Deux joueurs. 304 buts. 277 passes. 581 points. En carrière ? Non. En seulement 38 matchs.

PHOTO FOURNIE PAR LUC CHABOT

Luc Chabot et Steve Chartrand avec le Blaze de Solihull (équipe qui a succédé aux Barons)

Cette production irréelle, c’est celle de Steve Chartrand et Luc Chabot, en 1992-1993. Probablement un record pour un duo de hockeyeurs professionnels. Du moins, je n’ai pas trouvé mieux. L’exploit est d’autant plus étonnant que les deux joueurs n’ont jamais obtenu leur chance dans la LNH.

Comment est-ce possible ?

J’y arrive. Mais d’abord, les présentations.

Steve Chartrand, né à Verdun en 1969, est une légende de la LHJMQ. Ses 460 points en quatre saisons, avec les Voltigeurs de Drummondville, constituent un record de franchise. « J’ai toujours été un bon marqueur », explique-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR LES VOLTIGEURS DE DRUMMONDVILLE

Steve Chartrand avec les Voltigeurs de Drummondville, en 1987

Les Maple Leafs de Toronto l’ont repêché au 12tour. Ils lui ont offert un contrat de 25 matchs dans la Ligue américaine. « J’ai fait six points lors des sept premiers matchs. Puis ils m’ont benché. Je n’ai jamais su pourquoi. »

Luc Chabot, né à Ottawa en 1965, s’est lui aussi fait retrancher. Mais pas de la Ligue américaine. Du junior majeur. « Je me suis fait repêcher par les Marlboros de Toronto. L’équipe était très bonne. Il y avait beaucoup de vétérans. J’ai disputé seulement neuf matchs. » Il a poursuivi son parcours dans un circuit inférieur, à Pembroke, en Ontario. Avec éclat. Des saisons de 37, 122, 178 et 165 points. « J’ai fini meilleur marqueur de l’histoire de la ligue. »

PHOTO FOURNIE PAR LUC CHABOT

Luc Chabot

Les Flyers de Philadelphie lui ont fait de l’œil. « Mais comme je n’avais pas vraiment joué dans le junior majeur, mes chances étaient presque nulles. J’ai donc suivi un coach que je connaissais en Europe. »

En 1987, à 21 ans, Luc Chabot débarque en Europe pour amorcer sa carrière professionnelle. Première escale : l’Écosse. Pas précisément la Mecque du hockey. « On s’entraînait sur une glace de 80 pieds de long par 20 pieds de large. C’était quasiment un aréna de curling. Il n’y avait même pas de Zamboni… »

Les années suivantes, il fait sa marque en Italie et en Angleterre. Surtout avec les Bears de Medway. En trois saisons, il inscrit 552 points en 83 matchs.

Steve Chartrand, lui, fait le voyage trois ans plus tard. Il pose ses valises en Angleterre. « Quand je suis arrivé, il y avait des pigeons dans l’aréna. À Nottingham, il n’y avait pas de baie vitrée. Une fois, la rondelle a touché le haut du filet, derrière le gardien. Évidemment, j’ai cessé de jouer. Puis les gars se sont mis à crier : “Non, non, continue, laisse faire ça !” »

PHOTO FOURNIE PAR LUC CHABOT

Luc Chabot (à gauche) et Steve Chartrand (à droite) alors qu’ils jouaient pour les Barons de Solihull.

À l’automne 1992, les deux champions compteurs sont embauchés par la même équipe. Les Barons de Solihull. Un club de la deuxième division anglaise, implanté dans la banlieue de Birmingham, au centre du pays. À l’époque, les formations anglaises peuvent aligner jusqu’à trois joueurs étrangers.

« Comme joueur étranger, explique Luc, on avait une seule job : la mettre dedans. C’est pour ça qu’on nous payait. Le jeu défensif ? Ce n’était pas grave. Il y avait d’autres joueurs pour ça. »

Chaque équipe compte sur deux trios d’attaquants et trois paires de défenseurs. Les étrangers – presque tous des Canadiens – sont généralement regroupés au sein de la même unité. Steve évolue au centre du premier trio. Luc, à l’aile.

Les étrangers, on jouait au moins 40 à 45 minutes par partie. En avantage numérique, on ne sortait jamais de la patinoire. Mes shifts pouvaient durer jusqu’à 5 minutes. C’était fou raide !

Steve Chartrand

Comme les meilleurs joueurs sont toujours sur la patinoire, les pointages sont élevés. Combien élevés ? Comme au football. 24-3. 24-6. 18-3. 16-12.

