(New York) La relation entre Jacques Lemaire et Guy Lafleur est complexe, pour des raisons maintes fois expliquées ces derniers jours. Mais ce n’était pas non plus la guerre ouverte entre les deux anciens coéquipiers.

« Il est arrivé ce qui est arrivé. Mais je n’ai jamais changé mon point de vue sur Guy à cause de ça, a affirmé Lemaire, en entrevue avec La Presse, mardi. Guy est resté le joueur et la personne que je pensais. S’il a dit des choses intenses sur moi, je dois passer par-dessus. Mais ce qu’il a fait pour le Canadien, pour le peuple québécois, pour les autres joueurs et pour moi, c’est ça qui reste. Je ne m’arrêterai pas juste sur un incident. »

Lemaire tenait d’ailleurs à assister aux funérailles de Lafleur, comme il l’avait révélé au confrère du Journal de Montréal Jonathan Bernier. Il habite en Floride, tout comme Steve Shutt. Les deux avaient prévu prendre le même vol pour saluer une dernière fois le légendaire ailier droit de leur trio.

Sauf que Lemaire n’est pas vacciné contre la COVID-19, en raison d’un problème de santé qu’il évoque. En tant que personne non-vaccinée, il aurait été limité dans ses activités à son arrivée au Canada.

C’est à regret qu’il ratera l’évènement, parce qu’il assure qu’il entretient le plus grand respect pour le Démon blond.

Un froid

Le torchon brûlait déjà entre Lafleur et le Canadien en 1984, une relation qui a continué à se détériorer quand Lemaire est devenu entraîneur-chef, avec 17 matchs à jouer à la saison 1983-1984. Lafleur a été limité à 2 buts et 9 mentions d’aide pendant ces 17 matchs. En séries : aucun but, 3 mentions d’aide en 12 rencontres.

Ce n’était guère mieux en début de saison suivante (5 points en 19 rencontres), si bien que Lafleur ne totalisait que 4 buts en 48 matchs sous Lemaire quand il a décidé de rentrer chez lui, puis d’annoncer sa retraite.

« Comme coach, t’as des opinions différentes. J’avais une job à faire. C’est évident que j’aurais aimé que Guy en fasse partie. Quand on a été en finale de conférence [en 1984], il faisait encore partie de ça. »

Lemaire en était alors à ses débuts comme entraîneur-chef dans la LNH. Il avait pris sa retraite de joueur au terme de la saison 1979, et avait ensuite appris son métier en Suisse, au niveau universitaire américain et avec les Chevaliers de Longueuil.

« C’est évident que quand tu commences, il y a certaines choses que tu ferais différemment avec le recul, admet-il. Mais j’ai quand même essayé des choses et je n’ai pas eu de résultat. Lorsqu’un joueur ne performe pas comme prévu, tu t’assois et t’essaies de régler certaines choses. »

C’est évident que ça n’a pas fonctionné. Peut-être que j’aurais pu faire autre chose pour l’aider, et Guy aussi.

Jacques Lemaire

Lafleur a gardé une rancune pendant un certain temps. Prenez cette citation au New York Times en 1988, lors de son retour au jeu, au sujet de sa fin de carrière à Montréal : « C’était la pire période de ma vie. J’avais le choix de faire des ulcères d’estomac à 33 ans ou de prendre ma retraite. »

Cela dit, l’eau a coulé sous les ponts et les relations sont devenues cordiales quand les deux hommes se croisaient dans des évènements. Mais à entendre Lemaire, il persistait néanmoins une certaine zone grise.

« On n’a jamais même effleuré le point, assure Lemaire. On parlait de différentes choses, mais pas de ce qui était arrivé. On parlait de choses de l’actualité. S’il avait voulu, je lui aurais donné mon point de vue, mais il ne me l’a jamais demandé.

« Des accrochages, ça arrive. J’en ai eu avec Ken Daneyko, et on en a parlé par après. Il voulait savoir ce que je pensais. Il avait du grand respect pour moi, et moi, pour lui. Avec Guy, ni l’un ni l’autre ne voulait en parler. C’est pour ça qu’entre nous deux, on n’en a pas parlé, on n’a jamais vidé la question. »

De bons souvenirs

Lemaire garde tout de même un souvenir positif de son ancien compagnon de trio.

« C’était très facile de jouer avec lui, à cause de son talent, de sa vision. C’était réellement une bonne personne. Je ne l’ai jamais vu fâché après quelqu’un. C’était un gars très easy going. C’est évident qu’il a aidé ma carrière, celle de Steve Shutt. Il a aidé la carrière de tous ceux avec qui il a joué, comme Wayne Gretzky. »

De son côté, en tant que conscience défensive de son trio avec deux ailiers résolument offensifs, Lemaire a tiré des leçons pour sa carrière de coach.

« J’ai eu Marian Gaborik, et j’envoyais toujours quelqu’un pour s’occuper de la défense, pour que Marian ne pense pas qu’il devait changer sa façon de jouer. Guy n’a jamais eu à y penser parce qu’il savait que j’étais derrière. Avec Ilya Kovalchuk au New Jersey, c’était la même chose. Il était offensif, et la défense, il n’y croyait pas ben, ben ! C’est simple, tu mets des joueurs défensifs avec lui et tu leur dis : laisse-le aller, assurez-vous de revenir, et ça va fonctionner. Si tu mets trois gars offensifs ensemble, tu vas avoir de très bonnes soirées, mais aussi des moments plus difficiles ! »