Il a toujours été, et est encore, un grand livre ouvert. Sa biographie ne pouvait donc pas emprunter une autre direction.

L’âge n’a pas retiré une once de sa superbe à Yvon Lambert. Droit comme un chêne à 71 ans, le grand gaillard a le verbe et la dégaine des beaux jours. Comme lorsqu’il remportait la Coupe Stanley année après année avec le Canadien à la fin des années 1970, par exemple.

La main du représentant de La Presse disparaît dans l’énorme paluche de l’ex-attaquant, décorée d’une grosse bague soulignant la conquête de 1976. Inspiré par le chanteur Tom Jones, il la porte à l’auriculaire, alors que, sur son annulaire gauche, trône une autre bague, celle-là célébrant la Coupe de 1977.

Yvon Lambert visite les bureaux du quotidien du boulevard Saint-Laurent pour parler du livre Un glorieux au cœur de la dynastie. Le récit, publié aux éditions Hurtubise sous la plume de David Arsenault, journaliste bien connu de RDS, raconte la vie et la carrière du natif de Saint-Germain-de-Grantham, que rien ne destinait à une carrière dans la LNH.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

David Arsenault

Élevé dans une ferme, Lambert a appris à patiner à 13 ans et n’a fait ses débuts au hockey organisé qu’au niveau midget. Il a néanmoins déjoué tous les pronostics et gravi chacun des échelons jusqu’à la LNH. Ce sont les Red Wings de Detroit qui l’ont repêché à 19 ans, mais c’est avec le Canadien qu’il a passé la grande majorité de sa carrière, surtout sous les ordres de Scotty Bowman, qui signe d’ailleurs la préface du livre.

Dans l’ombre des Lafleur, Cournoyer et Shutt (entre autres !), Lambert a toujours su se faire apprécier et respecter, autant dans le vestiaire que sur la patinoire et auprès des partisans. Encore aujourd’hui, il est l’un des ambassadeurs les plus visibles parmi les anciens du Tricolore. Il ne dit jamais non à une poignée de main, à une photo ou à une jasette. Et surtout pas à une bière.

L’ouvrage couvre toute sa vie, sans filtre ni pudeur. Ses plus grands succès y sont racontés, mais aussi ses zones moins glorieuses. Son rapport avec l’alcool, omniprésent dans les pages, est abordé ouvertement. Lambert signe d’ailleurs lui-même l’épilogue dans lequel il avoue être un alcoolique.

« Je n’ai aucun regret, insiste Yvon Lambert en entrevue. J’ai toujours fait face à la musique. »

« Pas prêt »

Malgré cette ouverture, il a mis une bonne dizaine d’années – et décliné quelques offres – avant d’accepter qu’on écrive son histoire.

« Je ne me sentais pas prêt, explique-t-il. Pas prêt à parler de tout. Puis, lui est arrivé dans le portrait. »

« Lui », c’est bien sûr David Arsenault, qui, il est le premier à l’avouer, a profité d’un alignement favorable des astres.

Avide lecteur de récits sportifs, le journaliste désirait depuis longtemps décrire le parcours d’un athlète.

Comme partisan de hockey, il connaît sur le bout des doigts la décennie 1980 du Canadien, celle de Patrick Roy et de Mats Naslund.

Or, a-t-il constaté, relativement peu d’ouvrages ont été consacrés aux artisans de la dynastie de la fin des années 1970 chez le Tricolore. Guy Lafleur, Ken Dryden, Serge Savard et Scotty Bowman ont fait l’objet de biographies. Mais pas Larry Robinson, Guy Lapointe, Yvan Cournoyer, Steve Shutt ou Jacques Lemaire, tous membres du Temple de la renommée du hockey. Et pas Yvon Lambert non plus.

Au printemps 2020, David Arsenault a donc communiqué avec Yvon Lambert pour lui soumettre son projet d’écriture. Encouragé par ses proches (notamment Réjean Houle), et constatant l’étendue de ses temps libres pendant la pandémie de COVID-19, Yvon Lambert a accepté.

Les deux hommes se sont donc rencontrés une première fois au domicile de l’ex-hockeyeur – à distance, faut-il le préciser, règles sanitaires obligent. « Je pense que ç’a pris un an avant qu’on se serre la main », se rappelle David Arsenault.

