attaquant, qui a obtenu 12 tentatives de tir, dont 8 ont atteint la cible, s’est vengé en prolongation en déjouant Allen grâce à une jolie manœuvre du revers. Après la rencontre, Marchand a affirmé qu’il désirait punir le gardien pour avoir « pavané ». « Je voulais seulement marquer davantage à cause de cet arrêt », a-t-il dit.

Ils ont dit

L’énergie dans le vestiaire est agréable. Tu veux juste être là et aider les gars à gagner. Ç’a fait du bien d’être de retour sur la patinoire. Nous construisons quelque chose présentement. L’équipe joue bien depuis un moment et c’est le fun d’être de retour et de l’aider.

David Savard à propos de son retour au jeu

J’aime mes joueurs. Des gars comme Kulak, Lehkonen, Hammond, même quand Ben est parti… Tu bâtis des relations dans un environnement de travail, tu vois comment ils t’en donnent, donc c’était difficile.

Martin St-Louis au sujet des transactions survenues pendant la journée

S’il y a quelque chose que les joueurs peuvent prendre de Brad Marchand, c’est comment évoluer comme joueur. Ça, c’est de remarquer tout le monde autour de toi qui fait des choses meilleures que toi. Tu amènes ça à ta game. Tu évolues comme joueur. Moi, j’ai fait ça beaucoup. Brad fait la même affaire. C’est pour ça qu’il est le joueur qu’il est aujourd’hui.

Martin St-Louis à propos de Brad Marchand

Je suis vraiment emballé par l’avenir de cette équipe. C’est plaisant de venir à la patinoire chaque jour. Comme joueur, tu ne peux pas trop penser aux changements et tout. Tu dois juste faire ton travail tous les jours.

Joel Armia

C’est un joueur intelligent. Je sais qu’il est jugé sur beaucoup d’autres choses, mais il a un excellent sens du jeu et il donne constamment un troisième, quatrième et cinquième effort. Il a traversé toutes les étapes [de sa carrière] grâce à ça.

Bruce Cassidy, entraîneur-chef des Bruins, à propos de Brad Marchand

[Le Canadien] est sorti fort, les deux gardiens ont gardé leur équipe dans le match, la foule était emballée… C’est un bon Bruins-Canadien.

Bruce Cassidy

En hausse : Joel Armia

Son but en échappée, rendu possible grâce au jeu de Christian Dvorak, lui donne quatre points à ses quatre derniers matchs.

En baisse : Rem Pitlick

L’attaquant connaît de bons moments depuis son arrivée à Montréal, mais il a été d’une grande discrétion dans ce match et son trio a passé beaucoup de temps à se défendre.

Le chiffre du match : 18

Les 18 patineurs des Bruins en uniforme ont obtenu au moins un tir sur Jake Allen, ce qui explique la soirée de travail bien remplie du gardien du Tricolore.