Les partisans connaissent de lui ses tirs bloqués, ses mises en échec et son intransigeance autour du filet. Mais celles et ceux qui ont côtoyé David Savard, nouveau défenseur du Canadien, décrivent avant tout un homme d’équipe et de famille. Portrait.

Les choses simples

Les Wildcats de Moncton avaient fait des pieds et des mains pour acquérir Kirill Kabanov. Et pour cause : à un certain moment, l’attaquant russe était perçu comme l’un des meilleurs espoirs en vue du repêchage 2010 de la LNH.

Néanmoins, au printemps de cette année-là, quelque chose clochait. Après le premier match des séries éliminatoires, pourtant remporté par les Wildcats, on frappe à la porte de l’entraîneur-chef Danny Flynn. À l’entrée de son bureau, David Savard.

Le défenseur de 19 ans, capitaine intérimaire du moment, vient livrer un message difficile.

« Savvy m’a dit : “On ne gagnera pas avec lui”, se rappelle Flynn. Kabanov jouait pour lui-même, pas pour l’équipe. Ça prenait beaucoup de courage pour dire ça. »

La direction du club a pris au sérieux l’avertissement de son vétéran et a rayé le Russe de la formation pour tout le reste des séries. Et les Wildcats ont remporté la Coupe du Président.

Pour Savard, « tout ce qui compte, c’est d’aider son équipe à gagner, mais jamais d’en prendre le crédit », poursuit Flynn.

Le mot « équipe » est certainement celui qui est sorti le plus souvent chez les personnes jointes par La Presse pour parler du nouveau défenseur du Canadien de Montréal.

Entraîneur depuis plus de 20 ans, Serge Beausoleil n’a eu Savard sous ses ordres qu’une seule saison, en 2006-2007, avec le Blizzard du Séminaire Saint-François, dans la Ligue de hockey midget AAA du Québec.

Quinze ans plus tard, celui qui est aujourd’hui entraîneur-chef et directeur général de l’Océanic de Rimouski, dans la LHJMQ, décrit Savard comme « un des gars, dans [son] parcours, qui a le mieux incarné ce qu’est un bon coéquipier ».

« Il est rassembleur, dynamique, dévoué, facile à diriger… C’est le glue guy par excellence. »

Leader

Le temps n’a pas usé cette qualité chez Savard. Nick Foligno, qui a été son capitaine chez les Blue Jackets de Columbus pendant six ans, a dit en avril dernier au site Athlétique que même si aucune lettre n’était cousue à son chandail, le Québécois « était l’un des leaders de [l’]équipe, si ce n’est le plus important en défense ». Pas le pire compliment, venant d’un joueur qui, justement, est reconnu comme l’un des leaders les plus appréciés de la LNH.

En entrevue, Savard ne cache pas qu’il n’est « pas habitué » de parler de lui. Lorsque La Presse l’invite à se présenter en une phrase à quelqu’un qui ne le connaîtrait pas, il répond, simplement, qu’il est « quelqu’un qui aime aider les gens ».

« Ça fait partie de ma nature, je crois. J’essaie de garder les choses simples, poursuit-il. Faire partie d’une équipe, c’est un peu ça. Je veux trouver ma place pour l’aider à gagner. Montrer que je ne suis pas plus important que l’équipe. »

Cette philosophie, il l’applique du plus loin qu’il se souvienne. « Ça vient un peu de la manière dont mes parents m’ont élevé : quand tu es une bonne personne, ça va te mener loin. Pour l’instant, ça marche pour moi. »

Amour du jeu

Il y a bien sûr cette idée d’être une bonne personne. Mais il va de soi que Savard n’aurait pas disputé 611 matchs de saison dans la LNH, et 57 autres en séries, sans être le joueur qu’il est.

Son parcours commence comme celui de tous les petits hockeyeurs du pays : dans la rue, devant chez lui, à Saint-Hyacinthe. Les enfants du voisinage, les amis de ses frères comme les siens, n’ont qu’à passer par le garage des Savard et à y prendre un des nombreux bâtons laissés en libre-service dans une poubelle.

Pour le petit David, le hockey est partout, tout le temps.

