(Maniwaki) Trois Français, un Américain, un Géorgien, des membres des Premières Nations… Une improbable équipe junior s’élance chaque semaine sur la glace de l’aréna de Maniwaki. Certains joueurs veulent simplement allonger leur parcours au hockey. D’autres veulent plutôt profiter d’une deuxième chance de se faire valoir pour accéder à un niveau supérieur. Portrait.

À classer dans la proverbiale catégorie « ça ne s’invente pas » : l’hymne national de la Géorgie qui résonne dans les haut-parleurs de l’aréna de Maniwaki, un vendredi soir glacial de novembre.

Ce n’est pourtant pas une compétition d’haltérophilie ou de lutte gréco-romaine qui est sur le point de s’amorcer au centre Gino-Odjick. Les Mustangs de l’endroit reçoivent le Bécard de Senneterre, équipe à battre dans la Canadian Premier Junior Hockey League (CPJHL).

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Des partisans ont brandi le drapeau de al Géorgie pour souhaiter la bienvenue à temuri Vedyapin.

Si l’hymne géorgien retentit, c’est parce que Temuri Vedyapin, 19 ans, dispute enfin son premier match à domicile avec les Mustangs. Voilà des mois que le jeune homme, membre de l’équipe nationale sénior de son pays malgré son âge, tentait d’émigrer au Québec pour jouer au hockey. Mais il restait invariablement coincé à Tbilissi en raison d’ennuis administratifs avec Immigration Canada. La Presse avait d’ailleurs raconté son histoire l’été dernier.

> Lisez l’article « Défaite géopolitique à Maniwaki »

Debout au banc des joueurs, le jeune homme discret chuchote les paroles, un peu gêné de toute l’attention qui lui est consacrée – un groupe de partisans brandit même un drapeau du petit pays du Caucase.

Une fois le match commencé, un constat s’impose rapidement : Temuri ne « brûlera » pas cette ligue. À son troisième match au total (les deux premiers étaient sur la route), il est encore en pleine adaptation.

Mais tout ceci importe peu. Il savoure cette chance qui lui est offerte de devenir le premier joueur géorgien à faire partie d’une équipe au Canada. Car c’est essentiellement là l’esprit des Mustangs, l’équipe de la « deuxième chance », comme le résume Éric Gauthier, propriétaire de la franchise.

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Éric Gauthier, propriétaire des Mustangs de Maniwaki

« On offre une deuxième chance aux joueurs qui n’ont plus de place dans la structure de Hockey Québec. Si un gars est dans le midget AA ou BB, il n’ira jamais plus loin et il va finir dans une ligue de bière. On leur donne du temps de glace, de la visibilité. Comme ça, les gars ne perdent pas espoir », explique M. Gauthier, attablé à la cantine de l’aréna une heure avant le match de ses ouailles.

Tremplin

La CPJHL est un circuit de développement de niveau junior qui regroupe neuf équipes en Ontario et dans l’ouest du Québec. Ses joueurs, âgés de 16 à 20 ans, présentent essentiellement deux profils.

Il y a ceux qui veulent simplement continuer à jouer dans une ligue organisée à un niveau compétitif. Et il y a ceux qui cherchent une vitrine dans l’espoir d’être recrutés par une université américaine ou une équipe professionnelle européenne de deuxième ou troisième division. Chaque année, une dizaine de joueurs « graduent » vers un niveau supérieur.

C’est pourquoi des joueurs étrangers viennent tenter leur chance même si la CPJHL n’a pas le prestige des ligues juniors majeures canadiennes.

Chez les Mustangs, on tire beaucoup de fierté d’avoir vu le gardien français Louis Wery décrocher une bourse d’études quasi complète à l’Université de Niagara, dont l’équipe, les Purple Eagles, évolue dans l’American Collegiate Hockey Association. Le calibre de ce circuit est équivalent à la troisième division de la NCAA.

Au bout du fil, Wery raconte le choc culturel qu’il a vécu en arrivant à Maniwaki. Il assure par contre avoir su s’adapter grâce à l’aide de ses coéquipiers et de l’organisation.

« J’avais une idée en tête, je suis arrivé comme un conquérant et j’ai réussi à faire mes preuves », dit-il. Même si la chose est inusitée pour un gardien, on a cousu un « A » sur son chandail. Et on lui a donné de l’action à profusion.

C’est une ligue en devenir, un tremplin pour les gars dans ma situation.

Le gardien français Louis Wery

De fait, le pari a été payant. C’est Éric Gauthier lui-même qui l’a accompagné au camp d’essai de son futur club.

« On est embarqués dans mon pick-up et on est allés, rappelle le propriétaire des Mustangs. Au début, ils étaient huit gardiens. Et à la fin, ils l’ont gardé. On s’est sauté dans les bras, on pleurait dans le parking. »

De tous les horizons

Mais revenons-en à Maniwaki.

Dans les heures précédant le match contre le Bécard, les joueurs des Mustangs commencent à arriver. Les Québécois de l’équipe ont fait la route, comme chaque semaine, depuis Granby, Lanaudière, les Laurentides…

Les joueurs étrangers, eux, demeurent tous ensemble dans une maison en ville. Un à un, ils se joignent à leurs coéquipiers. L’ensemble pourrait difficilement être plus hétéroclite.

Il y a bien sûr Temuri Vedyapin, taciturne, qui baragouine l’anglais. « Ça fait longtemps que j’attends cette chance, nous dit le Géorgien. J’ai travaillé très fort pour y arriver. Les gars sont gentils avec moi. »

Plus loin, le personnage le plus coloré du groupe attend en silence. En complet-cravate, le jeune homme effilé, au teint blafard, vient de lui-même nous serrer la main.

