On va sans doute entendre parler de 1979 très souvent au cours des prochaines semaines.

Non, ce ne sera pas pour revenir sur l’album Dynasty de Kiss, paru en cette glorieuse année, et qui mérite encore tout notre respect, même après toutes ces décennies. Ce sera plutôt pour revenir sur quelque chose d’encore plus historique, si ça se trouve : le dernier affrontement entre le Canadien et les Maple Leafs de Toronto en séries éliminatoires.

C’est bien ça. Ces deux grands rivaux n’ont pas croisé les lames une seule fois depuis 1979. C’est un scandale, que l’année 2021 promet de corriger. Ce sera peut-être la seule bonne chose à sortir de 2021, mais au point où on en est, on va prendre tout ce qui passe.

Comme le Canadien, par ailleurs, de qui on n’attendait pas grand-chose lors de ce lundi soir un peu frisquet dans la métropole. Mais, coup de théâtre, c’est le club en bleu, blanc et rouge qui a remporté ce match contre la visite de Toronto, par la marque de 4-2.

C’est pour ça qu’on joue les matchs, n’est-ce pas ?

« Ils sont en première place, mais nous sommes assez bons nous aussi, a expliqué Josh Anderson en fin de soirée. C’est bon pour la confiance. On les a suivis pas à pas chaque fois qu’on les a affrontés cette saison… »

Les plus grands penseurs du hockey vous le diront : quand les séries commencent, on peut jeter aux ordures tout ce qui s’est passé en saison, parce que ça ne veut plus rien dire. Cela est clair, mais en même temps, ce qui s’est passé en saison peut aussi, parfois, avoir une incidence sur la suite.

C’est pourquoi les images d’un match comme celui de lundi soir ne seront pas jetées aux ordures, mais plutôt conservées précieusement par Dominique Ducharme. En cas de besoin, l’entraîneur pourrait les ressortir pour rappeler à ses troupes ce qu’il faut faire pour museler la puissante attaque des Leafs. Le trio de Phillip Danault, cette fois complété par Paul Byron, a d’ailleurs fait de l’excellent travail contre le gros trio des Leafs, celui d’Auston Matthews. À l’arrière, Brett Kulak, assez brouillon récemment, a bloqué un tir ennemi pour provoquer une montée à deux contre un menant au but de la victoire, celui d’Anderson. Jake Allen a été solide devant son filet.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Phillip Danault célèbre le but de Tomas Tatar en première période.

En voyant ça aller, Marc Bergevin a bien dû se frotter les mains de satisfaction. Il n’y a aucun partisan du club qui a fait des roulades dans son salon en prenant connaissance des acquisitions de Jon Merrill et Erik Gustafsson, mais le directeur général, de toute évidence, estime que les blessés qui reviendront sous peu – incluant le gardien Carey Price, qui va reprendre l’entraînement mercredi – sont assez importants pour justifier qu’on les attende sans avoir besoin d’obtenir de l’aide immédiate.

« Marc a fait un bon travail lors de la saison morte, a expliqué Josh Anderson. Il a aussi pris de bonnes décisions dans les derniers jours… On croyait déjà en nous et il a ajouté des joueurs en plus. »

Est-ce que ce sera suffisant ? Très bonne question. Parce que le Canadien de 2021, c’est celui-ci, qui vient de battre les puissants Leafs… mais c’est aussi celui de samedi soir, qui a subi une dégelée de 5-0 face aux Jets de Winnipeg. Deux matchs, deux visages différents. Pas facile de savoir à quoi s’en tenir avec ce club.

Revenons maintenant à 1979, et à ce printemps magique où le Canadien avait sorti les Leafs en quatre matchs rapides, avant de filer droit vers une autre Coupe Stanley. Le même scénario semble assez improbable cette fois-ci, mais Marc Bergevin y croit. Assez, en tout cas, pour choisir de ne pas miser gros avant la date limite des échanges, lundi.

Le DG montréalais a pris plusieurs paris depuis son arrivée dans cette chaise en 2012. Celui-ci est peut-être son plus audacieux.

Ils ont dit

Ce fut important pour nous de répondre de cette façon, surtout après les défaites des derniers matchs.

Josh Anderson

C’était important pour nous de rebondir… on a montré du gros caractère. On a été un peu hésitants lors de la deuxième période, mais on s’est ressaisis par la suite et on ne les a pas lâchés de la soirée.

