Avez-vous déjà joué au Monopoly avec une personne qui change les règles pendant la partie ? Vous savez, celle qui ajoute 2000 $ dans la cagnotte du stationnement, juste « pour rendre ça plus intéressant » ? C’est lourd. Surtout quand ça sape vos efforts des derniers tours.

Le Canadien se retrouve aujourd’hui dans une situation semblable. Depuis deux ans, son directeur général, Marc Bergevin, fait des provisions. Il économise des millions sous le plafond salarial. Il empile patiemment les choix et les espoirs. Ça devait lui conférer un avantage concurrentiel important cet été. Notamment au repêchage.

Sauf que sa stratégie est en train d’être torpillée. Pas par le directeur général des Bruins de Boston. Ni par celui du Lightning de Tampa Bay ou des Sénateurs d’Ottawa. Non. Par le perturbateur le plus improbable qui soit.

Gary Bettman.

Comment ?

Le commissaire de la LNH souhaite tenir le repêchage amateur au début de juin, pour profiter d’une meilleure couverture médiatique. Le hic : ce serait AVANT la fin de la saison. Léger problème. Dans un mois, nous ne connaîtrons pas le classement final, sur lequel est basé l’ordre de sélection du repêchage. Ça implique donc une refonte des règlements… en pleine saison.

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le commissaire de la LNH, Gary Bettman, souhaite tenir le repêchage amateur au début de juin, avant la fin de la saison.

Gary Bettman et son équipe ont planché sur des solutions. Parmi les mesures envisagées et présentées aux équipes :

– un seul club – plutôt que trois – améliorerait son sort à la loterie ;

– ce club pourrait grimper d’un maximum de quatre échelons au premier tour ;

– les équipes ne pourraient pas échanger les joueurs de leur formation actuelle au repêchage ;

– les choix conditionnels déjà échangés feraient l’objet de négociations ou d’un arbitrage.

Le grand perdant ?

Le Canadien.

Ses chances de repêcher l’espoir québécois Alexis Lafrenière, au premier rang, passeraient de 6 % à 0 %. Au mieux, en gagnant la loterie, le Tricolore repêcherait au quatrième rang.

Mais surtout, le Canadien perdrait son rapport de force. Avec une grande marge de manœuvre sous le plafond salarial et 14 choix cet été, Marc Bergevin était outillé pour faire des transactions. Pour améliorer sa formation. Par exemple : échanger un joueur établi et des choix pour un jeune défenseur talentueux. Ou soulager une équipe étouffée par le plafond salarial d’un vétéran productif, en retour d’un choix.

Le plan de Gary Bettman lui coupe l’herbe sous le pied. « La possibilité de transférer des joueurs de la formation active sera effectivement éliminée si le repêchage est devancé, en raison de la date limite des échanges et des conditions d’admissibilité pour les séries », indique une note de la LNH rendue publique par ESPN.

Si la LNH va de l’avant avec son projet, les options de Marc Bergevin seront réduites grandement. Que pourra-t-il faire avec ses 14 choix ?

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Bergevin, directeur général du Canadien

Évidemment, tous les utiliser pour sélectionner des espoirs. Ce serait étonnant. Depuis 10 ans, aucun club n’a repêché autant de joueurs dans un encan. Aussi, ça ferait 35 choix au cours des trois dernières années. C’est beaucoup. Sachez que les équipes doivent respecter une limite de 50 contrats de la LNH. Petit calcul mental : le Canadien serait condamné à ignorer un grand nombre de joueurs qu’il a sélectionnés.

Du gaspillage.

Une autre option : échanger plusieurs choix contre un seul. Ou encore, échanger un choix contre un espoir qui n’est pas dans une « formation active » de la LNH. Un joueur dans la NCAA, par exemple.

Soudainement, le carré de sable est pas mal plus petit.

Le plus frustrant pour le Canadien et ses partisans, c’est la raison invoquée par la LNH pour modifier les règles du jeu. Un maximum de couverture médiatique, alors que les réseaux de télévision – partenaires de la ligue – sont assoiffés de contenus sportifs.

Un drôle d’argument.

Le repêchage, ce n’est pas la finale de la Coupe Stanley. Ni même la classique hivernale. C’est d’abord un évènement pour initiés. Les plus mordus. Les poolers. Ceux qui suivent les clubs juniors. Ceux qui paient 100 $ par année pour des rapports détaillés sur des sites spécialisés. Ces irréductibles seront toujours présents. Même si le repêchage est présenté le 1er janvier, à minuit.

Mais croire que des partisans occasionnels à Los Angeles et à Washington vont soudainement s’intéresser au repêchage parce que ce sera le 5 juin plutôt que le 4 octobre, c’est surévaluer le produit. Et surtout, pénaliser des clubs qui, comme le Canadien, agissent en fourmis plutôt qu’en cigales.

Pour vous montrer à quel point c’est injuste, même le directeur général des Red Wings de Detroit, Steve Yzerman, qui serait assuré de repêcher parmi les deux premiers, trouve la mesure insensée.

« Pourquoi auriez-vous besoin de faire cela ? a-t-il confié la semaine dernière à Fox Sports. Ça change plusieurs choses. L’ordre du repêchage n’est pas établi, nous ne savons pas qui sera en séries, qui ne le sera pas. […] À ce moment-ci, mon opinion, c’est que je n’ai pas entendu une bonne raison pour tenir [le repêchage] avant la fin de la saison, si nous prévoyons la terminer cet été. »

Je comprends qu’avec la pandémie, toutes les industries doivent s’adapter. Modifier leurs processus. Leurs habitudes. Pas de problème. Mais ces changements doivent être motivés par la nécessité. Ce que la LNH n’a pas réussi à démontrer ici.