C'était pendant les séries 2014. Carey Price venait d'aider le Canada à gagner l'or aux Jeux de Sotchi et tentait maintenant de mener le Tricolore aux grands honneurs.

C'était après une des rares périodes où ça avait moins bien été ce printemps-là. On a tendance à l'oublier, mais il présentait une jolie fiche de huit victoires et trois défaites quand un abat de Chris Kreider a mis un terme à sa saison.

Ladite période ne s'était donc pas passée au goût de Price. Laissons Mike Condon, qui s'entraînait alors dans l'entourage de l'équipe à titre de « black ace », raconter la suite.

« C'est l'entracte. Carey entre dans la pièce où ils évaluent les joueurs qui subissent une commotion cérébrale. Il prend une chaise et la lance au bout de ses bras ! Puis, il va aux toilettes et se lance de l'eau au visage. Il revient, ramasse la chaise et la replace là où il l'avait prise. Et puis, il retourne s'asseoir dans le vestiaire, à 50 pulsations/seconde, comme toujours. »

Carey Price a égalé hier le record d'équipe de Jacques Plante en signant son 314e triomphe. Pour l'occasion, La Presse s'est entretenue avec six de ses anciens adjoints, qui l'ont côtoyé de ses années juniors à Tri-City jusqu'à aujourd'hui, dans la LNH.

Et à l'unanimité, sans même que le sujet soit suggéré dans les questions, c'est toujours ce trait de caractère que Condon illustre dans son anecdote, qu'Alex Auld décrit comme « ce drôle de mélange de passivité et d'agressivité », qui ressort comme qualité première de Price. Peter Budaj, lui, a découvert cette facette en observant Price pendant les pauses publicitaires, quand il revenait au banc.

« Chaque gardien est différent. Certains aiment parler pendant les pauses, d'autres non, rappelle Budaj, du Reign d'Ontario, dans la Ligue américaine. Je voulais donc apprendre à le connaître. Mais finalement, c'était très simple. Il arrivait toujours avec le sourire, il déconnait, on parlait des jeux qui venaient de se passer. Il était très concentré, mais calme. »

« Je ne l'ai jamais senti nerveux. Il a compris que les émotions négatives ne t'aident pas et n'aident pas l'équipe. »

« Quand l'autre équipe marque deux buts, tu veux voir ton gardien rester calme, car c'est ce qui va te permettre de t'en sortir. Sinon, tu peux galvaniser l'autre équipe en montrant des signes de nervosité. »

C'est donc ce calme olympien qui peut expliquer pourquoi Price a survécu tout ce temps dans ce marché si exigeant pour ses gardiens, marché qui a même eu raison du grand Patrick Roy.

En incubation à Tri-City et à Hamilton

Carey Price venait d'être réclamé au 5e rang au total par le Canadien quand Chet Pickard s'est joint aux Americans de Tri-City.

Pickard, futur choix de premier tour des Predators de Nashville, s'est vite lié d'amitié avec un type qu'il décrit comme très « terre-à-terre ». Les deux gardiens étaient même cochambreurs, ce qui les a rapprochés. Car il n'y a qu'un ami proche qui puisse subtilement glisser des Glosette aux raisins sous les couvertures pendant la sieste. « Évidemment, j'ai eu chaud sous les draps, donc les Glosette ont fondu ! », se remémore Pickard en riant. On vous épargne le reste de la description, mais vous pouvez vous imaginer à quoi ressemblaient les draps blancs.

Pickard, qui joue aujourd'hui à Mannheim, en première division allemande, se souvient particulièrement des jours d'entraînement au Toyota Center de Kennewick, là où les Americans élisaient domicile.

« Souvent, il se couchait sur la patinoire et il me regardait arrêter des tirs, tout simplement. J'ai fini par comprendre qu'il regardait les angles, les zones que je ne couvrais pas, pour comprendre quels étaient les angles plus durs à couvrir. »

« Quand tu le regardes jouer, tu n'as pas l'impression qu'il bouge. En fait, c'est parce qu'il est très efficace dans ses mouvements. Parfois, moins, c'est plus [less is more]. »

Les étapes se bousculent pour Price. Il se dresse devant les Américains en demi-finale du Championnat du monde junior en janvier 2007, en route vers la conquête du titre mondial. Sa saison avec les Americans prend vite fin, dès le premier tour, ce qui permet au portier de 19 ans de se joindre aux Bulldogs de Hamilton, club-école du CH, pour la fin de la saison. Price y retrouve Yann Danis, qu'il avait connu à son tout premier camp avec le Canadien, en septembre 2005. « Jouer devant 21 000 personnes, ça n'avait pas l'air de le rendre nerveux », raconte Danis, qui travaille aujourd'hui dans le secteur immobilier.

Price ne vient finalement pas seulement épauler Danis ; il le supplante carrément à titre de numéro 1 !

« À la veille du premier match des séries, on m'a dit que l'organisation voulait que ce soit lui qui joue. C'était un coup dur. Mais j'ai vite compris que je ne pouvais rien dire. Il nous a amenés en finale. Et c'est lui qui a gagné la finale ! »

« C'est un exploit, sortir du junior et monter dans la Ligue américaine. Il y a une coche [entre les deux niveaux], et ça ne l'a pas affecté. »

Danis découvre à sa façon le calme légendaire de Price, dans son cheminement en séries, mais aussi dans un aspect très technique du jeu.