PHOTO FOURNIE PAR CÉLINE LAMY

David Savard à 8 ans, alors qu’il évoluait dans l’Association de hockey mineur de Saint-Hyacinthe

« Il est né à l’aréna », lance son père Gervais. L’image n’est pas que métaphorique : avec deux garçons plus vieux qui donnent leurs premiers coups de patin, le couple traîne le bébé naissant dans les gradins dès ses premières semaines de vie.

Lorsqu’il atteint l’âge de lui-même sauter sur la glace, David trouve rapidement ses aises. Son sens de l’anticipation et sa vision du jeu sont manifestes, mais c’est son amour du jeu qui transparaît avant tout.

Il aime tout du hockey. Aller aux entraînements, pour lui, ce n’était pas un effort.

Céline Lamy, mère de David Savard

Les deux parents sont catégoriques : jamais ils n’ont obligé leurs garçons à jouer au hockey, et jamais leur rêve n’a été d’en faire des joueurs de la LNH.

Tout au contraire. L’été venu, après un long hiver passé à l’aréna, les patins étaient remisés et les jeunes Savard enfilaient leurs crampons pour la saison de soccer. « Même pas dans l’élite, parce qu’on voyageait bien assez avec le hockey », précise le paternel.

Avant d’atteindre les rangs midget AAA, David n’avait jamais participé à des écoles de hockey estivales.

« Je pense que c’est important de faire d’autres sports, que ça vienne de toi-même, abonde le défenseur qui aura 31 ans en octobre. Je fais la même chose avec mes enfants, je leur fais essayer le plus de sports possible pour voir ce qu’ils aiment. On entend souvent des jeunes qui s’écœurent de jouer au hockey 365 jours sur 365. Moi, je ne me suis jamais tanné. »

La transformation

PHOTO FOURNIE PAR CÉLINE LAMY

David Savard à 16 ans, dans l’uniforme du Blizzard du Séminaire Saint-François

Pour l’adolescent, le hockey est une passion, mais pas un futur métier. Même après que sa famille eut déménagé à Québec et qu’il se fut inscrit dans un programme sports-études. Et même après qu’il eut rejoint le Blizzard du Séminaire Saint-François, qui a remporté le bronze à la Coupe Telus en 2007.

Son gabarit était déjà imposant – la LNH lui attribue aujourd’hui 6 pi 2 po et quelque 230 lb – et son flair offensif ne faisait aucun doute. Or, « ses pieds étaient un problème » et « il avait encore son gras de bébé », se rappelle Serge Beausoleil.

Le gardien de but Nicola Riopel a constaté la même chose l’année suivante. Repêché par le Drakkar de Baie-Comeau, Savard est échangé aux Wildcats de Moncton dès sa première saison dans la LHJMQ.

Riopel fait alors la connaissance d’un « gars timide, pas trop en forme », qui baragouine l’anglais et qui est « juste content d’être là et qui n’a pas conscience de son potentiel ».

« Il a toujours eu un petit côté naïf, qui fait son charme », qui le rendait imperméable à « la pression, la business, les médias », raconte celui qui est aujourd’hui agent de joueurs.

Leur entraîneur Danny Flynn, aujourd’hui recruteur pour les Blue Jackets de Columbus, se souvient en riant d’un patineur peu élégant (ugly skater), étrangement plus précis dans sa technique à reculons que vers l’avant. Néanmoins, il reconnaissait un joueur « très intelligent », capable de réussir une bonne première passe, d’appuyer l’attaque et de jouer en avantage numérique.

Ses succès à Moncton ne laissent bien sûr pas Savard indifférent. Ce qu’il voyait d’abord comme « le trip d’aller au camp et de voir ce qui pouvait arriver » change inévitablement lorsque son nom commence à être évoqué en vue du repêchage de la LNH. Il s’investit alors totalement dans son nouvel objectif.

« C’est là qu’il a réalisé qu’il pouvait être un très bon joueur de hockey », résume Riopel.

PHOTO FOURNIE PAR LES WILDCATS DE MONCTON

David Savard avec les Wildcats de Moncton

Changements

Le « gras de bébé » laisse place aux muscles et le « gars timide » prend de plus en plus de place dans le vestiaire. Ses coéquipiers voient éclore un joueur « qui adore rire », mais qui fait en un clin d’œil la transition entre « le temps de s’amuser et celui de travailler ».

Mon souvenir est celui d’un gars qui sourit tout le temps. Chaque fois que tu le vois, ça va être une belle journée.