Phillip Danault

J’ai été chanceux de pouvoir souvent participer aux séries, c’est toujours une question de momentum, de rester avec le plan de départ. C’est juste un match à la fois, et tout le monde peut battre tout le monde dans les séries. Je l’ai vécu. Et oui, il y a de bonnes chances qu’on joue contre eux. Mais je ne pense pas aux séries…

Jake Allen

Une grosse victoire, un peu l’inverse de notre match à Toronto la dernière fois… J’ai aimé notre première période, notre troisième, et en deuxième, on s’attendait à ce qu’ils réagissent. J’ai aimé comment on est revenus en troisième.

Dominique Ducharme

De toute évidence, nous n’étions pas prêts à bien amorcer ce match. C’est mon travail de bien préparer les joueurs. La responsabilité me revient.

Sheldon Keefe, entraîneur-chef des Maple Leafs

Peut-être qu’un jour, je repenserai à tout ça, mais pour l’instant, je veux juste passer à autre chose et être prêt pour la suite.

Jack Campbell sur sa séquence de victoires qui s’est interrompue

[Le Canadien] a joué plus dur que lors de notre dernier affrontement. Et on n’a pas bien joué en première période. On n’a pas aidé [Jack Campbell]. Nos passes étaient imprécises. On doit être meilleurs que ça.

Zach Hyman

[Les transactions des derniers jours] ne devraient pas être une distraction. On avait un match à jouer, mais on n’avait aucune structure en première période.

Auston Matthews

Dans le détail

Choc au centre

Même si le Tricolore n’a disputé « que » six duels contre les Maple Leafs cette saison, aucun attaquant n’a été opposé à Phillip Danault plus longtemps qu’Auston Matthews à cinq contre cinq. Comme on le sait, Matthews s’éclate contre le CH : le voilà à 10 points en 6 joutes en 2021. Pourtant, le score est égal à 2-2 avec Danault en ce qui a trait aux buts marqués par chaque équipe (toujours à cinq contre cinq) lorsque les deux rivaux sont sur la patinoire en même temps. Et lundi soir, pour la cinquième fois en six affrontements, Danault a eu l’avantage sur le plan de la possession de rondelle. Interrogé sur les éléments qui font le succès de son protégé, l’entraîneur-chef Dominique Ducharme a souligné que « la manière dont Phil pense la game » et « sa lecture des situations » étaient primordiaux. « Il prend ça comme un défi », a ajouté Ducharme, qui a en outre souligné à quel point le trio complété par Paul Byron et Tomas Tatar avait connu un fort match. « C’est mon pain et mon beurre, a lui-même souligné Danault. J’aime ce rôle. » Par contre, le Québécois sait bien que son travail n’est pas fini. « Je suis heureux, mais pas satisfait. »

Le charme rompu pour Campbell ?

Ça ne pouvait tout de même pas durer éternellement : nouveau détenteur du record de la LNH pour le plus de victoires de suite pour amorcer une saison (11), Jack Campbell a maintenant une défaite à sa fiche. Même si le mauvais départ des Leafs a fait consensus de l’avis même des joueurs torontois, le gardien s’est approprié le blâme pour le revers de son équipe. « Je suis gêné de ma performance, a-t-il dit. Je n’ai pas été assez bon et ça nous a coûté le match. […] Je pensais trop, et parfois, ce n’est pas une bonne chose. » Il est vrai que Campbell n’a pas été particulièrement étincelant, mais son évaluation est certainement trop sévère. Le premier but du match, par exemple, a fait suite à une manœuvre malhabile de son coéquipier Alex Galchenyuk. On lui accordera néanmoins que le tir d’Anderson, quoique vif, fera sans doute l’objet d’une séance vidéo pour réévaluer sa vitesse de réaction.

Enfin un but en avantage numérique !

Ça arrive si peu souvent que ça mérite d’être souligné : le Canadien a inscrit un but en avantage numérique. En première période, avec une marque de 1-0, depuis le coin de la patinoire, Jonathan Drouin a remis la rondelle à Shea Weber, qui l’a lui-même refilée à Nick Suzuki. Le joueur de centre s’est avancé et a décoché un lancer des poignets qui a déjoué Campbell du côté du bouclier. Ce but a fait du bien aux trois joueurs qui y ont participé. Pour Drouin et Weber, il s’agissait d’un premier point en huit et cinq matchs, respectivement. Et Suzuki marquait ainsi son premier but en huit rencontres. Surtout, cette réussite a doublé le nombre de buts du Canadien en avantage numérique depuis le retour de la pause forcée par la COVID-19 : avant le match, l’équipe était la pire de la ligue avec 4,8 % d’efficacité dans cet intervalle (1 en 21). Par contre, la seule autre supériorité numérique des locaux a réveillé de vieux réflexes : aucun tir. C’est bien de constance que parlaient Dominique Ducharme et Marc Bergevin, n’est-ce pas ?