« Le contrôle de la rondelle, c'était déjà naturel, c'était déjà une force dans son jeu. Moi, je ne l'ai jamais vraiment eu. J'ai aussi joué avec Martin Brodeur. Rien ne stresse ces gardiens-là. Ils vont sortir de leur filet, lever la tête, faire leur lecture, passer la rondelle et retourner devant le but. Moi, j'arrêtais la rondelle, je la donnais, c'était tout. On aurait dit qu'ils avaient cinq secondes de plus que moi pour faire le jeu ! »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price et Peter Budaj

Les débuts

La Coupe Calder en juin 2007, les débuts en LNH quatre mois plus tard. On le disait ; les étapes se bousculent. Et ne l'affectent pas, foi de Cristobal Huet.

« Je me souviens de son premier départ, à Pittsburgh, raconte Huet. Avant le match, il jouait avec la caméra ! La caméra arrive sur lui, il la regarde et dit : "hi mom !" Quand on dit qu'il est laid back, c'est exactement ça. »

La progression de Price est fulgurante au point où le Français, aujourd'hui entraîneur des gardiens avec le Lausanne HC, est échangé en février 2008. Le filet est confié à deux recrues : Price et Jaroslav Halak. Ce dernier ravit toutefois le poste de numéro 1 à Price et mène le CH en finale de l'Est au printemps 2010. Pierre Gauthier doit alors trancher entre Price et Halak, et va à l'encontre du sentiment populaire.

« Je me joins au Canadien, l'équipe vient d'aller en finale de l'Est, elle échange Halak et soudainement, ça devient l'équipe de Price. Peu de joueurs auraient pu gérer ça », rappelle Alex Auld.

Aux yeux de bien des partisans, Gauthier a fait le mauvais choix. Ils sont réconfortés dans leur opinion quand ils voient Price accorder quatre buts sur 10 tirs en 30 minutes lors de son premier match préparatoire du camp 2010. C'est là que Price sort son fameux « chill out » en mêlée de presse, après avoir été hué plus copieusement qu'un lutteur qui triche à l'insu de l'arbitre.

« Ça prenait des couilles ! », rappelle Auld, qui agit désormais comme analyste à la radio à Vancouver.

« Sur le coup, je n'ai pas trouvé son commentaire très intelligent ! C'était comme s'il demandait de la pression. Mais ça en disait long sur sa personnalité. Il voulait cette pression. »

« Le printemps précédent, le succès de Halak l'a probablement fouetté. Je veux être ce gars-là. Sa déclaration, c'était sa façon de dire : c'est la première étape, mais ça va aller. Il savait ce dont il parlait. Avec le recul, je trouve que c'était une preuve de leadership. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price et Cristobal Huet

Le Vézina

Price passe de la parole aux actes. Cette saison-là, il présente une moyenne de 2,35 et une efficacité de ,923, amorçant 70 des 82 matchs du Canadien. « Il a un peu trop joué, en partie parce qu'ils ne croyaient pas qu'ils pouvaient me donner beaucoup de matchs ! », avoue Auld, en toute humilité.

C'est le début d'une époque dominante, qui aboutit sur la conquête des trophées Hart et Vézina en 2015.

À l'automne 2015, Mike Condon débarque dans le portrait et commence à développer une relation finalement éphémère, puisque la saison de Price prend fin le 25 novembre. Aussi fort mentalement soit-il, Price a souvent été victime de genoux fragiles, qui ont embêté le Canadien à quelques reprises.

Condon assiste donc à seulement 12 matchs de Price, mais se souvient de tout : la mise en échec sur Chris Kreider derrière le filet, les arrêts, l'aura d'invincibilité. Doit-on rappeler qu'au moment de hisser le drapeau blanc, Price présente une fiche de 10-2-0, une moyenne de 2,06 et une efficacité de ,934. Qui sait si un deuxième Vézina ne l'attendait pas ?

Condon se souvient certes des aspects techniques, mais lui aussi retient bien plus le calme de Price.

« Tu le regardes patiner et rien n'est précipité, explique Condon. Tout est fluide. Il prend son temps. On a un proverbe entre gardiens : slow is smooth and smooth is fast. Quand tu le regardes, ça a du sens. »

« Il est relax, naturel. Quand tu le regardes de près, tu remarques à quel point il exécute bien ses mouvements, avec un effort minimal », analyse Condon.

« J'aimais bien observer son comportement dans certains types de matchs. En début de saison, on jouait contre les Blues et Steve Ott, un bon agitateur. Après un arrêt de jeu, Ott enlève son gant pour mettre ses doigts dans la grille de Price. À la pause publicitaire, Price arrive au banc. "Dude, pourquoi tu n'as pas répliqué ?" Il a ri et a pris une gorgée d'eau. Il était déjà passé à autre chose. D'autres gars auraient répliqué. Pas lui. Et il avait connu tout un match. Ça m'avait marqué. »

Ce soir-là, Price avait effectivement bloqué les 38 tirs des Blues, en route vers un triomphe de 3-0. Une de ses 314 victoires, des victoires remportées par celui à qui on aurait donné le moins de chances de survivre dans la fournaise montréalaise, quand on compare le bouillonnant marché à son village natal d'Anahim Lake.

« Il a la personnalité pour Montréal, croit Cristobal Huet. Avoir confiance en soi et se foutre de ce que les gens disent, c'est une qualité. L'important, c'est ce que les entraîneurs et coéquipiers pensent. Bien sûr que les fans sont importants. Mais si on écoute tout le monde, on ne s'en sort pas, surtout à Montréal. »

« Il faut savoir être apprécié de ses boss et de ses coéquipiers et ensuite, on sera apprécié du public. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Carey Price