Elle a commencé sa carrière en épluchant les factures des chambres d’hôtel de Ken Dryden. Elle l’a finie en télétravail, à gérer la vie personnelle de Marc Bergevin.

Susan Cryans a eu une carrière bien remplie. Le 1er novembre dernier, elle a officiellement pris sa retraite, après 43 ans au sein de l’organisation du Canadien.

Avec Richard Kingsbury, un employé des services techniques qui travaille pour le CH depuis 44 ans, elle était l’employée comptant le plus d’ancienneté dans l’organisation. Elle faisait donc partie des rares survivants qui ont connu le Forum et « les bureaux du 2e étage, sur Lambert-Closse », rappelle-t-elle, une nostalgie bien sentie dans la voix.

Elle a occupé une multitude de postes, mais depuis 2013, elle faisait partie du personnel hockey en tant qu’adjointe exécutive au directeur général du Tricolore.

À la base, je n’étais pas du tout fan de hockey. J’ai grandi dans Notre-Dame-de-Grâce, et le samedi soir, la télévision était monopolisée par Hockey Night in Canada. Je détestais le thème de l’émission et aujourd’hui, c’est la sonnerie de mon téléphone !

Susan Cryans

La colère de Dryden

L’histoire de Susan Cryans est celle d’une employée qui a gravi les échelons un à un au sein de son entreprise, tout simplement. Mais quand cette entreprise est l’équipe de hockey que toute une province suit, il y a un petit quelque chose de spécial.

Ce sont « des tâches de débutante », bien en bas de l’échelle, qui attendaient la jeune dame de 19 ans. « Je m’occupais des frais accessoires de nos séjours à l’hôtel. Si les joueurs louaient des films ou avaient d’autres dépenses qu’ils ne réglaient pas à leur départ, on nous envoyait la facture et il fallait la déduire de leur paye.

« Une fois, j’avais donc déduit un film de la paye de Ken Dryden, et il était vraiment fâché ! Il avait appelé pour s’informer, il voulait savoir quel était le film. Je ne savais pas quoi lui répondre. Tout ce que ça disait sur la facture, c’était “film, 2,75 $ », ou peu importe le montant à l’époque ! »

PHOTO FOURNIE PAR SUSAN CRYANS

Susan Cryans avec Guy Lafleur, en 1977

Elle était évidemment l’une des rares femmes dans l’organisation à cette époque. Elles étaient une dizaine sur quelque 100 employés, estime-t-elle.

« C’était un gentlemen’s club. Mais ce n’était pas inconfortable. Tu savais en trois mois si ça allait fonctionner. Si tu ne pouvais pas accepter une blague, si tu étais trop sensible, ce n’était pas un emploi pour toi. La culture du vestiaire, ça montait au deuxième étage. Tout le monde était one of the boys. Mais je t’assure qu’aucune histoire de “moi aussi" ne sortira de là. »

Mme Cryans est montée en grade au fil des années, au point de devenir officieusement responsable des ressources humaines, avant la création d’une « équipe » de ressources humaines qui comptait, en date de l’an dernier, une vice-présidente et deux employées. C’est justement ce rôle qui l’a poussée vers les opérations hockey.

« J’étais responsable des assurances collectives et du régime de retraite pour les employés, mais j’ai vécu deux lock-out dans ce rôle. Il a fallu mettre à pied des employés et réduire les salaires. J’ai trouvé ça très stressant… Quand on a embauché Marc comme DG en 2012, il avait besoin d’une assistante et c’était une chance de travailler du côté hockey. Je me suis dit que je l’essaierais et qu’au pire, je prendrais ma retraite. Finalement, je me suis très bien entendue avec Marc. Ça a été gagnant-gagnant. »

Le DG et les épouses

Au fil des questions, on comprend l’étendue de ses tâches. Elle s’occupe de tout ce qui touche « les affaires personnelles » de Marc Bergevin. « Je l’aidais avec ses finances, avec ses factures. Ses enfants ne vivent pas au Canada, donc je m’occupais aussi de trucs pour sa famille », ajoute-t-elle.

