Quand Eliezer Sherbatov s’est couché, mercredi soir, il se préparait à disputer un match de hockey le lendemain. À son réveil, c’était la guerre.

Ce Montréalais de 30 ans, né en Israël de parents d’origine russe qui ont immigré au Québec alors qu’il était bébé, roule sa bosse dans des ligues professionnelles partout sur la planète depuis plus d’une décennie. Au début de la présente saison, cet ancien de la LHJMQ s’est entendu avec le HC Marioupol, dans la Super ligue d’Ukraine.

Même si Marioupol, importante ville portuaire, est situé dans l’oblast de Donetsk, dont Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance plus tôt cette semaine, il y régnait un calme relatif au cours des dernières semaines, estime Sherbatov. En entrevue à La Presse, il s’impressionne encore d’à quel point les résidants étaient « extrêmement calmes », dans les circonstances. « C’est juste pour nous faire peur », entendait-il autour de lui à propos de la menace d’une invasion.

Avec son équipe, il a donc pris la route. Avant leur destination actuelle, ils ont disputé un match à Kiev, un arrêt sans anicroche. Or, au petit matin, ce jeudi, alors que le président russe a confirmé qu’un déploiement militaire armé s’amorçait en Ukraine, tout avait changé.

Suivant la recommandation de ses coéquipiers — tous russes ou ukrainiens —, Sherbatov a préféré ne pas révéler la ville exacte où il se trouve en ce moment. Seulement qu’il est à quelques centaines de kilomètres de la frontière russe et que des tirs d’artillerie résonnent au loin.

Au bout du fil, les phrases sont courtes. Les soupirs, nombreux. « Je suis fatigué. J’ai peur », lâche-t-il.

Avec son équipe, il est confiné à l’hôtel, « en lieu sûr », précise-t-il, jusqu’à nouvel ordre. « Ce n’est pas comme si je pouvais juste prendre mon sac à dos et partir à pied… »

L’espace aérien au-dessus du pays est fermé depuis plusieurs heures déjà, et des images captées par des médias sur place montrent des bouchons de circulation monstres sur les autoroutes des plus grands centres.

Avec seulement son passeport et 100 $ en poche, il ne sait rien de ce qui l’attend, ni aujourd’hui ni après. Toutes ses affaires sont restées dans son appartement de Marioupol, où de puissantes explosions ont été entendues au cours des dernières heures. Il a tenté de communiquer avec le gouvernement canadien, au téléphone et par courriel, mais à 18 h 30 (heure locale), ses appels à l’aide n’avaient pas encore trouvé de réponse.

« J’ai tout perdu, je n’ai plus rien », croit-il.

« Je m’en fous, du hockey »

Le match qu’il devait disputer jeudi soir a logiquement été annulé. « En ce moment, je m’en fous, du hockey. C’est le dernier de mes soucis », dit Eliezer Sherbatov.

Malgré ses racines russes, le présent conflit n’a pas de résonance particulière pour lui, assure-t-il. Partout où sa carrière l’a mené, de la France au Kazakhstan en passant par la Pologne et aujourd’hui l’Ukraine, c’est « pour jouer au hockey ».

Celui qui était le capitaine de l’équipe nationale d’Israël au Championnat du monde de 2019 avait d’ailleurs provoqué la controverse dans son pays natal, la saison dernière, en s’engageant avec le club d’Oswiecim, dans le championnat polonais, ville où se situe l’ancien camp nazi d’Auschwitz. Alors que la presse israélienne avait fait état d’une « trahison », le principal concerné avait répondu, dans une entrevue à l’Agence France-Presse : « C’est comme si je jouais en même temps pour les victimes de l’Holocauste. Un Juif est revenu et il va gagner pour vous. »

Lisez l’entrevue avec l’Agence France-Presse

Toutes ces considérations sont toutefois loin dans l’échelle actuelle de ses priorités. Il tente comme il le peut de rassurer ses proches — notamment ses parents, sa femme et ses enfants, tous à Montréal. Son père s’est d’ailleurs dit « très inquiet » dans un court entretien avec La Presse.

Sherbatov essaie surtout de garder la tête froide, dans l’espoir de recevoir de bonnes nouvelles.

« Il faut garder courage », conclut-il.