Nicola Riopel, ancien coéquipier de David Savard

À sa troisième et ultime saison dans la LHJMQ, après que les Blue Jackets en ont fait un choix de 4tour (94e rang) au repêchage de 2009, Savard « est dans une autre catégorie ». Nommé défenseur de l’année au pays, il signe une récolte de 77 points en 64 matchs tout en punissant ses adversaires le long des bandes et en se révélant comme « une machine à bloquer des tirs ».

« Il a changé sa technique pour être le plus “gros” possible sur la glace et il a ajouté de la bourrure à l’intérieur de ses patins et de ses jambières pour mieux se protéger », explique encore Riopel.

Savard, à l’évidence, avait trouvé le style qui allait le servir dans la LNH. Depuis sa première saison complète sur le circuit, en 2013-2014, il arrive au 22rang des défenseurs de la ligue pour le nombre de tirs bloqués (961) et au 14rang pour les mises en échec (1120).

Moins de minutes… et de points

L’apport offensif de Savard le suit dans la Ligue américaine (96 points en 176 matchs étalés sur 3 saisons) et, dans une moindre mesure, dans la LNH. À Columbus, il inscrit 36 points en 2014-2015, puis 25 en 2015-2016 (en 64 matchs). Il dispute désormais 23 minutes par rencontre, à forces égales comme en avantage et en désavantage numérique.

Combinée à l’émergence des arrières offensifs Seth Jones et Zach Werenski, l’arrivée de John Tortorella derrière le banc marque une nette transformation du rôle confié à Savard. L’avantage numérique est presque complètement effacé de sa description de tâches. Son temps de glace s’approche désormais davantage des 20 minutes.

Le Québécois accepte cette transition sans faire de vagues. Son mantra ne change pas : l’équipe, toujours l’équipe.

« Mon rôle a évolué, mais je pense qu’on n’a pas le choix si on veut rester dans la ligue, estime-t-il. Il faut savoir se transformer vers un rôle qui convient à l’équipe. C’est ce que j’ai fait à Columbus. Ça s’est super bien passé. Et ça se peut que ça change à Montréal. »

Le retour

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

David Savard dans son nouveau chandail d’entraînement

C’est donc chez le Canadien que Savard poursuit aujourd’hui sa carrière, avec en poche une entente de quatre ans d’une valeur totale de 14 millions de dollars.

Après une décennie passée à Columbus, Savard a été échangé la saison dernière au Lightning de Tampa Bay. La reconstruction qui s’est amorcée chez les Jackets passait par une cure de rajeunissement ; les vétérans comme Nick Foligno et lui ont donc été troqués pour des choix au repêchage.

Le Québécois a été bien servi par l’opération, lui qui a remporté la Coupe Stanley à Tampa. C’est d’ailleurs lui qui a orchestré le but gagnant lors de l’ultime match de la finale. Après avoir accepté une passe de Ryan McDonagh, Savard a transporté la rondelle jusqu’au point de mise en jeu sur le flanc droit, avant de décocher une passe vive que Ross Colton n’a eu qu’à faire dévier derrière vers le filet.

Regardez le jeu menant au but

Autant pour le défenseur que pour ses proches, l’exaltation a été complète, tant sur la séquence qu’après la rencontre et pendant la saison estivale.

PHOTO GERRY BROOME, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Échangé au Lightning de Tampa Bay la saison dernière, David Savard a plus tard remporté la Coupe Stanley.

Le changement de tempo s’annonce toutefois inévitable pour celui qui a disputé toute sa carrière dans la LNH dans des villes où les hockeyeurs ne risquent jamais de se faire reconnaître à l’épicerie.

Le voilà désormais dans le marché le plus en vue du circuit, dans l’équipe de son enfance. Vingt ans après avoir idolâtré Patrick Roy, Jocelyn Thibault et José Théodore – il était gardien de but, à l’époque où il jouait dans les rues du quartier –, il devra désormais dégager la vue de Carey Price et imposer sa loi autour de son filet.

Comme si ce n’était pas suffisant, Savard débarque alors que Shea Weber, droitier comme lui, est censé rater toute la saison, voire mettre un terme à sa carrière. Marc Bergevin, directeur général du club, a déjà prévenu que le Québécois, sans hériter de tout le fardeau du capitaine, était la meilleure option de rechange parmi les joueurs autonomes.

