En 2006, le Canadien faisait de David Fischer son premier choix au repêchage. Quatre ans plus tard, Fischer n'est plus un membre de l'organisation montréalaise; en fait, il patine avec une obscure équipe de la Floride. La Presse l'a retrouvé. Et l'a rencontré.

On entre au Germain Arena, et ce qui frappe en premier, ce sont les détails. Ce petit tableau indicateur qui ne diffuse pas d'image. Ces partisans peu nombreux qui ont l'air de tous se connaître. Cet annonceur maison au débit rapide, qui hurle «pizza!», après le premier but de l'équipe locale, parce qu'ici, au Germain Arena, les fans ont droit à une pointe de pizza gratuite quand les favoris marquent en premier. Il y a aussi un concours de chaise musicale au premier entracte.

C'est clair, on est loin de la Ligue nationale.

Nous sommes à Estero, petite ville du sud-ouest de la Floride. En ce mercredi soir bien tranquille, les Everblades de la Floride accueillent les Road Warriors de Greenville. Les deux clubs font partie de la East Coast Hockey League.

Comme par hasard, le premier joueur qui saute sur la glace ce soir-là, c'est David Fischer. Oui, ce David Fischer-là. Celui qui avait été le premier choix du Canadien au repêchage de 2006. Il arrive sur la glace devant des rangées de bancs vides. Près du banc des joueurs, quatre personnes âgées se lèvent pour l'applaudir. Les autres fans se contentent de jaser ou de siroter leur Bud Light.

On le regarde aller dans son chandail blanc et vert, et on se dit que ce n'était pas ça, le scénario. On voit pourtant le même jeune homme qui, il n'y a pas si longtemps, était l'un des grands espoirs chez le Canadien. Trevor Timmins ne l'avait-il pas qualifié de «leader-né» ?

Mais dans l'anonymat du Germain Arena, tout cela importe peu. Ici, David Fischer n'est qu'un autre joueur, qu'un autre numéro. Ce soir en tout cas, ce n'est pas lui qui est le plus populaire; cet honneur revient plutôt à son coéquipier Francis Lemieux, joueur de centre, qui décide de se battre avec un adversaire lors de la deuxième période.

Pour la première fois de la soirée, la foule est debout.

Pas amer

Je rencontre Fischer après le match, dans le petit vestiaire des Everblades. Il n'a pas trop changé. Toujours aussi volubile, toujours aussi souriant. Il parle avec la sagesse d'un vétéran, même s'il n'a que 22 ans.

Je lui demande ce qu'il fait ici. La réponse dure un bon cinq minutes.

«Ce qui est arrivé? Il est arrivé que le Canadien m'a fait savoir qu'il allait continuer sans moi. C'est tout. On ne m'a rien dit d'autre, il n'y a pas eu beaucoup de dialogue entre nous. J'ai su cet été que c'était fini avec le Canadien. J'imagine que je n'ai pas évolué comme ils le souhaitaient. C'est correct, parce que je n'ai pas progressé comme je le souhaitais non plus.»

Fischer parle d'un ton posé. Il sourit, joue nerveusement avec une serviette, regarde par terre quand il cherche ses mots. Il n'est pas amer. Pas trop déçu non plus.

«Je pourrais rester dans mon coin et me prendre la tête à deux mains, mais ça donnerait quoi? Je ne veux pas être une personne négative. Des fois, c'est sûr, je me dis que j'aurais dû lâcher l'université pour aller jouer dans les rangs juniors. J'aurais joué plus souvent et, peut-être qu'au bout du compte, ç'aurait été mieux pour moi. Mais je ne m'en fais pas trop avec ça.

«Honnêtement, je ne sais pas ce qui s'est passé. C'est dur à expliquer. À l'Université du Minnesota, j'ai été confiné à un rôle de défenseur strictement défensif. À cause de ça, je n'ai pas récolté beaucoup de points. Je ne jouais jamais sur l'attaque à cinq.»

Il n'en veut pas au Canadien. D'ailleurs, il conserve précieusement la photo du repêchage de 2006 où on le voit en train de serrer la pince à Bob Gainey. Il a aussi conservé le chandail rouge du CH que Gainey lui a remis ce jour-là.

«Comme je disais, il n'y a pas eu beaucoup de dialogue entre le Canadien et moi. Quand Bob est parti, les choses ont changé. À ce moment-là, j'ai senti que je n'étais pas un favori de la nouvelle direction du Canadien. Je pense que j'étais avant tout le choix de Bob. Après ça, je ne faisais plus partie des plans.»

Encore dans ses rêves

Fischer n'a pas perdu espoir. La Ligue nationale est encore dans ses rêves. Ce qu'il veut vraiment, c'est connaître une saison du tonnerre par ici et voir un peu ce qui s'offre à lui par la suite. Avec les Everblades, le défenseur de 6'3 et 203 livres a dit oui à un contrat d'une saison, à un salaire «entre 500$ et 1000$ par semaine», ajoute-t-il, sans en dire plus.

«Il y a beaucoup de politique dans la LNH. Si on est agent libre comme moi, c'est plus dur. On passe derrière les gars qui sont déjà sous contrat, derrière les gars qui viennent d'être repêchés. Ça devient une affaire de nombre, de chiffres. Tu vois, j'ai pris part au camp des recrues des Canucks en septembre. J'ai bien joué, mais ils n'avaient pas de place pour moi. C'est comme ça.

«Tu me demandes si j'ai des chances un jour de jouer dans la LNH... c'est dur de répondre à ça. Parce que ça ne dépend pas seulement de moi. Je vais disputer cette saison-ci et je vais réfléchir à tout ça une fois la campagne terminée. Je suis jeune, je reste positif, et je crois que j'ai encore beaucoup de bonnes années devant moi. Enfin, je dispute plus que deux matchs par semaine. C'était comme ça à l'université; deux matchs par semaine. Il aurait peut-être fallu que je joue plus souvent...»

La bonne attitude

Craig Brush est le directeur général des Everblades de la Floride. Selon lui, un joueur patine en moyenne pendant trois ou quatre ans dans la East Coast Hockey League. Ensuite, les gars passent à autre chose. Certains vont en Europe, d'autres choisissent la retraite. Quelques rares chanceux vont faire le saut dans la Ligue nationale.

Quelles sont les chances de Fischer, M. Brush?

«C'est dur à dire. En tout cas, il est arrivé ici avec la bonne attitude, il ne s'est jamais plaint de son sort. J'ai été surpris quand son agent m'a appelé pour m'offrir ses services... La Ligue nationale, il est un peu tôt pour en parler dans son cas. Il doit encore améliorer certaines choses, dont sa vitesse d'exécution. Mais il est sur la bonne voie.»

Estero, le Germain Arena et ses quelque 7000 sièges, tout cela est loin, très loin de la LNH. Mais c'est ici que l'ex-espoir du Canadien a choisi de commencer sa carrière chez les pros.

«Je joue bien depuis que je suis ici, je suis plus productif en attaque. Je veux seulement me faire remarquer», dit-il avant de rentrer chez lui.

Fischer veut une autre chance. Reste à voir si quelqu'un, quelque part, voudra bien la lui donner.