Mme Cryans côtoyait Bergevin puisqu’elle assistait à tous les matchs du Tricolore au Centre Bell. « J’ai vu beaucoup de hockey ! J’étais avec les membres de la direction, plusieurs sont d’anciens joueurs. Tu écoutes les commentaires et tu en viens à comprendre de quoi ils parlent. Quand Marc crie : “le gap, le gap" , tu vois vite de quoi il parle ! »

PHOTO FOURNIE PAR SUSAN CRYANS

Susan Cryans avec Geoff Molson, pour souligner sa retraite

Ce rôle lui a permis de connaître Bergevin comme peu de gens dans le monde du hockey le connaissent.

« Avec Marc, on ne le sait jamais. J’arrivais au bureau, je me disais : “Aujourd’hui, je vais faire ci, ça, ça.” Mais je rentrais et 10 minutes après, ma journée prenait le bord ! Marc est très dynamique. Il se donne cœur et son âme pour bâtir une équipe gagnante. Il est toujours au téléphone. »

Plus jeune, il avait la réputation d’être un joueur de tours, et il n’a pas changé au bureau. Il se cachait dans les armoires pour nous faire peur, j’ai été sa victime quelques fois ! Je quittais notre loge, j’ouvrais mon sac de noix et il était rempli de popcorn.

Susan Cryans

Elle veillait aussi sur les conjointes des joueurs en cas d’urgence. Elle donne l’exemple de Phillip Danault, quand il avait été atteint à la tête par une rondelle tirée par Zdeno Chara en janvier 2018. Danault avait quitté le Centre Bell sur une civière.

« S’il arrivait quelque chose à un joueur, Marc allait au vestiaire et moi, au salon des conjointes. J’étais le lien entre nos médecins et la conjointe. Si le joueur était transporté à l’hôpital, j’y reconduisais sa conjointe. Je restais avec elle jusqu’à ce qu’elle puisse voir le médecin ou le joueur. Il n’y a pas vraiment de pire sensation que d’être seule à l’hôpital, dans une ville qui n’est pas la tienne. »

Susan Cryans est également devenue proche de la famille de Max Pacioretty. « Quand Katia était enceinte de leur premier enfant, elle avait des nausées très intenses, au point qu’elle voulait rentrer au Connecticut. Finalement, c’est la famille de Max qui est venue ici. Sa mère se tenait au salon des conjointes, ils arrivaient toujours ensemble, mais comme Max arrivait vraiment tôt avant les matchs, j’allais au salon et je passais du temps avec sa mère. Elle ne connaissait personne ici. On est devenues des amies ! »

Cela dit, ces interactions, elle les avait parce qu’elle était justement l’adjointe du DG. À ses premiers pas dans l’organisation, elle n’avait pas besoin de ce titre pour côtoyer les joueurs. Elle donne l’exemple de Brian Skrudland, à ce jour son joueur préféré, pour une simple histoire de figurine à l’effigie de l’ancien numéro 39, qu’elle gardait sur son bureau. Encore aujourd’hui, elle soupe avec Skrudland et sa femme quand il vient faire son tour à Montréal.

C’est là que la nostalgie des débuts refait surface.

« En 1977, on formait une famille. En incluant les joueurs et le personnel, on était une centaine dans l’organisation. C’était vraiment petit et tout le monde se connaissait. Tu allais prendre un verre au The Bali-Hi ou au Maidenhead, il y avait une seule table. Que tu sois plombier ou préposé à l’équipement, on s’assoyait tous ensemble. Les joueurs connaissaient tous les membres du personnel.

« Maintenant, je connais nos joueurs, car mon bureau est au centre d’entraînement. Mais les joueurs ne connaissent plus les employés, car c’est devenu trop gros. On a maintenant Laval, Brossard, le Centre Bell, evenko. C’est juste trop gros ! »