« Ce n’est pas une époque où il est facile d’être une femme dans le monde. Ce ne l’est pas davantage au hockey. »

La formule a le mérite d’être bien ficelée. Et surtout, elle ne pourrait être plus juste.

Hilary Knight n’a jamais été connue pour sa retenue. Elle était sur la ligne de front, en 2017, lorsque l’équipe nationale américaine a menacé de boycotter le Championnat du monde parce que ses joueuses ne recevaient pas un traitement égal à celui de leurs homologues masculins. L’année dernière, elle a qualifié de « ligue de bière glorifiée » la Ligue nationale féminine (NWHL), qui paie un salaire de misère aux athlètes qu’elle emploie. Et en octobre dernier, le plaidoyer qu’elle a livré sur les réseaux sociaux pour redéfinir le vocabulaire genré lié aux sports a été vu des centaines de milliers de fois.

Jointe par La Presse à sa résidence en Idaho, elle s’est prêtée au jeu de dresser un bilan de la dernière année pour les femmes au hockey.

Disons-le franchement : cette année-là a été pénible, au mieux. La dernière fois que Knight a disputé un match, c’était le 8 février, lors du cinquième et dernier match de la série « Rivalité » opposant les équipes nationales canadienne et américaine. Les États-Unis l’avaient emporté 4-3 pour se sauver avec la série.

Depuis, comme pour tous les athlètes de la planète, l’attente est longue. Encore plus quand aucun point ne clignote sur le radar pour un potentiel retour au jeu.

« C’est fou de penser que ça fait si longtemps », soupire-t-elle.

Ça nous rappelle qu’il faut apprécier chaque moment sur la glace, car on ne sait jamais ce qui va arriver… Une vérité particulièrement cruelle pour les femmes.

La pandémie de COVID-19 a causé l’annulation du championnat mondial, prévu à Halifax en avril dernier. Toutes les rencontres internationales, junior comme senior, sont passées à la trappe. Le Mondial 2021, prévu au printemps, est à l’horaire jusqu’à nouvel ordre, mais allez savoir s’il aura lieu. Pour les mêmes raisons, l’Association des joueuses professionnelles (PWHPA, en anglais), à sa deuxième année d’existence, n’a pu reprendre sa tournée de matchs à l’automne. À un peu plus d’un an des Jeux olympiques de Pékin, les sélections nationales sont au point mort.

Le plus simplement du monde : les meilleures joueuses de la planète n’ont strictement aucune idée du moment où elles pourront jouer de nouveau.

PHOTO PETER MORGAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Hilary Knight, aux Jeux olympiques de PyeongChang, en 2018

Du positif malgré tout

Cela n’empêche pas Hilary Knight de prôner l’optimisme.

« C’est facile de se concentrer sur le négatif, sur la manière dont la COVID a influencé la vie de tout le monde, constate-t-elle. Mais du positif, il y en a eu beaucoup dans le sport. La WNBA, par exemple, a pu tenir sa saison et ses séries éliminatoires. »

Au hockey, par la force des choses, les réalisations se sont matérialisées loin de la glace. Mais elles existent néanmoins.

Les appuis s’accumulent, constate Knight. Notamment de la part des joueurs de la LNH. Alexis Lafrenière est même apparu sur Instagram avec un chandail de la PWHPA, il y a quelques jours, suscitant l’exaltation chez les joueuses.

L’Association, en outre, a conclu au cours des derniers mois des partenariats majeurs avec des commanditaires de renom. Le fabricant de déodorant Secret, notamment, s’est engagé à hauteur de 1 million de dollars, un record.

Toutes les industries vivent des difficultés en raison de la pandémie, alors de voir de grandes entreprises offrir un soutien du genre, ça en dit long sur l’avenir du sport. On ne tient rien pour acquis, mais c’est phénoménal.

Hilary Knight

Au chapitre des très bonnes nouvelles, les Blackhawks de Chicago viennent d’embaucher Kendall Coyne Schofield, capitaine de l’équipe américaine, à titre d’entraîneuse affectée au développement des joueurs. Le printemps dernier, le CP Berne, en Suisse, a fait de Florence Schelling sa directrice générale, une première dans une ligue professionnelle masculine. Le Kraken de Seattle, qui se joindra à la LNH en 2021, a confié à des femmes des rôles-clés dans la construction de sa future équipe. En plus des appuis, la reconnaissance s’agrandit.

Et cette reconnaissance, elle passe par un changement même dans le vocabulaire : Knight milite pour que l’épithète « féminin » ne soit plus employée lorsqu’il est question de hockey pratiqué par des femmes.

