Parce qu’il a vécu tantôt en Alabama, tantôt en Floride, tantôt dans la région de Toronto, Steve Shutt n’a pas nécessairement eu des tonnes d’occasions de voir Guy Lafleur ces dernières années.

Mais c’est un des derniers anciens coéquipiers que Lafleur a vus avant de nous quitter. C’était il y a deux semaines. « Guy paraissait très bien. C’est pour ça que j’ai été surpris ce matin », explique un Shutt très ému au bout du fil.

« Ma femme et moi avons réservé un chalet, pour août prochain, à Hudson. Quand j’ai été voir Guy, je lui ai dit : “On se verra là-bas.” Mais il n’a pas répondu, comme s’il savait qu’il n’allait pas y être. »

Ils ne se voyaient pas souvent, mais comme l’anecdote le révèle, c’est le type de relation où les deux hommes peuvent passer trois jours ou trois ans sans se voir, ça ne change rien.

« Tu n’as pas besoin d’être voisin pour être proche de quelqu’un », lance Shutt.

Il s’interrompt pour réprimer ses sanglots. « On est tous des membres d’une famille. C’est dur. T’as pas besoin de le voir si souvent. Tu sais ce qu’il fait, ce qu’il pense. On avait une relation très spéciale, très unique, et on a connu du succès. On a pu le faire devant plein de personnes qui nous regardaient jouer. »

Deux ailiers qui se retrouvent

« On a connu du succès. » Le terme est faible. Ils ont joué 12 saisons ensemble. Cinq fois, ça s’est terminé sur Sainte-Catherine, avec des chars allégoriques et un gros trophée.

En fait, Lafleur et Shutt ont formé le duo le plus prolifique de l’histoire du Canadien. Selon des données fournies par le service de statistiques de la LNH, Shutt a marqué 184 buts sur une passe de Lafleur. Personne au cours des quelque 110 ans de l’équipe n’a marqué autant de buts avec l’aide d’un même coéquipier.

Lafleur, lui, en a marqué 110 avec une passe de Shutt. C’est la cinquième combinaison de l’histoire.

« On avait vraiment des styles contraires, analyse Shutt. Il transportait la rondelle, et je finissais les jeux. On ne se pilait pas sur les pieds ! On avait chacun notre mission. Quand Guy patinait, personne ne me surveillait. Il savait que je m’en venais. C’était la clé. »

Il est par ailleurs plutôt rare de voir une telle cohésion entre deux ailiers. En général, les grands duos offensifs sont formés d’un centre et d’un ailier.

« Quand on jouait avec Pete [Mahovlich], c’était un trio purement offensif. Mais Jacques [Lemaire] était plus défensif. Il nous disait : “Allez attaquer et je vais rester derrière.” »

Steve Shutt aurait toutes les raisons de vanter les qualités de joueur offensif de Guy Lafleur. Après tout, l’Ontarien est 5e dans l’histoire du Canadien avec 408 buts, et 8e au chapitre des points avec 776. Une partie de ses succès tient à son association avec Lafleur.

Mais quand on lui demande ce qu’il retient de Lafleur comme coéquipier, il pense à la personne avant de penser au hockeyeur.

« Il était humble. C’était juste un homme très, très humble, et un bon gars », nous lance-t-il, de nouveau saisi par l’émotion.

« Toutes les vedettes au monde auraient dû avoir la chance de lui parler pour réaliser que même si tu es une superstar, tu peux être humble. Tu n’as pas besoin d’agir comme une grande vedette même si tu en es une. »