Rogatien Vachon était sur son ranch, quelque part dans le Montana, quand nous lui avons appris la bien mauvaise nouvelle, bien malgré nous.

« Qu’est-ce qui est arrivé à Guy ? Je ne savais pas… Je savais qu’il était gravement malade, mais je ne savais pas. On dirait qu’on perd beaucoup de nos anciens joueurs, ces temps-ci… »

Dans son coin du Montana, « avec des chevaux et des poules », Rogatien Vachon ne pense plus vraiment au hockey. Il pense à ses enfants, à ses petits-enfants, et le hockey arrive loin derrière, lui qui a remisé son masque de gardien et ses jambières au terme de la saison 1981-1982. Chez lui, les nouvelles voyagent un peu moins vite… y compris la nouvelle de la mort d’un héros national.

Et pourtant, Vachon, qui a porté tour à tour le maillot du Canadien, des Kings, des Red Wings et des Bruins, s’est retrouvé sur le chemin de Guy Lafleur très souvent lors de sa carrière de 16 saisons dans la Ligue nationale. En premier, sa sortie de Montréal coïncide avec l’arrivée de Guy dans le vestiaire du mythique Forum, en 1971-1972. Ensuite, c’est avec Lafleur que Vachon connaît l’un de ses plus grands triomphes, celui de la conquête de la Coupe Canada en 1976.

Mais aussi, il y a ce léger détail, que Vachon lui-même ignorait jusqu’au moment où on le lui a rappelé : de tous les gardiens déjoués par Guy Lafleur, c’est lui qui a eu le plus souvent à sortir une rondelle du filet. Car Lafleur a déjoué Vachon à 31 reprises lors de sa carrière, plus que tout autre gardien dans la LNH.

« Ah oui ? OK… Je ne savais pas ça ! répond-il. Je ne connais pas les statistiques de Guy par cœur, mais je ne suis probablement pas le seul gardien de la LNH à lui avoir accordé des buts ! Je pense qu’il en marquait contre pas mal tous les gardiens de l’époque.

« Je n’ai pas de souvenirs en particulier quand je repense à Guy, mais je me souviens qu’il était un beau joueur de hockey… C’était un joueur qui était excitant à voir aller, surtout par la manière dont il patinait avec ses longs cheveux. Aussi, il avait un lancer vraiment fantastique. »

C’était le fun de le voir jouer, assis devant la télévision… mais en tant que gardien, c’était moins le fun de devoir jouer contre lui ! Quand il arrivait à toute vitesse sur l’aile droite, je me souviens que ce n’était pas le fun…

Rogatien Vachon

Et qu’est-ce qui faisait le succès de Guy Lafleur, au juste ? Après tout, on ne marque pas 31 buts contre le même gardien seulement grâce à la chance ou au hasard…

Au bout du fil, Rogatien Vachon marque une pause avant de tenter une réponse.

« Je pense que c’est grâce à son lancer… Dans ces années-là, il n’y avait pas tellement de joueurs qui étaient capables de lancer comme lui. C’est bizarre parce que Mike [Bossy] est parti lui aussi dernièrement, et ces deux-là se ressemblaient pas mal sur la glace. »

Comme Mike, Guy avait un gros lancer, mais surtout, un lancer qui était très précis. Je me souviens très bien d’eux, de cette facilité qu’ils avaient à pouvoir atteindre les coins du filet, peu importe où ils étaient sur la patinoire.

Rogatien Vachon

Il faut aussi préciser que lors des années de gloire de Guy Lafleur, surtout à partir du milieu des années 1970, Rogatien Vachon n’avait pas le luxe de défendre le filet d’une équipe très talentueuse, parce que les Kings de l’époque ne faisaient peur à personne.

À bien y penser, c’est sans doute ça que Rogatien Vachon retient de ses affrontements contre le célèbre numéro 10 : souvent, ça finissait mal pour lui et son équipe.

« Surtout qu’à l’époque, le Forum était le pire endroit de toute la ligue pour les visiteurs… C’était pas le fun de jouer là contre le club de Guy, surtout pendant les cinq premières minutes de la partie. On n’était pas capables de sortir de notre zone ! »

Aussi, Rogatien Vachon n’avait pas vu Guy Lafleur depuis une mèche, parce que sa vie à lui est ailleurs depuis un bout maintenant. Mais il ne va pas l’oublier pour autant. « Guy a été l’un des bons », dit-il en conclusion.