Cette semaine, les journalistes affectés à la couverture du Canadien reviennent sur les derniers mois sur la route

RICHARD LABBÉ

Ma saison 2021 ne s’est pas amorcée comme les autres. Mon premier avant-match de l’année, je l’ai vécu seul, en mangeant mon Subway dans un hôtel vide, et aussi dans une ville vide. En me rendant à l’aréna des Leafs en ce soir froid et sombre de janvier, je n’ai vu personne dans les rues, aucun chandail, aucun drapeau, rien. Au moins, il y avait du hockey. Nous n’étions pas au bout de nos surprises, et surtout pas avec ces entrevues par Zoom, qui nous ont donné des moments cocasses, comme la fois où un collègue a cru au décès d’un autre collègue incapable d’activer son micro. C’était loin d’être idéal (vivement le retour des entrevues de vestiaire comme dans le bon vieux temps), mais au moins, il y avait du hockey.

Il y avait de la route aussi, pas mal de route, et j’étais sur le bord de la 417 fin février quand Claude Julien a été viré, et ç’a été une aventure que d’essayer de trouver une borne WiFi sur le bord d’un champ. Mais il y avait du hockey. Pendant ce temps, lors des clavardages des matchs, vous étiez nombreux, de plus en plus nombreux, et on sentait qu’il était en train de se passer quelque chose. Puis est arrivé ce printemps magique, et le retour face aux Leafs, et le coup de balai aux Jets, et la gaffe de Fleury au Centre Bell. La petite équipe de 59 points allait passer en finale, et peut-être devenir l’équipe la plus « faible » (selon les points au classement) depuis le Canadien de 1986 à soulever le trophée. Ce n’est pas arrivé, c’est le Lightning qui a gagné. Mais vous savez quoi ? Il y a eu du hockey. Et tous ces souvenirs. C’est pas mal tout ce qui compte.

SIMON-OLIVIER LORANGE

Le 27 mai dernier, il faisait un temps magnifique à Toronto. Grand soleil, chaud, mais pas trop. Superbe, vraiment. Cet après-midi-là, je l’ai toutefois passé enfermé dans ma chambre d’hôtel à écrire beaucoup, beaucoup de mots… qui n’ont jamais été publiés. Le soir même, le Canadien disputait dans la Ville Reine le cinquième match de sa série face aux Maple Leafs. Absolument tout pointait vers une victoire des Leafs. À l’évidence, la participation du Canadien aux séries éliminatoires se terminerait en queue de poisson, après qu’on eut évité de peu la catastrophe pendant la saison. Que contenaient donc ces textes ? On ne révélera pas tous nos secrets. Disons seulement qu’ils prévoyaient différents scénarios impliquant différents changements dans l’organigramme du Canadien. Le genre d’article destiné à être publié en catastrophe au lendemain d’une défaite humiliante. Je m’arrête, j’en ai déjà trop dit…

PHOTO DAN HAMILTON, USA TODAY SPORTS

Le 27 mai dernier, Nick Suzuki (14) sauvait la saison du Canadien en déjouant Jack Campbell (36) en prolongation à la suite d’un bel échange avec Cole Caufield lors du match no 5 de la série de premier tour contre les Maple Leafs de Toronto.

Mais ce n’est pas arrivé, et ce, pour les meilleures raisons qui soient. Car le Canadien a fait mentir beaucoup de monde. Une poignée d’amateurs, sans doute les plus farouches, diront l’avoir vue venir. Pas moi. Sur papier, tout le monde était plus fort que le CH. Et Carey Price ne pouvait quand même pas marquer des buts. Et pourtant, nous voilà en juillet à faire le bilan de cette équipe qui s’est rendue en finale de la Coupe Stanley. Tout le mérite lui revient d’avoir ainsi confondu les sceptiques les plus endurcis – encore une fois, moi le premier.

Nous voilà aussi à tourner la page sur six mois tout sauf normaux pour les joueurs, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les journalistes qui les suivent au quotidien. Ne nous méprenons pas : nous avons été choyés à bien des égards. Nous avons gardé nos emplois, ce qui n’est pas rien. Et pendant qu’un couvre-feu était en vigueur à Montréal, nous avons profité d’exemptions pour aller voir les matchs au Centre Bell. On ne peut s’en plaindre. Mais la saison 2021, ç’a aussi été des centaines de points de presse par Zoom. Tous les télétravailleurs peuvent en témoigner : ça use la patience. Celle des joueurs et la nôtre. Pouvez-vous répéter la question ? Votre connexion semble mauvaise. Pesez sur mute. Je n’ai rien compris. Prochaine question. Croisons les doigts pour un retour à la « vraie vie » à la rentrée, dans la société comme dans le sport. Le hockey, ça se joue devant des partisans et, sur le plan journalistique, ça se couvre dans le vestiaire. Souhaitons-nous les deux.

Guillaume Lefrançois

J’ai beau être théoriquement un millénarial, je refuse quand même de m’ouvrir au changement sur certains trucs. Par exemple, utiliser mon téléphone portable comme enregistreuse pour mes entrevues est impensable.

J’opte plutôt pour la bonne vieille Olympus, modèle WS-853, toujours fiable.

Comprenez qu’à une époque où tout contact avec les joueurs de la LNH se fait par Zoom, l’enregistreuse n’est plus nécessaire. S’il faut réécouter une réponse dont on a manqué un bout, on y accède instantanément sur le compte Twitter du Canadien.

La couverture sur le terrain des deux dernières rondes du Canadien a donc permis de dépoussiérer l’enregistreuse, car il y avait des histoires à fouiller en dehors du hockey. Et croyez-moi, réaliser des entrevues en personne au Nevada et en Floride n’est pas un problème. Le concept de la distanciation physique n’était pas exactement à la mode au fameux bar Hattricks, peuplé comme en février 2020 après les matchs du Lightning. Idem pour les grands restaurants de la Strip à Vegas.

Ça a donc permis de faire des rencontres sympathiques au fil des jours, mais surtout, de revenir à une des bases de notre métier, soit mener des entrevues. Des entrevues sous forme de conversation fluide, d’échanges spontanés, de relances et de questions parfois idiotes. Je vous assure qu’il y en a eu quelques-unes, des questions douteuses, quand j’ai interviewé Kim Gaucher, mère de famille et joueuse de basketball, au confluent de deux angles morts de ma culture générale.

PHOTO GUILLAUME LEFRANÇOIS, LA PRESSE

Kim et Ben Gaucher, avec la petite Sophie

Mais la question impertinente fait pas mal moins mal dans une conversation de 15 minutes que dans une visioconférence sur Zoom, où on a droit à une seule question. En tant qu’auteur d’un beau malaise en raison d’une question erronée au sujet des jambières de Carey Price, je sais de quoi je parle !

J’ajoute donc ma voix à celles de Simon-Olivier et de Richard pour souhaiter un retour des vestiaires ouverts et des entrevues en personne, quand la situation sanitaire permettra de le faire en toute sécurité. Une équipe qui se rend en finale de la Coupe Stanley, ça vient toujours avec plein d’histoires. Vous imaginez ce qu’on aurait pu raconter sur les yeux rouges de Jeff Petry ? Sur les réactions des joueurs après la blessure à Jake Evans ? Sur le but à deux contre zéro de Nick Suzuki et Cole Caufield à Toronto ?

Ces scènes-là seront gravées à jamais dans nos mémoires. Souhaitons que l’on puisse encore mieux les raconter à l’avenir.