Guy Lafleur a touché des gens de tous les horizons. C’est peut-être Gaétan Lefebvre qui l’a le mieux résumé. Avant de devenir thérapeute en chef du Canadien dans les années 1990, il a commencé comme simple assistant à temps partiel à l’époque où le Démon blond terrorisait la Ligue nationale.

« Il était bon sur la glace, encore meilleur hors glace, que ce soit avec les fondations, ses coéquipiers ou le personnel. J’étais en bas de l’échelle, je n’ai jamais marqué un but. Mais il me disait toujours : “C’est important, ce que tu fais.” »

Des témoignages de la sorte, on en a entendu beaucoup mardi sur le parvis de la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde, à Montréal, à l’occasion des funérailles de Guy Lafleur. L’amour du public s’est exprimé à travers les « Guy, Guy, Guy » scandés par les gens quand le cortège funèbre s’est immobilisé, boulevard René-Lévesque. L’amour des proches de Lafleur s’est exprimé à travers les témoignages glanés au fil de la journée. Tous avaient en commun d’avoir ressenti l’impact de la présence de Lafleur dans leur entourage.

À commencer par un jeune Gaétan Lefebvre qui, en troisième secondaire (!), commençait déjà à besogner dans le vestiaire au Forum.

« Guy aimait arriver très tôt, a raconté Lefebvre. Il y avait un problème : ça prenait quelqu’un pour débarrer le vestiaire. Moi, la semaine, je finissais l’école à trois heures et demie. J’ai fini par avoir la permission de mon père pour finir l’école plus tôt. Mais je n’avais pas assez de temps pour partir de Pointe-Saint-Charles vers le Forum, donc un chauffeur du nom de Guy Lafleur venait me chercher à l’école. Mais là, il fallait que je convainque mes professeurs que c’était le vrai Guy Lafleur qui venait me chercher !

« Je le vois encore… “Viens-t’en, on va être en retard !” Je lui disais : “On joue à 8 h !” On arrivait au Forum. Le temps de me changer, lui avait mis ses jambières, pantalon et patins et on jouait au backgammon pendant une heure. »

Les coéquipiers

C’est évidemment dans le vestiaire du Canadien que son influence s’est le plus fait sentir. « Pendant six ans, il était le premier marqueur ou presque, a rappelé Mario Tremblay, son coéquipier de 1974 à 1984. Moi, je disais aux gars : “On est-tu chanceux ? On est sur le banc, on voit ça tous les soirs, on est payés pour voir ça, c’est de toute beauté !”

« La beauté de ça, c’est que Guy vient de Thurso et il n’a jamais changé malgré son statut de supervedette. Nous, les plus jeunes, on a appris de ça, à voir ces gars-là avoir autant de succès et rester humbles. Quand on parle de passer le flambeau… »

Lafleur a aussi eu des coéquipiers ailleurs, notamment avec Équipe Canada à trois reprises, dans des évènements internationaux. Un de ces tournois était la Coupe Canada de septembre 1981. Kevin Lowe n’y était pas, mais un de ses illustres coéquipiers des Oilers d’Edmonton y était.

« Ça a vraiment changé Wayne, estime Lowe. Il est revenu et il disait : “On était chums, on a passé du temps ensemble, on allait souper.” Je pense que ça a vraiment changé Wayne, ça en a fait un meilleur leader. »

Deux ans plus tard, Gretzky devenait capitaine des Oilers, avec les résultats que l’on connaît.

À Québec aussi, Lafleur a été influent. Deux grandes carrières se sont croisées au Colisée de 1989 à 1991 : un Guy Lafleur en fin de parcours et un jeune Joe Sakic, qui a disputé ses deuxième et troisième saisons avec le Démon blond.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Joe Sakic

Même si son équipe, l’Avalanche du Colorado, amorçait mardi soir son parcours en séries, Sakic a tenu à venir saluer son ancien coéquipier et cochambreur.

« C’était un bon exemple pour nous tous. Je me souviens de la manière dont il traitait les partisans, s’est remémoré Sakic. À notre dernier voyage dans l’Ouest canadien, on était tous dans l’autocar à Winnipeg, il signait des autographes pendant une heure, une heure et demie. À Edmonton, il est resté trois ou quatre heures après le match pour en signer d’autres. C’est marquant. »

Les rivaux aussi

Glenn Healy ne manque certainement pas de sens de l’autodérision.

L’ancien gardien était prêt à répondre aux questions sur Lafleur, se souvenant même par cœur de la date du dernier tour du chapeau du numéro 10… parce que c’était lui, le pauvre gardien qui en avait été victime !

« 27 février 1989, lance-t-il fièrement [vérification faite, c’est la bonne date]. Il l’avait encore, même à la fin. Il pouvait encore me faire souffrir. »

Et l’impact de Lafleur ? « Il est dans la lignée des Béliveau et des Richard, des joueurs qui ont construit cette franchise. Personne ne payait pour me voir jouer à Toronto. Les gens voulaient voir Johnny Bower, Dave Keon. Ce sont ceux qui ont préparé la scène à Toronto, et Lafleur l’a fait à Montréal. »

Alain Côté en a lui aussi bavé contre Lafleur. « J’avais juste hâte que mon shift finisse. Il patinait en tabarnouche et il ne se contentait pas d’être juste nord-sud, il était partout sur la glace ! », a lancé l’ancien centre des Nordiques.

Comme Healy, Côté prête lui aussi une grande influence à Lafleur.

« Il a changé le hockey, le Canadien a changé le hockey en battant les Flyers en 1976, estime-t-il. Guy Lafleur y a contribué. Il était rapide. Il ne s’est pas contenté de faire face aux gros bras. Il a scoré, il a montré que l’intelligence du jeu était pas mal mieux que l’intelligence des bras ! »

À sa façon, Lafleur a donc contribué à changer des choses, à rendre le hockey plus spectaculaire, moins violent. Mais aussi à changer des vies. Et c’est surtout ce dernier point que Serge Savard, son ancien coéquipier et ancien DG, a retenu.

« Il a fait une différence partout où il est passé, après sa carrière. Sur la glace, il a été le meilleur joueur de la ligue pendant six ans. Après sa carrière, il a fait un paquet de choses. Dans les derniers mois de sa vie, il a amassé des fonds pour la Fondation du CHUM, il a amassé plus de 2 millions. Sa femme racontait hier qu’il lui disait : “Ce n’est pas moi qui vais en profiter, mais d’autres vont en profiter.” C’est un peu ça. »