Tout de suite, le courant est passé.

Les conversations duraient cinq, six heures, et suivaient la chronologie de la vie du personnage. L’auteur notait tout et revenait, quelques semaines plus tard, pour faire la lecture du chapitre qui venait de prendre forme. Lambert approuvait ceci, nuançait ou corrigeait cela. Et on passait au volet suivant.

Vérifications

Arsenault s’est également soumis à un travail de moine, celui de valider ou de bonifier chaque détail narré par son sujet afin de le relayer de la manière la plus précise possible. Il a ainsi écumé le site de BAnQ, lisant chaque article de journal écrit sur le joueur pendant sa carrière et colligeant de l’information sur les lieux clés qu’il a fréquentés afin de les décrire comme si on y était.

« Il a travaillé fort en tabarnane ! », s’esclaffe Yvon Lambert en désignant le journaliste à côté de lui, qui a par ailleurs interviewé quelque 70 personnes.

« Toutes celles qui sont nommées dans le livre, si elles sont encore vivantes, je leur ai parlé, confirme David Arsenault. Des fois, ça durait 25 minutes et ça ne donnait pas grand-chose. D’autres fois, ça m’alimentait et ça me permettait d’aller dans une autre direction. »

Tout cela dans le but de livrer un récit le plus authentique possible, en respect des personnes impliquées. Il cite en exemple Sandra, ex-femme de Lambert, qui a dû vivre avec un mari absent pendant la majorité des années qu’ils ont passées ensemble. Son point de vue lui importait. Il est même allé jusqu’à valider les jurons employés par Lambert et ses acolytes du Canadien !

Le résultat ? Un ouvrage résolument fouillé, qui dépeint avec fidélité un personnage haut en couleur ainsi que le quotidien du Canadien de 1975 à 1979, probablement la meilleure équipe de l’histoire de la LNH. Le tout situé dans son contexte historique et culturel avec une précision qui étonne, sachant que l’auteur n’a pas lui-même connu cette époque.

Avec ce portrait sincère, Yvon Lambert souhaite que les lecteurs « réalisent qu’il ne faut pas lâcher dans la vie ».

« Quand une personne importante veut t’aider ou t’encourager, prends-le, accepte ses conseils, poursuit-il. Je veux que le public retienne que ce que j’ai accompli, ce n’est pas arrivé parce que j’ai été chanceux, mais parce que j’ai travaillé. »

Grâce à ses efforts, conclut-il, il a côtoyé des gagnants et est « devenu un gagnant ». « Et j’ai eu une vie extraordinaire. »

De ces joueurs qui « font la différence »

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Scotty Bowman

Même si leur relation professionnelle ne s’est pas terminée de la meilleure des manières il y a 40 ans, un immense respect mutuel anime encore Yvon Lambert et Scotty Bowman. Croisé en septembre dernier à l’inauguration de l’espace qui porte son nom à l’auditorium de Verdun, Bowman a rappelé à quel point des joueurs comme Lambert « font la différence » au sein d’une équipe gagnante. Et ce, « même si tu as beaucoup de futurs membres du Temple de la renommée », a dit Bowman lors d’une courte entrevue avec La Presse. « Même s’ils gagnent moins d’argent et reçoivent moins de mérite [pour les victoires], ça prend des gars qui travaillent fort. » Bowman a cité en exemple les Doug Risebrough, Mario Tremblay, Yvon Lambert à Montréal, mais aussi les Kris Draper, Kirk Maltby et Darren McCarty chez les Red Wings de Detroit, dominants à la fin des années 1990. Plus récemment, le travail acharné du trio de Blake Coleman, Barclay Goodrow et Yanni Gourde a été intimement lié aux deux conquêtes de la Coupe Stanley du Lightning de Tampa Bay, a insisté le légendaire entraîneur. Comme Lambert à l’époque, « ces gars font la différence », a-t-il insisté.

Yvon Lambert, un glorieux au cœur de la dynastie

Yvon Lambert, un glorieux au cœur de la dynastie

Éditions Hurtubise

384 pages