D’abord, les fleurs : l’audace du Canadien m’impressionne. Transgresser cette loi non écrite de la LNH, qui décourage toute offre hostile à un joueur autonome avec compensation, démontre du culot. La direction envoie ainsi un message bienvenu à ses fans : oui, nous voulons améliorer l’équipe, au risque de nous mettre les 30 autres équipes — et peut-être même le commissaire Gary Bettman — à dos.

Ce coup de poker du Canadien arrive en effet à un mauvais moment pour les Hurricanes, qui entrevoient enfin des jours meilleurs après des années de petite misère. Avec leur surnom « Bunch of Jerks », ils sont devenus — contre toute attente — une équipe cool le printemps dernier.

Plusieurs facteurs ont contribué à cette transformation, dont la présence de Sebastian Aho. Ce jeune homme possède les atouts pour être le visage de la concession pendant 10 ans. Ses patrons espèrent qu’il dynamisera cette concession établie dans un marché où le hockey est un sport secondaire. Cette résurgence des Hurricanes réconforte sûrement Bettman, heureux qu’un de ses canards boiteux retrouve de la vigueur.

Mais voilà que le Canadien dépose un caillou dans cet engrenage. Après avoir analysé la situation sous tous ses angles, Geoff Molson et Marc Bergevin ont estimé que les Hurricanes étaient les plus vulnérables à une offre hostile. Ils ont donc dessiné une proposition plaçant beaucoup de pression sur eux. Pour conserver Aho, les Hurricanes devront lui verser un boni de 11,3 millions US dans sept jours et un autre de 9,87 millions US le 1er juillet 2020 (les chiffres sont de TSN).

Pour une organisation riche comme le Canadien, ces versements ne sont pas un problème. Pour les Hurricanes, dont les revenus sont beaucoup plus modestes, ce n’est pas le scénario rêvé. Mais il serait franchement étonnant qu’ils refusent le nouveau contrat d’Aho. Leur propriétaire Tom Dundon est un homme riche malgré son investissement malheureux dans l’Alliance of American Football, un circuit qui a cessé ses activités en avril dernier avant même la fin de sa première saison.

D’où ma question : si le Canadien sait qu’il se fera des ennemis aux quatre coins de la LNH avec cette offre hostile à Aho, pourquoi ne pas avoir assumé l’affaire jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas avoir augmenté le montant de sa proposition à un maximum de 10,5 millions US par saison, même si cela aurait augmenté la compensation d’un choix additionnel de premier tour ?

D’abord, la pression financière sur les Hurricanes aurait été plus forte. Ensuite, la compensation aurait été plus alléchante. Dans le cas qui nous occupe, c’est comme si le Canadien se contente d’un demi-plongeon.

Les offres hostiles, pour avoir une chance de succès, doivent faire très mal à l’organisation ciblée tout en lui fournissant une compensation suffisamment alléchante. Celle du Canadien atteint-elle ce double objectif ? À mon avis, non.

En revanche, si la réponse est oui, une seule conclusion sera possible : les Hurricanes sont dans une très mauvaise situation financière. Et les gens de Québec pourront se remettre à rêver d’un éventuel transfert d’équipe. Mais je ne crois pas que nous en sommes là. J’ai plutôt l’impression que pour les Hurricanes, la proposition à Aho est un irritant majeur, mais pas un drame.

N’oublions pas que s’ils laissent partir un joueur de la dimension d’Aho en retour de choix de premier, deuxième et troisième tours, les Hurricanes seront la risée de la LNH et enverront un très mauvais message à leurs joueurs et à leurs partisans.

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On aurait pu s’attendre à voir un Marc Bergevin serein et confiant, hier après-midi, lorsqu’il a commenté les évènements du jour. Pas du tout. Rien à voir avec son air décontracté lors du bilan de fin de saison.

Le DG croit-il vraiment en ses chances de remporter le derby Aho ? Difficile à dire. Mais en écoutant bien ses propos, il est évident que cette démarche comporte aussi, et c’est parfaitement correct, un aspect de relations publiques. « Vous savez quoi ? Ceci démontre à nos fans qu’avec Geoff Molson comme propriétaire, nous voulons être une bonne équipe », a dit Bergevin.

La triste vérité, c’est que les meilleurs joueurs autonomes (John Tavares l’an dernier, Matt Duchene cette année) ne veulent pas jouer pour le Canadien. Alors aussi bien tenter un gros coup avec un jeune joueur ne profitant pas de son autonomie complète et qui serait bien bête de refuser une proposition pareille. Et ce n’est pas comme si le Canadien perdait la chance d’embaucher un autre joueur autonome de renom en attendant la décision des Hurricanes. Les grosses pointures disponibles sur le marché ont déjà trouvé preneur (même si Jake Gardiner n’a toujours pas signé de contrat).

Bergevin a aussi nié avoir ressenti une pression particulière de Molson dans ce dossier. Mais sa réponse à cette question a aussi démontré à quel point l’organisation est consciente de l’impatience des fans, qui déplorent qu’une organisation aussi riche ne dépense pas tout l’argent alloué. Il a lui-même évoqué cet enjeu, disant qu’il ne s’agissait pas d’un choix délibéré. Mais pas question de dépenser juste pour dépenser, a-t-il ajouté.

Personne n’est contre la saine gestion, mais avouons que cette philosophie est plus difficile à vendre quand l’équipe ne dispute qu’un tour éliminatoire en quatre saisons.

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En tentant d’amener Aho à Montréal, Bergevin dit aussi envoyer « un message » à ses joueurs. Bravo. Mais si Aho demeure en Caroline, le message n’aura duré qu’une semaine avant d’être expédié à la corbeille pour cause de non-concrétisation.

Le DG aura alors besoin d’une option de rechange. Sinon, quand les vétérans se regrouperont au début du camp d’entraînement, ils seront en droit de se demander si les séries éliminatoires sont accessibles sans ajouts significatifs. Oui, le CH aligne quelques solides espoirs. Mais Carey Price et Shea Weber auront encore vieilli quand la plupart d’entre eux seront enfin en mesure de faire leur marque dans la LNH.

Alors le Canadien doit croiser les doigts et espérer que les Hurricanes n’égalent pas son offre à Aho. Voir cet attaquant doué dans l’uniforme du CH serait un développement étonnant, mais exceptionnel.