En janvier dernier, les Bills de Buffalo visitaient les Jaguars de Jacksonville au premier tour des séries éliminatoires de la NFL. Pour l'occasion, des milliers de membres de la «Bills Mafia» - des partisans des Bills qui ont peu en commun avec Edgar Fruitier - ont envahi les abords du stade des Jaguars.

Les images de partisans déchaînés ont fait le tour de l'Amérique. 



Pour s'expliquer cette folie, il faut comprendre ce qu'ont vécu les amateurs de sport de cette ville mal-aimée depuis l'arrivée de la NFL et de la Ligue nationale. Malgré de belles années, malgré la présence de Jim Kelly, Dominik Hasek, Thurman Thomas et Ryan Miller, aucun défilé du Super Bowl ou de la Coupe Stanley n'y a eu lieu.

Les malheurs n'ont cessé de frapper à la fois les Bills et les Sabres, menant certains à croire en l'existence d'une malédiction. Sans être aussi connue que les guignes qui s'abattaient autrefois sur les Red Sox de Boston et les Cubs de Chicago, la malédiction de Buffalo a néanmoins fait l'objet de nombre d'articles. Ces infortunes, jumelées à des facteurs historiques et économiques, ont contribué à façonner la mentalité des amateurs de sport de la ville.

«En 1901, le président McKinley a été assassiné ici, rappelle Nellie Drew, professeure de droit à SUNY-Buffalo et qui a travaillé une dizaine d'années comme avocate pour les Sabres. De la même façon que Dallas a été marqué par l'assassinat de Kennedy, nous avons également été marqués, un peu comme si on avait conservé un sentiment de culpabilité. Économiquement, on a toujours été la deuxième ville de l'État, loin derrière New York. On dirait parfois que les gens ont adopté une mentalité de citoyens de seconde zone.»

Cette semaine, les Sabres repêcheront vraisemblablement Rasmus Dahlin, un joueur qui, comme Raymond Bourque ou Nicklas Lidstrom, possède les outils pour devenir le meilleur défenseur de sa génération. Or, pour mettre la main sur Dahlin, les Sabres ont remporté la loterie du repêchage en avril dernier. Le genre de « victoire » qui, jusqu'à tout récemment, était impensable dans l'ouest de l'État de New York.

«L'espoir renaît toujours [hope springs eternal], et tu n'as qu'à arrêter à Buffalo, New York, pour le constater, observe Rick Jeanneret, légendaire descripteur des matchs des Sabres depuis 1971. Les gens ont simplement besoin de bonnes nouvelles.»

Les malheurs

Les Sabres parleront au premier rang pour la troisième fois de leur histoire, et une première fois depuis 1987 quand ils avaient mis la main sur Pierre Turgeon.

Les Bills, eux, malgré des années difficiles depuis la glorieuse décennie 1990, n'ont pas repêché au premier rang depuis 1985. Ils n'avaient pas raté leur coup, sélectionnant Bruce Smith, un des meilleurs chasseurs de quarts de l'histoire de la NFL.

Depuis, les deux équipes ont frôlé la gloire, sans jamais l'atteindre: quatre défaites de suite au Super Bowl, une finale de la Coupe Stanley perdue sur le controversé but de Brett Hull, une finale d'association perdue en 2006 en raison d'une hécatombe de blessures dans le septième match...

«Les Hurricanes [de la Caroline] nous battent, ils arrivent en finale contre les Oilers [d'Edmonton], qui perdent leur gardien Dwayne Roloson dès le premier match. On aurait gagné la finale, c'est évident!, lance l'ancien gardien Martin Biron, membre de cette édition 2005-2006 des Sabres.

«Ici, c'est comme une culture : on perd toujours, on se fait toujours avoir, estime Biron, qui habite Buffalo depuis près de 20 ans. C'est ce que la famille Pegula, les Bills et les Sabres essaient de changer. Moi, en étant dans les médias, j'essaie aussi de changer cette perception. Les gens ont toujours l'impression que le pire va arriver. S'il y a une loterie, on ne la gagnera pas.»

Le vent tourne

Le 1er janvier dernier, les Bills avaient besoin d'un alignement parfait des astres pour une première participation aux éliminatoires depuis la saison 1999. Ils ont d'abord battu les Dolphins de Miami 22-16, mais ont aussi besoin d'une victoire de Cincinnati contre Baltimore. C'est là qu'Andy Dalton réussit une passe de touché de 49 verges à Tyler Boyd, avec 44 secondes à jouer au match, pour permettre aux Bengals de battre les Ravens 31-27.

