Pas une journée ne passe, chez les équipes de fond de classement, sans qu’il soit question de reconstruction. Faut-il reconstruire ? De quelle manière ? Pendant combien de temps ? Doit-on même utiliser ce mot ?

Ce dont on parle peu, pour la raison évidente que les expansions sont rares dans les ligues professionnelles, c’est de construction. Ce processus laborieux auquel se prête actuellement le Kraken de Seattle.

La première moitié de la saison du monstre sous-marin n’a pas été prolifique, mais ça ne surprenait personne. Or, depuis la mi-parcours, le Kraken est carrément la pire équipe de la LNH : 4 victoires en 19 rencontres et une récolte d’à peine plus du quart (26,3 %) des points disponibles. Résultat, les représentants de la ville du grunge sont tout près de la cave, à peine trois points de plus que le Canadien, qui a toutefois joué trois matchs de moins.

Dans ce contexte, « tu dois prendre tout le positif possible », rappelle le défenseur Jamie Oleksiak au cours d’une entrevue avec La Presse.

Il faut certes chercher un peu, mais des rayons de soleil, il y en a. On a créé à Seattle un réel engouement auprès des partisans : le Climate Pledge Arena est l’un des amphithéâtres les plus fréquentés de la ligue, notamment en raison des règles sanitaires locales qui n’ont jamais limité sa fréquentation cette saison.

Dans le vestiaire, au sein de ce groupe de joueurs issus des quatre coins de la ligue, la chimie s’installe. On parle de « croissance », d’« avenir ».

Sur la glace, on sursaute presque à voir les statistiques défensives du club. « Ce sont les équipes défensives qui gagnent des championnats », avait d’ailleurs dit l’attaquant Yanni Gourde lors du passage du Tricolore sur la côte ouest en octobre dernier.

À l’évidence, c’est un succès. Selon le site Natural Stat Trick, le Kraken arrive au troisième rang de toute la LNH pour les tirs accordés à cinq contre cinq en 60 minutes de jeu, au quatrième rang pour les buts attendus et au septième pour les chances de marquer de qualité concédées à l’adversaire.

Dès le repêchage d’expansion, le directeur général Ron Francis avait montré ses couleurs. Il bâtissait son équipe selon le bon vieux modèle de l’arrière vers l’avant – avec un gros astérisque, nous y reviendrons.

PHOTO TED S. WARREN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ron Francis, directeur général du Kraken

Le Kraken a mis sous contrat Oleksiak et Adam Larsson, qui ont choisi de s’engager avec la nouvelle équipe plutôt que de tester leur valeur sur le marché des joueurs autonomes. On a mis le grappin sur Mark Giordano, laissé sans protection par les Flames de Calgary, ainsi que sur Carson Soucy, Vince Dunn et Jérémy Lauzon, tous des arrières établis que leur équipe respective n’avait pas soustraits au repêchage.

Tous les gars ont contribué, et notre groupe peut tenir tête à toutes les équipes. On se pousse les uns, les autres. Des gars comme Giordano ou Larsson ont accompli un travail incroyable. Ils ont placé la barre très haut pour établir ce que ça prend pour connaître du succès. C’est vraiment plaisant de côtoyer ces gars.

Jamie Oleksiak

Faiblesses

Jamie Oleksiak ne jettera certainement pas ses coéquipiers sous l’autobus du bon goût. Mais il y a de bonnes raisons pour lesquelles le Kraken croupit vingt mille lieues sous les mers.

Mentionnons l’attaque bien peu menaçante, menée par Yanni Gourde et Jared McCann, qui évoluaient sur des troisièmes trios dans leur ancienne équipe.

Mais il y a pire : devant le filet, d’à peu près tous les angles d’analyse possibles, Philipp Grubauer et Chris Driedger constituent l’un des plus inefficaces duos de la LNH. Les hommes devant eux les protègent plutôt bien, mais les buts rentrent tout de même à profusion.

Loin de se formaliser de son sort, sans pour autant banaliser les défaites qui s’accumulent – 11 au cours des 12 derniers matchs –, Oleksiak préfère mettre l’accent sur l’« adversité » qu’affronte son équipe depuis le début de la saison. Comme tous les joueurs, son objectif, année après année, demeure d’atteindre les séries éliminatoires et, ultimement, de gagner la Coupe Stanley. Il a d’ailleurs presque touché à son rêve, en 2020, lorsqu’il a atteint la grande finale avec les Stars de Dallas, qui se sont toutefois inclinés en six matchs contre le Lightning de Tampa Bay.

L’été dernier, avant que le gigantesque défenseur ne signe un contrat le liant à sa nouvelle équipe pour cinq ans, Ron Francis et l’entraîneur-chef Dave Hakstol lui ont expliqué leur vision de l’organisation et la manière dont ils entrevoyaient son avenir. « Ç’aurait été difficile de dire non », avoue-t-il.

C’est en se remémorant ce point de départ qu’il garde confiance. « Je le prends comme une expérience incroyable, dit-il. Il y a des hauts et des bas, mais on doit s’assurer de croître à travers ça. C’est un bon test pour beaucoup de gars. »

Même si le Kraken représente l’une des formations les plus âgées de la ligue – logiquement, un seul repêchage ne lui a pas donné l’occasion de former un véritable bassin de jeunes joueurs –, Oleksiak rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour « apprendre », notamment en tirant les leçons des erreurs commises.

On a mis en place une « identité » forte, celle d’un groupe de travailleurs acharnés qui ne donneront rien à leurs adversaires. La date limite des transactions ne devrait théoriquement pas changer radicalement le visage de la formation sur la glace, alors que Giordano et Calle Jarnkrok sont les candidats les plus probables à un échange.

On souhaite donc conclure le dernier quart de la saison « le plus fort possible ». Ce qui commencerait drôlement bien avec une victoire à Montréal, dernier arrêt d’un pénible voyage dans l’est du continent – quatre défaites en quatre matchs.

On a beau « ne pas trop regarder en avant », rentrer à la maison avec deux rares points rendrait sans doute le vol de retour plus agréable.