Nombreux sont les Québécois qui, en apprenant la disparition de Guy Lafleur, ont eu le sentiment de perdre un membre de leur famille. Quelqu’un qui était dans leur vie depuis toujours, ou presque.

Martin St-Louis fait partie de ce groupe. Né en 1975, il a grandi et commencé à jouer au hockey alors que Lafleur était au sommet de sa carrière – et de la LNH.

C’est donc à son « premier joueur favori », à son « premier héros », qu’il dit aujourd’hui au revoir.

Visiblement ému, il s’est adressé aux journalistes tout juste avant de partir pour Ottawa, où le Canadien affrontera les Sénateurs ce samedi.

L’admiration qu’il éprouvait pour Lafleur, tout petit, n’était pas seulement attribuable au fait que l’ailier droit était le joueur préféré de son père. « Il avait une présence, une image », rappelle-t-il. Quand il repense à son idole, il revoit « ses cheveux blonds qui flottaient au vent, quand tu le voyais patiner en zone neutre à 100 milles à l’heure et passer à l’offensive ».

« Il prenait la rondelle, et c’est comme s’il disait : je m’en vais compter un but, a poursuivi St-Louis. Il avait une telle autorité, une telle confiance… »

Dans le salon, chez nous, quand Guy s’élançait, on se levait. Quelque chose d’excitant allait arriver. C’était un superhéros.

Martin St-Louis, entraîneur-chef du Canadien

Martin St-Louis porte plusieurs regards sur le célèbre numéro 10. Celui du partisan, évidemment. Mais ceux aussi de l’homme et de l’entraîneur.

En 2014, lorsqu’il a perdu sa mère, St-Louis évoluait pour les Rangers de New York. Au moment de sa mort, son équipe s’apprêtait à affronter le Canadien en séries éliminatoires. Il n’en a pas moins été soufflé de voir Guy Lafleur et Réjean Houle assister aux funérailles. « Ç’a été très touchant pour moi, et tout spécialement pour mon père », raconte-t-il encore.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

En 2014, Guy Lafleur et Réjean Houle ont assisté aux funérailles de la mère de Martin St-Louis.

J’ai pu comprendre à quel point c’était une bonne personne, un bon être humain. Il y a des gens qui ont un impact sur toi sans avoir à faire grand-chose.

Martin St-Louis, à propos de la visite de Guy Lafleur aux funérailles de sa mère, en 2014

Sur la glace, Lafleur a toujours été connu comme un infatigable travailleur. Celui qui arrivait des heures avant les matchs, qui ne prenait jamais une soirée de congé.

Plus tôt cette semaine, le club a organisé une soirée afin que les nouveaux membres de la direction puissent rencontrer et côtoyer les anciens joueurs du club. Un moment de réflexion a été réservé au Démon blond, trop affaibli pour être présent. Et les conversations ont rapidement convergé vers sa carrière exceptionnelle.

« C’était un pro, un gars qui pouvait se fâcher de temps en temps, qui jouait avec beaucoup de passion, rappelle St-Louis. J’aime entendre ça, des anciens. Ils disaient que si Guy ne scorait pas, il allait frapper, il se fâchait. Et le lendemain, il arrivait de bonne heure avec le gardien Michel Larocque et lançait 200 rondelles avant la pratique. Il était tellement talentueux, mais ce n’est pas qu’une question de talent. Il avait de la drive. »

Avec Jean Béliveau et Maurice Richard, « Guy Lafleur, c’est le Canadien », a conclu l’entraîneur.

« Un grand honneur »

Sans surprise, c’est Brendan Gallagher qui s’est fait le porte-parole des joueurs pour réagir à la mort de Guy Lafleur.

Gallagher termine sa 10saison avec le Tricolore. Au-delà de sa longévité, il est sans l’ombre d’un doute celui du groupe actuel qui est le plus connecté avec les anciens, y compris Lafleur, qu’il a rencontré à de multiples reprises.

Dès qu’il a été repêché, en 2010, on lui a parlé de l’histoire de la franchise, de ceux qui étaient passés avant lui. « C’est une grande responsabilité, mais un énorme honneur », souligne-t-il à ce sujet.

Sur Lafleur, il indique avoir mesuré tout « l’impact qu’il a eu sur les partisans, ce qu’il signifiait pour eux, la joie qu’il leur donnait ».

« On est très fiers de porter ce logo, et c’est largement en raison de personnes comme Guy Lafleur », un homme qu’il se dit « honoré » d’avoir pu rencontrer et côtoyer pendant une décennie.

Au cours de leurs conversations, Gallagher essayait d’en savoir davantage sur la carrière de « Flower », mais il a surtout découvert un homme encore passionné par le hockey, lui-même curieux de prendre le pouls du vestiaire.

Avouant en riant être lui-même « peu choyé » sur le plan capillaire, le petit ailier du CH a mentionné que la tignasse blonde de Lafleur était la chose qui le frappait quand il voyait des faits saillants. « Il volait sur la glace », a-t-il résumé.

Un monument

Le témoignage le plus émotif est certainement venu de Geoff Molson, président et propriétaire du club.

Alors qu’il amorçait à peine son allocution, sa voix s’est brisée, et il a mis de longues secondes à retrouver son sang-froid. Les yeux rougis, il a évoqué l’« immense tristesse » que ressentait « la famille du Canadien » à la suite de la perte de ce « monument de l’histoire du sport au Québec ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Geoff Molson

Né en 1971, année où Lafleur a fait ses débuts dans la LNH, Molson a grandi avec la carrière de l’attaquant. C’est toutefois en 2009, lorsqu’il a acquis l’équipe, qu’il a pu faire connaissance avec le membre du Temple de la renommée. Il s’est d’ailleurs empressé de le rapatrier dans le giron de l’organisation en lui faisant signer un contrat de 10 ans comme ambassadeur du club. Il s’est ainsi rapproché d’une « personne formidable » dotée d’un « incroyable sens de l’humour » et impliquée avec passion dans tous les projets qu’on lui soumettait. Il a vu à l’œuvre un homme patient et attentionné avec les fans, qui l’ont admiré et suivi jusqu’à la fin de sa vie.

« Peu importe d’où on vient dans la province, on sent que le Canadien appartient aux Québécois. Lafleur incarne [ce phénomène] : peu importe où il allait, il représentait les gens qui aiment cette équipe. On ne voit pas ça dans beaucoup de villes en Amérique du Nord. »

Hughes, Gorton et… Bergevin !

Curieusement, Kent Hughes et Jeff Gorton, respectivement directeur général et vice-président aux opérations hockey du Canadien, n’ont réagi à la nouvelle qu’en soirée, alors que la mort de Lafleur a été dévoilée au petit matin. À 20 h 20, l’organisation a publié coup sur coup deux courtes déclarations attribuées aux gestionnaires. « Ayant moi-même grandi à Montréal, j’ai eu la chance d’être témoin des exploits du Démon blond dans ma jeunesse, et ce sont des souvenirs que je garderai avec moi pour toujours », écrit Hughes. « Guy était non seulement un joueur électrisant, mais il était d’abord et avant tout une personne de très grande qualité », a ajouté Gorton. Ces deux paragraphes ont fait suite à la diffusion, au cours de l’heure précédente, d’un communiqué des Kings de Los Angeles dans lequel l’ex-DG Marc Bergevin, aujourd’hui conseiller auprès du DG chez les Kings, exprimait en français et en anglais sa « grande tristesse » à la suite du décès de M. Lafleur. « C’est une partie de notre histoire qui s’éteint et qui part en souvenir », ajoutait-il.