«À chaque année, les gens cherchent des leçons à tirer et des méthodes à copier des équipes championnes de la Coupe Stanley. La leçon de 2019: il faut être au dernier rang du classement de la LNH au jour de l’An.»

Cette lumineuse remarque, pleine d’ironie évidemment, provient de l’ancien collègue à La Presse Marc-Antoine Godin, hier soir sur Twitter.

Son clin d’œil amuse, mais depuis hier soir, de nombreux partisans du Canadien, entre autres, reprochent très sérieusement à leur équipe favorite de ne pas avoir imité les Blues.

La question du gardien à 10,5 millions (Carey Price, pour ceux qui ne l’auraient pas deviné) revient évidemment sur le tapis puisque celui des Blues touchait en moyenne 650 000 $ cet hiver quand il n’était pas dans les mineures.

PHOTO CHARLES KRUPA, ASSOCIATED PRESS

Jordan Binnington (50)

Or, pour imiter la recette des Blues avec Jordan Binnington, il aurait fallu prêter l’an dernier son quatrième gardien au club-école des Bruins de Boston parce qu’on n’avait pas de place pour lui dans sa propre équipe de la Ligue américaine.

On l’aurait rappelé en désespoir de cause en décembre en raison des performances atroces du gardien numéro un (Jake Allen) et des blessures des auxiliaires de celui-ci, mais gardé sur le banc pendant un mois parce qu’on n’avait pas confiance en lui. Finalement, en désespoir de cause, alors que l’équipe croupissait au dernier rang du classement général, on lui aurait donné un match à Philadelphie. Sa première chance dans la LNH, à 25 ans. Une rencontre qu’il aurait gagné par blanchissage. Pour ne plus jamais perdre son poste.

Pour imiter la recette des Blues, il aurait fallu congédier l’entraîneur en novembre, comme St. Louis l’a fait avec Mike Yeo. Les Flyers de Philadelphie, les Blackhawks de Chicago, les Kings de Los Angeles, les Ducks d’Anaheim et les Oilers d’Edmonton ont aussi congédié leur entraîneur en première moitié de saison sans pour autant atteindre les séries, mais peu importe, si ça marche pour les Blues…

Pour imiter la recette des Blues, il aurait fallu du courage et sacrifier des choix de première ronde pour du renfort à court et moyen terme. Les Jets de Winnipeg, les Blue Jackets de Columbus, les Maple Leafs de Toronto et les Sharks de San Jose ont eux aussi cédé des choix de première ronde dans la dernière année. Les Jets et les Maple Leafs ont perdu en première ronde, les Blue Jackets au second tour contre les Bruins qui eux, ont conservé leur choix de première ronde.

PHOTO CHARLES KRUPA, ASSOCIATED PRESS

Brayden Schenn

Deux précisions sur cet aspect en particulier. Les Blues ont cédé en juin 2017 deux choix de première ronde pour obtenir Brayden Schenn. Les Flyers ont ainsi pu repêcher leurs deux meilleurs espoirs actuels, Morgan Frost et Joel Farabee.

Schenn a solidifié les Blues, mais n’a pas eu l’impact espéré. Il a obtenu 12 points, dont cinq buts en 26 matchs de séries éliminatoires. En novembre, il est passé à un poil d’être échangé aux Bruins, au moment où le DG Doug Armstrong jonglait avec l’idée de démanteler son noyau.

Armstrong a confirmé l’information à l’effet que plusieurs de ses joueurs importants étaient sur le marché, mais qu’il n’avait pas trouvé de partenaire d’échange.

L’acquisition de Ryan O’Reilly était audacieuse. Armstrong a cédé des choix de première et deuxième rondes, l’espoir Tage Thompson, et aussi deux vétérans pour établir un équilibre salarial dans la transaction.

PHOTO GREG M. COOPER, USA TODAY SPORTS

Ryan O'Reilly

O’Reilly demeurait un centre de talent, certes. Mais il avait connu seulement deux saisons de plus de 60 points en neuf ans de carrière. Il avait marqué plus de 24 buts une seule fois. Pour les Sabres, son salaire annuel de 7,5 millions pour les cinq saisons suivantes était trop élevé pour sa production offensive. On l’associait aussi aux insuccès de l’équipe. Les Sabres n’ont jamais participé aux séries en trois ans avec lui.

Le changement d’environnement a été fort profitable à O’Reilly. Il a connu de loin sa meilleure saison en carrière avec 77 points, dont 28 buts. Il a offert une performance héroïque en séries éliminatoires, non seulement 23 points en 26 matchs, mais un courage inébranlable avec des côtes fracturées, une extraordinaire efficacité en défense, un leadership indéniable. Avec le recul, cet échange pour Ryan O’Reilly relève du génie.

Mais sans une remontée spectaculaire au classement à compter de janvier, les Blues se seraient retrouvés dans une situation semblable à celle des Sénateurs d’Ottawa avec Matt Duchene. Ils auraient probablement transféré le premier choix offert pour O’Reilly en 2020, de façon à profiter d’une position favorable au repêchage de 2019. Qui sait s’ils n’auraient pas remporté la loterie?

Les Blues de St. Louis ont remporté la Coupe Stanley contre toute attente même s’ils ont amassé seulement trois points de plus que le Canadien en saison régulière, pour terminer au 12e rang du classement général, deux rangs devant le CH.

Il faut rendre hommage à Doug Armstrong et aux Blues de St. Louis. Ils ont remporté la Coupe Stanley. Personne ne peut leur enlever. Ils ont gagné grâce à un amalgame de flair, mais aussi de chance et d’un extraordinaire élan collectif au moment opportun.

Les Blues ont frôlé la catastrophe, mais finalement atteint le Graal. Il ne faut pas chercher à imiter la recette, parfois improvisée, aux dires même du patron. Chaque équipe l’emporte chaque printemps avec sa propre recette. Voyons à quoi ressemblera celle de l’an prochain…

À LIRE

Je ne rate jamais une chronique de mon distingué collègue Alexandre Pratt. Cette fois, il fait l'apologie du gardien Jordan Binnington, le contée de fées de la saison 2018-2019 dans la Ligue nationale de hockey.