Quatre mois plus tard, les Sabres gagnent la loterie du repêchage. Et ce n'est pas l'unique bonne nouvelle de la saison morte à Buffalo.

«Les gens se plaignaient que les Sabres n'avaient pas eu grand-chose en retour d'Evander Kane. Finalement, il a signé une prolongation de contrat avec les Sharks [de San Jose], donc le choix de deuxième tour est devenu un choix de premier tour [en 2019]», rappelle Biron.

Des sources d'espoir, il y en a. Mais ça en prendra plus que ça pour chasser le cynisme des esprits.

«J'étais avec ma fille et son mari quand les Sabres ont gagné la loterie, se souvient Nellie Drew. La première réaction de son mari quand on a appris la nouvelle: "Quel moyen trouveront-ils pour manquer leur coup?" C'est notre mentalité! Les gens de l'ancienne génération savaient où ils étaient quand Kennedy est mort. Ceux de notre génération se souviennent où ils étaient quand [Scott] Norwood a raté son placement!»

Reste maintenant à voir à ce que le mélange de défaitisme et d'enthousiasme ne devienne pas trop lourd sur les épaules du jeune Suédois de 18 ans que les Sabres s'apprêtent à repêcher. Lors du camp d'évaluation de la LNH, justement tenu à Buffalo, Dahlin a eu droit à une mêlée de presse démentielle, où s'entassaient une douzaine de caméras et une bonne quarantaine de journalistes.

«La communauté est au septième ciel, estime Jeanneret. Je crains qu'il y ait beaucoup de pression sur le jeune. Je ne veux pas dire qu'il est le sauveur, mais il sera un des piliers de l'avenir.»

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Photo Kevin Higley, archives Associated Press

Bruce Smith

La malédiction de Buffalo

27 janvier 1991

Les Bills participent à leur premier Super Bowl. Menés 20-19 par les Giants de New York, ils reprennent le ballon avec 2 min 16 s à jouer et sont assez près de la zone des buts pour tenter un placement de 47 verges. Scott Norwood rate son coup. «Wide right», dira le descripteur.

25 octobre 1991

Pierre Turgeon, premier choix au total en 1987, est sacrifié dans une transaction qui permet aux Sabres d'obtenir Pat LaFontaine. LaFontaine sera dominant à ses deux premières campagnes à Buffalo, mais les commotions viendront ensuite gâcher sa carrière.

26 janvier 1992

Marv Levy mène son équipe en finale pour une deuxième année de suite, cette fois contre les Redskins de Washington, qui l'emportent 37-24.

31 janvier 1993

Revoici les Bills au Super Bowl! Cette fois, le verdict est sans appel: une bastonnade de 52-17 aux mains des Cowboys de Dallas.

30 janvier 1994

Les Bills ne peuvent pas perdre quatre fois de suite au Super Bowl, n'est-ce pas? N'est-ce pas? Dallas 30, Buffalo 13.

19 juin 1999

Les Sabres atteignent la finale de la Coupe Stanley et se battent pour leur survie dans le sixième match. En troisième prolongation, Brett Hull donna la victoire aux Stars de Dallas avec un but qui, selon plusieurs, aurait dû être refusé.

8 janvier 2000

Les Bills n'ont remporté qu'un match éliminatoire depuis les quatre présences de suite en finale. La défaite la plus mémorable est sans aucun doute le «Music City Miracle», un improbable retour de botté permettant aux Titans du Tennessee de triompher 22-16.

1er juin 2006

Septième match de la finale de l'Association de l'Est entre les Sabres et les Hurricanes. Mais l'équipe est privée des défenseurs Jay McKee, Teppo Numminen, Henrik Tallinder et Dmitri Kalinin. Sans surprise, les Hurricanes remportent le match, puis la Coupe Stanley.

15 avril 2014

Les Sabres viennent de boucler la saison au dernier rang du classement général. Mais les Panthers de la Floride jouent de chance à la loterie et gagnent le premier choix. Ils sélectionnent le défenseur Aaron Ekblad. Le prix de consolation des Sabres: Sam Reinhart.

18 avril 2015

Les Sabres finissent au 30e rang pour une deuxième année de suite. Cette fois, ce sont les Oilers qui gagnent la loterie. C'est là qu'un certain Connor McDavid leur glisse des mains en raison du satané boulier... Les Sabres se «rabattent» sur Jack Eichel.