Mercredi, ça bourdonnait un peu plus qu’à l’habitude dans la salle de rédaction de La Presse. Un potin ? Une enquête ? Un gros scoop ?

Non. C’était l’heure des choix. Ceux du pool des séries, une tradition qui doit précéder les premiers coups de patin d’Aurèle Joliat avec le Canadien.

Chaque journaliste a sa méthode. Certains misent sur leur équipe préférée. D’autres sous-traitent la tâche à leurs enfants. Les plus pressés tranchent à pile ou face. Il y a même un chroniqueur de la section Affaires qui propose aux meneurs de « racheter leur feuille » après le premier tour.

Ma stratégie ? Être le seul à parier sur un négligé. Pas facile – on est plus de 60. Mais ça peut s’avérer payant. Les Hurricanes m’ont ainsi fait gagner en 2006. Depuis ? Mes succès se comparent à ceux des Maple Leafs…

Cette année, j’ai donc changé d’approche. Je me suis tourné vers la science, avec une question toute simple.

Qui peut m’aider à prédire le gagnant de la Coupe Stanley ?

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La recette parfaite n’existe pas. Sinon, nous serions déjà tous très riches.

Par contre, on connaît quelques ingrédients. Ce sont les points communs entre les équipes championnes. Deux chercheurs québécois viennent d’en trouver un.

C’est quoi ? Ça s’en vient. Mais d’abord, les présentations.

Jean Lemoyne et Jean-François Brunelle sont affiliés à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Le premier est professeur en sciences de l’activité physique. Le second est préparateur physique et ex-hockeyeur. Il a remporté la Coupe Memorial avec les Prédateurs de Granby, en 1996.

Depuis un an, Jean Lemoyne et Jean-François Brunelle ont regardé beaucoup de matchs des séries. Précisément 96. Soit toutes les victoires des gagnants de la Coupe Stanley en 2011, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018.

Pourquoi ?

« On voulait comprendre comment les équipes championnes comptent leurs buts », m’explique Jean Lemoyne. Les deux hommes ont tout compilé à la mitaine. « On cherchait les buts, puis on reculait l’extrait vidéo jusqu’à la prise de possession de la rondelle. Entre les deux moments, on comptait le nombre de passes, de contacts avec la rondelle et le temps de possession. »

D’accord, ça semble futile. Mais sachez qu’il existe autant de façons de compter un but au hockey que de façons de préparer une sauce tomate. Il y a des buts dans un filet désert. En avantage numérique. En désavantage numérique. En échappée. En tir de pénalité. De la pointe. Autour du filet. Dans une mêlée. Et j’en passe.

C’est ici que ça devient intéressant. À elles seules, en saison, trois situations de jeu génèrent 15 % des tirs et… 73 % des buts ! Cités par les chercheurs de l’UQTR, les deux auteurs de cette découverte, Stephen Shea et Christopher Baker, ont codifié ces situations.

P – Buts comptés en supériorité numérique

T – Buts comptés en transition, avec un surnombre en entrée de zone

C – Buts comptés à la suite d’une erreur défensive dans l’enclave (clear path)

X – Buts comptés autrement

Jean Lemoyne et Jean-François Brunelle ont trié les buts de leurs 96 matchs selon ces critères. Ils s’attendaient à des différences. Après tout, le hockey des séries est différent de celui de la saison. Le chercheur Jason Baik l’a prouvé. À forces égales, il y a plus de mises en échec (32 %) et de tirs bloqués (8 %) en séries qu’en saison. Le nombre de buts à cinq contre cinq baisse aussi de 9 % au printemps.

Ce n’était pas le cas. « Rien de significatif », indique Jean Lemoyne.

Toutefois, en compilant les données, ils sont tombés sur autre chose. Un des ingrédients dont je parlais plus tôt. Les équipes championnes avant et après 2015 ne comptent pas leurs buts de la même façon.

Avant 2015, les gagnants de la Coupe Stanley réussissaient surtout en récupérant la rondelle en zone offensive. Les champions des quatre dernières années, eux, inscrivent plus de buts en partant de leur propre zone. Ces clubs génèrent plus facilement des surnombres en entrée de zone, des 3 contre 2, par exemple.

« Les équipes championnes inscrivent en proportion plus de buts en transition (T). Elles sont aussi plus efficaces en avantage numérique (P). À l’inverse, elles comptent moins de buts [qu’avant] en raison d’erreurs défensives dans l’enclave (C). »

— Jean Lemoyne, chercheur 

Jean Lemoyne fait remarquer que c’est exactement le style de jeu que préconisaient les Golden Knights de Vegas, finalistes la saison dernière. Alors pourquoi ce sont les Capitals de Washington qui ont gagné la Coupe ?

« Parce qu’il existe une autre façon de gagner : en prévenant les situations T, C et P. Les Capitals ont excellé dans ce domaine le printemps dernier. Leur entraîneur-chef [Barry Trotz] a réussi à fermer le jeu. Surtout en T et C. Quand on porte attention à ce modèle, on se rend compte qu’ils n’ont presque rien donné dans l’enclave à partir du deuxième tour. »

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Revenons aux pools des séries. Sur qui fallait-il miser ce printemps ?

Jean Lemoyne se risque. « À première vue, les Maple Leafs et les Sharks sont deux équipes qui semblent avantagées par la tendance. Par contre, elles sont probablement moins efficaces en défense pour prévenir les situations T et C. Ça reste à explorer. Pour le P, il y a une foule de facteurs contextuels qui peuvent [avoir une influence]. »

À choisir un seul club, Jean Lemoyne propose le Lightning de Tampa Bay.

« Si on se fie à la tendance depuis 2015, les équipes championnes ont de la facilité à effectuer des transitions efficaces. Elles sont aussi capables de créer des erreurs chez l’adversaire en zone offensive. En plus, l’attaque à cinq du Lightning est terrifiante. Ils ont les trois ingrédients du succès offensif. Leur défense est aussi capable de prévenir les buts dans les trois situations [P, T, C]. »

J’ai suivi les conseils du professeur Lemoyne… en partie. J’ai misé sur les Sharks au premier tour. J’ai prédit une finale entre le Lightning et les Blues, que je crois capables de prévenir les situations T, C et P. Mais les Maple Leafs ? Vraiment ? Non.

J’ai choisi les Bruins. Qui ont perdu le premier match 4-1.

L’an prochain, c’est déjà décidé. Entre mon instinct et la science, je prendrai la science. Mais en 7.

Un sommet science et hockey à l’UQTR

Le Laboratoire de recherche sur le hockey de l’UQTR organise un sommet science et hockey le 14 juin prochain, à Trois-Rivières. Jean Lemoyne et Jean-François Brunelle y présenteront les résultats de leurs recherches.