« Je ne viens pas ici pour le remplacer, prévient Savard. Si je suis capable de contribuer davantage qu’au cours des dernières années, je serai content. Mais je ne modifierai pas trop mon jeu. Ils sont venus me chercher pour bien jouer défensivement, jouer dur près du filet. C’est ce que je vais faire. »

Il ne minimise pas l’attention décuplée par son nouvel uniforme, mais il la relativise en affirmant que la pression « vient souvent de l’intérieur de l’équipe ».

Ses parents sont un peu moins détendus, sans pour autant être rongés par les appréhensions. « Le Canadien n’est pas allé le chercher pour qu’il marque 50 buts », rappelle son père Gervais.

« La seule chose que j’ai dite à David, c’est que je suis contente qu’il ait 30 ans, enchaîne sa mère Céline. Il est rendu papa, il a vieilli dans tous les sens du terme. Je pense qu’il a la maturité qu’il faut pour y aller. »

En famille

Son apport ira certainement plus loin. Car en Savard, comme en Cédric Paquette et en Mathieu Perreault, Bergevin a acquis un joueur dont le profil ressemble à ses nombreuses acquisitions de l’été 2020. Un vétéran de caractère, qui a goûté au succès et qui est susceptible de déteindre sur les jeunes joueurs de l’équipe.

« À Montréal, les gars vont l’adorer, et ça ne prendra pas de temps aux partisans pour tomber en amour avec lui. »

Cette prédiction, c’est celle de Pierre-Luc Dubois. Ou Lulu, du surnom que lui ont attribué les enfants de Savard. Repêché par les Blue Jackets, le jeune homme a emménagé chez son compatriote à sa première saison à Columbus. « David et [sa conjointe] Valérie, ce ne sont pas des amis, c’est de la famille, a-t-il expliqué à La Presse. Je ne connais personne qui ne les aime pas. »

Savard a pris sous son aile le hockeyeur de 19 ans, nerveux d’habiter seul pour la première fois de sa vie à sa sortie des rangs juniors. Il l’a accueilli comme un membre à part entière de sa famille – « des fois, je gardais les enfants » –, mais il l’a également guidé dans ses premiers pas comme athlète professionnel. « Une famille, c’est une équipe », souligne joliment Céline Lamy.

« Tu ne sais pas comment ça va se passer sur la route, tu ne connais pas les gars, tu es nouveau, énumère Dubois. Il me disait : “Lève-toi 30 minutes plus tôt, on va arriver à l’aréna et avoir un bon déjeuner.” Des choses comme ça. Ça aide beaucoup, ça enlève beaucoup de stress. »

Modèle

Même s’il sera le dernier arrivé et qu’il rejoindra un groupe soudé par une participation à la finale de la Coupe Stanley, Savard se voit volontiers devenir un modèle dans le vestiaire du Centre Bell.

D’abord et avant tout en gardant l’« attitude positive » saluée par tous ceux qui l’ont croisé. « Même si tu es dans une mauvaise séquence, il faut que le monde veuille continuer de travailler avec toi, dit-il. Que tu ne deviennes jamais un boulet dans la chambre. »

Dans ma carrière, chaque fois que ça allait moins bien, je suis resté positif et j’ai travaillé avec les entraîneurs. Si tu es négatif et que tu ne parles à personne, tu risques d’être encore plus mis à l’écart.

David Savard

C’est bel et bien d’un « boulet » que le jeune joueur de 19 ans voulait parler à son entraîneur, en 2010, après avoir discuté de la situation avec les autres vétérans du club.

« On avait une super équipe, on n’avait pas besoin d’un gars égocentrique, se rappelle nettement le défenseur. On n’a pas eu le choix, même si ce n’était pas quelque chose de plaisant à faire. Oui, ça a brassé l’équipe. Mais on s’est rendus jusqu’au bout. »

Il ne voit pas vraiment une situation du genre se reproduire dans la LNH. À ce niveau, remarque-t-il, les joueurs sont davantage conscients de l’intérêt collectif.

Néanmoins, il insiste : « Si c’était à refaire, je ferais la même chose » qu’à l’époque.

« Tout le monde a son temps de glace, ses choses à faire. Il n’y a pas de joueur plus important qu’un autre. »

À entendre l’aplomb avec lequel Savard martèle son message, on peut s’attendre à ce qu’il soit entendu.

Avec la collaboration de Guillaume Lefrançois, La Presse

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