Coudonc, y avait-il des gardiens devant les buts ?

Steve hésite. « Hum... Il y avait une couple de bons gardiens. Mais les autres ? Pas vraiment. » Luc confirme. « Les gardiens britanniques, ils n’étaient pas ben ben forts. »

Les deux Canadiens, qui jouent ensemble pour la première fois, s’entendent aussi bien à l’aréna qu’à l’extérieur. « Entre nous, ça a tout de suite cliqué, raconte Luc. On parlait tous les deux français. On se trouvait sur la glace. Faut dire que Steve, c’est un maudit bon joueur de hockey. Avant les matchs, il s’assoyait à côté de moi et me disait : “Combien de points on fait, ce soir ? Veux-tu 10 points ? 8 buts ?” On savait ce qu’on pouvait accomplir. »

À la mi-saison, Luc est rendu à 91 buts.

Avant la partie, il m’a dit : ‟Steve, il m’en manque neuf pour arriver à 100.” Je lui ai répondu : ‟pas de problème”. Je lui ai passé la puck toute la soirée. Sais-tu combien il en a marqué cette fois-là ? Neuf !

Steve Chartrand

Et le record de Steve ? « Pour un match ? Je pense que c’est 3 buts, 14 passes… »

OK, les gars, mais ça ne vous tentait pas des fois de prendre ça relax ? Ça arrivait, laisse tomber Steve. « Quand on menait par 15-20 buts, je demandais au coach de faire jouer plus les jeunes. »

« Mais il faut comprendre que comme joueur étranger, ça nous prenait des bonnes stats, explique Luc. C’est ce qui nous permettait d’être réembauchés l’année d’après. Alors on visait des gros chiffres : 100 buts; 200 points; 250 points; 300 points… »

300 points ?

Oui. 300 points. En une saison. Luc Chabot a atteint ce plateau, en 1989, lorsqu’on tient compte de toutes les compétitions (222 points en première division, 149 en tournois). Steve Chartrand, lui, a déjà réussi l’exploit pendant le calendrier régulier, en 1998 (302 points en 43 matchs).

Et en 1992-1993 ?

Steve Chartrand a terminé l’année avec 306 points. « Quand j’ai pogné mon 200point, je ne l’ai pas réalisé. Ce sont les autres gars qui me l’ont dit. Cinq ans plus tard, quand j’ai regardé mes chiffres, j’ai compris que c’était assez incroyable. »

Luc Chabot, lui, a fini l’hiver avec 275 points – dont 155 buts. Le pire ? C’était 11 buts de moins que la saison précédente !

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Carte de Luc Chabot alors qu’il évoluait pour les Phantoms de Peterborough, en Angleterre.

Je leur ai demandé s’ils avaient des regrets. D’être restés en Europe, par exemple, plutôt que d’avoir tenté leur chance une seconde fois en Amérique du Nord.

« Oui pis non, répond Steve. Des équipes m’ont appelé. Mais ils m’offraient moins d’argent que ce que je gagnais ici. On était bien traités. On gagnait 600 $ par semaine. À l’époque, c’était très correct. Surtout qu’on n’avait pas de loyer à payer. »

« C’est sûr que je me suis posé la question, reconnaît Steve. En même temps, les recruteurs savaient bien que la Ligue d’Angleterre, ce n’était pas la meilleure au monde. Plus tard, des gars de la LNH sont allés jouer là-bas. Mais ils étaient sur la fin de leur carrière. »

Les deux hommes ont joué plusieurs années ensemble à Solihull. Ils sont devenus amis. Luc a même été l’homme d’honneur au mariage de Steve.

Après sa carrière de joueur, Luc est devenu entraîneur de clubs anglais. Depuis six ans, il est de retour à Ottawa. Il a encore la passion du hockey. L’hiver dernier, il a « coaché » au niveau junior, dans la même ligue qu’il a jadis dominée.

Steve, lui, est resté en Angleterre. « Le destin m’a envoyé ici. Je me suis marié. J’ai eu trois enfants. Je suis même grand-père ! » Lui aussi adore toujours le hockey. Son numéro 12 a été retiré par le Blaze de Coventry, l’équipe qui a succédé aux Barons de Solihull, et par les Voltigeurs de Drummondville. « Paraît que je suis le seul joueur à avoir son numéro retiré dans deux équipes, de deux ligues, de deux pays différents », dit-il fièrement.

Rendu là, on n’en est plus à un record près !