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Logan Hensley

Le gardien Logan Hensley, 17 ans, dispute sa première saison à Maniwaki. Il a grandi à Boise, en Idaho, dans le nord-ouest des États-Unis, et depuis l’âge de 12 ans, il parcourt l’Amérique pour pratiquer le sport qui le passionne. Son périple l’a mené en Californie, au Tennessee et au Connecticut. Le voilà maintenant en Outaouais.

Il est le seul du groupe à se présenter endimanché aux matchs de l’équipe, qu’il soit le gardien partant ou non.

« Je vois mon sport comme une business, dit-il. Je veux avoir une mentalité de professionnel, vivre la culture du hockey et être vu par des recruteurs. Alors me voilà. Travailler le plus fort que je peux et être le meilleur, c’est ce qui me fait tant aimer ce jeu. »

Cette dévotion complète fait d’ailleurs sourire ses coéquipiers et colocataires, qui ne s’attendaient pas à croiser sur leur route ce républicain assumé qui prie avant ses repas.

« Le jour des matchs, il ne parle à personne », raconte Paul Fuchs, joueur originaire de Turckheim, en Alsace. « Ce matin, on n’était que deux sur la glace, mais il était déjà dans son match. En plus, il joue seulement demain ! »

À la dure

Fuchs fait partie du « trio de Français » des Mustangs.

Comme lui, Nicolas Schutz et Niels Colliot ont décidé de tenter leur chance au Québec pour leur dernière année d’admissibilité aux rangs juniors. Ils en sont encore à décrypter le jeu nord-américain, bien plus rude qu’ils l’auraient cru.

« On a beaucoup moins de temps de décision, constate Schutz. Mais à 19 ans, on est encore en développement. On va s’adapter. »

Le jeu robuste n’effraie pas Jovan Ottawa-Quitich. Le colosse de 6 pi 8 po fait osciller la balance à 280 livres. Et il vient tout juste d’avoir 17 ans.

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Jovan Ottawa-Quitich

Résidant de la réserve de Manawan, dans Lanaudière, le joueur issu de la nation atikamekw se voit comme un protecteur pour ses coéquipiers. Vu ses habiletés somme toute limitées, son rôle est circonscrit au quatrième trio, mais il parcourt quand même 3 h 30 min chaque semaine pour continuer à jouer au hockey.

Ce qu’il aime avant tout ici, c’est ce mélange de joueurs de tous les horizons, sans égard à leur origine. « On est tous des frères d’armes », estime-t-il.

Il faut dire qu’à Maniwaki, ville limitrophe de la réserve algonquine de Kitigan Zibi, la cohabitation entre joueurs blancs et des Premières Nations ne date pas d’hier. L’aréna porte d’ailleurs le nom de Gino Odjick, qui a toujours défendu ses origines.

« Les joueurs autochtones, en grandissant dans le hockey, on a tous subi de la discrimination et du racisme, reprend Jovan. On s’est fait crier des noms, mais on se disait que ça faisait partie de la game. Dans cette ligue-là [la CPJHL], il n’y a rien de ça. »

« Chimie »

Ce n’est pas une mince tâche de trouver de la cohésion au sein de cette curieuse auberge espagnole. « L’important, c’est d’avoir du plaisir, de mettre tout le monde à l’aise », affirme Philippe Gaudron, capitaine de la formation.

« Tout le monde a cette mentalité. On s’aide, on crée une belle chimie. »

Comme peu de joueurs dans l’équipe résident à Maniwaki même, les entraînements collectifs sont rares.

N’empêche, la recette semble fonctionner. Avant la pause des Fêtes, les Mustangs pointaient au deuxième rang du classement, en vertu d’une fiche de 16 victoires et 10 revers.

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Quelques centaines de spectateurs assistent aux matchs des Mustangs.

Mais le propriétaire du club ne veut pas que ça s’arrête là. Ses hommes doivent obligatoirement donner un coup de main aux entraîneurs de l’association locale de hockey mineur, devenir des figures importantes pour la communauté. Il demeure aussi en contact avec la commission scolaire pour s’assurer que ses joueurs aux études gardent le cap.

D’un point de vue social, Éric Gauthier aimerait que son équipe ait le même statut que les équipes de la LHJMQ dans les marchés de plus grande envergure.

Il s’assure que ses troupes ne manquent de rien. Sa femme et lui invitent les expatriés à venir souper à la maison, ils leur proposent des activités. Surtout, dit-il, il tente de combler un besoin dans la région et veut créer un point d’attraction positif pour les jeunes du coin.

« On est une des MRC les plus pauvres du Québec, les jeunes n’ont pas grand-chose à faire », constate celui qui est d’abord courtier d’assurances.

« Le vendredi soir, s’ils sont dans les gradins de l’aréna, ils ne font pas de niaiseries ! »

La saison dernière, plusieurs centaines de partisans se rendaient aux parties des Mustangs – une récolte plus qu’honorable pour une communauté de 4000 habitants. La création d’une équipe sénior cet automne a divisé les assistances, mais quelque 200 fidèles étaient tout de même sur place au moment de notre passage.

Au fait, ce soir-là, les Mustangs se sont inclinés 7-4 devant le Bécard. Malgré la défaite, les spectateurs en ont eu pour leur argent, assistant notamment à un but marqué à la manière d’Andrei Svechnikov, depuis l’arrière du but, en fin de troisième période.

Les Mustangs ont toutefois pris leur revanche trois semaines plus tard en s’imposant 7-6 contre le même adversaire, qui subissait du coup une deuxième défaite seulement cette saison.

En cela, ils ont en quelque sorte profité, eux aussi, de leur deuxième chance.