«Oui, c'est sûr que je m'en souviens.»

Noah Juulsen disputait son quatrième match dans la Ligue nationale. Le défenseur du Canadien était sur la patinoire depuis une dizaine de secondes quand il a vu le train se mettre en marche.

Le train, c'était Mathew Barzal, qui venait de prendre son élan depuis le territoire défensif. Juulsen, lui, venait de ralentir en zone neutre. Le temps de «bouger ses pieds», il était déjà trop tard.

«J'étais sur les talons, lui volait, il avait une zone complète pour prendre de la vitesse. Qu'est-ce que je pouvais faire?», se demande Juulsen, encore incrédule.

On a tendance à lui donner raison. Quelles étaient ses options? Un coup de hache sur les mains? Un double échec dans les dents? Un coup de chaise dans le dos? À la lutte, peut-être, mais on parle de hockey ici.

«Si j'avais écopé d'une pénalité, ils auraient eu un avantage numérique. Et puis tu ne sais jamais, peut-être que le gardien fera l'arrêt», poursuit Juulsen.

Photo James Guillory, USA TODAY Sports

Mathew Barzal

Antti Niemi n'a pas fait l'arrêt, et Barzal a donné une avance de 1-0 aux Islanders de New York. Une belle façon de souhaiter la bienvenue à Juulsen dans la LNH.

L'histoire s'est bien terminée malgré tout pour le numéro 58 du CH. Montréal l'a emporté 3-1. Et puis Juulsen peut se consoler: son nom s'ajoutait simplement à ceux de Rasmus Ristolainen, Ben Lovejoy et Rick Nash, qui avaient alors tous été victimes de Barzal.

Deux jours plus tard, les deux rivaux se sont retrouvés à Brooklyn. Le Tricolore l'a encore emporté, et cette fois, c'est Juulsen qui a marqué, pendant que Barzal terminait le match à -3.

Depuis les rangs atomes!

Juulsen savait très bien que c'était un patineur phénoménal qui s'amenait devant lui.

«Je crois qu'on a commencé à s'affronter au niveau atome, se souvient Juulsen. Il jouait pour Burnaby, je jouais pour Abbotsford. On a aussi joué ensemble au hockey de printemps et dans le tournoi Brick en 2007.»

Décidément, Juulsen a toute une mémoire. Voici Barzal, à 10 ans, qui marque lors de l'édition 2007 du tournoi estival. Regardez qui vient le féliciter.

Ça n'allait pas s'arrêter là. Après s'être affrontés à tous les niveaux au hockey mineur, ils se sont retrouvés dans la même division dans la Ligue junior de l'Ouest (WHL), pendant les quatre mêmes saisons, de 2013 à 2017. Juulsen avec les Silvertips d'Everett, Barzal avec les Thunderbirds de Seattle.

La Presse a répertorié 36 duels en quatre ans dans la WHL entre les deux joueurs. Barzal a amassé 36 points dans ces 36 matchs, et a présenté une fiche de +15. Juulsen: 10 aides, et un rendement de -7.

«Je peux t'assurer d'une chose: nous avons tout tenté contre Barzal, avec des succès mitigés, se souvient Kevin Constantine, qui dirigeait alors Everett. On a essayé des confrontations en unité de cinq. On a essayé de le doubler. On a essayé des défenseurs rapides pour qu'ils puissent suivre sa vitesse. On a essayé des défenseurs robustes pour qu'ils soient durs avec lui. Certaines stratégies ont fonctionné au début, mais aucune à long terme. Il était trop bon.»

Comble de malheur pour Constantine, Everett a croisé Seattle en séries éliminatoires lors de trois des quatre saisons de Barzal. Trois victoires de Seattle.

«Dans ces séries, il y avait quelques matchs clés qu'on devait gagner, et on avait besoin que Mathew fasse la différence dans ces matchs. Il l'a faite, parce qu'il en est capable», répond Steve Konowalchuk, qui était alors l'entraîneur-chef des Thunderbirds.

Coéquipiers aussi

On vous parlait du tournoi Brick, mais Juulsen et Barzal ont également été coéquipiers avec Équipe Canada junior en 2017, l'année de la finale perdue en tirs de barrage contre les États-Unis.

Malgré leur longue histoire, malgré les occasionnels coups de bâton, Juulsen parle de Barzal comme d'un ami.

«On n'est pas toujours en train de se texter, mais si j'en ai la chance après un match, je vais aller lui parler, explique Juulsen. C'est un bon gars qui aime faire des blagues. Mais sur la patinoire, il est très à son affaire. Ça paraît dans son jeu.»

«Comme coéquipier, j'ai surtout remarqué qu'il mange des rondelles, décrit Barzal. C'est un guerrier. Il va accepter des mises en échec, bloquer des tirs, aller dans la face des meilleurs joueurs. Il est très dur. Hors glace, c'est un bon gars, réservé, qui travaille fort.»

Dans la LNH

Barzal a été repêché au 16e rang par les Islanders en 2015. Dix positions plus tard, le Canadien sélectionnait Juulsen. Les voici dans la même association, ce qui les assure de s'affronter trois fois par saison. Le premier des trois duels a lieu ce soir, au Barclays Center.

«Il était dur à frapper, donc l'idée contre lui était de simplifier mon jeu, d'essayer de le neutraliser en plaçant bien mon bâton quand il transporte la rondelle», ajoute Juulsen.

Barzal est déjà établi comme une vedette de la LNH, une autre preuve de l'impact immédiat que peuvent avoir les jeunes attaquants. Il n'a pas ralenti cette saison, avec 12 points en 13 sorties. «Un patineur sans faille», estime Constantine.

Juulsen, lui, n'a pas le même impact, d'abord parce qu'il ne possède pas le talent pur de l'autre, ensuite parce que la position de défenseur demande une plus grande période d'adaptation. Il a le potentiel de devenir un bon arrière défensif responsable de couvrir des vedettes du calibre de Barzal, mais pour l'heure, on devine que Julien tentera de lui éviter le premier trio des Islanders. Qui sait, même, si Juulsen ne sautera pas son tour, après une soirée de -3 samedi?

«Il peut jouer en désavantage numérique, il pourrait même jouer dans une deuxième unité d'avantage numérique. Bref, il pourrait manger des minutes et en jouer 24 ou 25 par match, juge Konowalchuk, au sujet de Juulsen. Il le faisait dans le junior. Il a l'intelligence pour y parvenir.»

Dans les deux cas, l'avenir est prometteur et leurs confrontations devraient s'échelonner sur plusieurs années encore.