« Imaginez à quel point vous seriez agacés si vous deviez parler de basketball masculin, de hockey masculin, de rugby masculin. Du sport, c’est du sport », a-t-elle résumé en octobre dans une vidéo publiée sur Instagram et Twitter.

« Même moi, je m’échappe encore, avoue-t-elle à La Presse. Mais la manière dont on nomme les choses est primordiale. Un changement culturel [cultural shift] est en train de s’opérer. Ça implique de modifier nos habitudes, nos comportements. »

Une ligue, et vite

Le constat peut sembler redondant, car il revient constamment lorsqu’un micro est tendu aux hockeyeuses élites. Mais l’absence d’une vraie ligue professionnelle pour les femmes demeure d’actualité, faute de changement.

À 31 ans, Hilary Knight est au sommet de sa carrière. Elle est la meilleure pointeuse parmi les joueuses actives du programme olympique américain. Elle est huit fois championne du monde, trois fois médaillée olympique.

Paul Byron, Jakub Voracek et Alex Killorn, qui ont le même âge qu’elle, roulent leur bosse dans la LNH depuis une décennie. Mais comme Knight est une femme, elle s’est contentée de sept saisons dans des ligues semi-professionnelles, soit la NWHL et la défunte ligue canadienne. Et depuis deux ans, en dehors des matchs internationaux, plus rien. Il y a bien sûr la crise de santé publique des derniers mois qui a retiré de la visibilité au projet, mais « le besoin d’une ligue est indépendant d’une pandémie mondiale », nuance-t-elle.

C’est une véritable farce [travesty] que les filles qui ne font pas partie des équipes nationales n’aient nulle part où jouer.

Hilary Knight

C’est ce à quoi l’entraîneuse Danièle Sauvageau faisait référence lorsque, en entrevue avec La Presse en juin dernier, elle évoquait le « chaînon manquant ». Celui qui remplirait le vide actuel entre les circuits juniors ou universitaires et les sélections nationales. À défaut d’une ligue, Sauvageau a créé un groupe d’entraînement de haut niveau à Montréal.

LISEZ « À la recherche du chaînon manquant »

https://www.lapresse.ca/sports/hockey/2020-06-06/daniele-sauvageau-a-la-recherche-du-chainon-manquant

Knight renchérit : si une ligue professionnelle existait, « imaginez seulement à quel point les équipes nationales seraient encore meilleures ! »

« Aux États-Unis, le hockey n’est pas notre sport principal, explique-t-elle. Les inscriptions exploseraient et le bassin de joueuses augmenterait à tous les niveaux. Et ce serait pareil partout dans le monde. »

C’est d’ailleurs la raison d’être de la PWHPA : montrer de quoi ses membres sont capables et créer une machine marketing efficace, mue par des ressources financières solides, afin d’accoucher d’une ligue pérenne qui permette à ses joueuses de vivre du sport sans avoir un autre emploi dit « de jour ».

Espoir

N’est-ce pas lassant de devoir répéter sans cesse le même refrain sans que se produise de changement durable ? Oui et non, rétorque Knight. L’impatience est réelle, mais il y a lieu de la relativiser, croit-elle.

« Quand on porte ses patins de joueuse, il y a de la frustration au quotidien, de l’incertitude, admet-elle. Mais si on retire ces patins-là et qu’on enfile ceux de la visionnaire, on se demande : que sera le hockey dans 5 ans ? Dans 10 ans ? Comment est-ce qu’on peut changer sa perspective, mettre l’accent sur ce qui va bien et trouver des solutions pour ce qui ne va pas bien ? C’est quelque chose qu’on fait constamment, comme athlètes. C’est naturel pour nous. »

C’est donc dans cet état d’esprit qu’Hilary Knight se souhaite pour 2021 « la même chose qu’en 2020, qu’en 2019 et que toutes les années précédentes : une ligue professionnelle durable qui corresponde aux rêves des petites filles qui s’inscrivent au hockey ».

Hélas, cela n’arrivera vraisemblablement pas tout de suite. L’horizon de 2022, année post-olympique, avait été évoqué pour la création d’un circuit associé à la LNH suivant le modèle de l’association entre la NBA et la WNBA, mais on peut se douter que le dossier est loin dans les priorités du commissaire Gary Bettman, qui tente de sauver sa propre ligue du désastre financier provoqué par la pandémie.

Or, Knight ne perd pas espoir. « Le futur est florissant », promet-elle.

« Le sport est entre bonnes mains. J’ai hâte à la suite. »

Elle n’est certainement pas la seule.