Si vous apercevez un type qui se promène à trottinette électrique avec un casque des Alouettes sur la tête dans l’est de Montréal, il s’agira probablement de Trevor Harris. Le quart partant des Als et sa famille habitent dans Hochelaga et c’est souvent de cette façon qu’il se rend au Stade olympique.

Lorsque Danny Maciocia a obtenu Harris dans une transaction avec les Elks d’Edmonton afin de pallier l’absence de Vernon Adams fils, blessé à un bras, il y a un peu plus d’un an, on s’attendait à tout sauf à rencontrer un chic type. Harris ne faisait pas — et ne fait toujours pas — l’unanimité.

Certains de ses adversaires trouvent qu’il n’est pas le plus brave. Les journalistes trouvent que ses réponses manquent d’authenticité. Les partisans ne sont pas convaincus qu’il soit capable de gagner le « gros » match. Un de ses anciens coéquipiers, Antoine Pruneau, l’a même déjà accusé de ne pas être un joueur d’équipe.

Bref, les rumeurs et sa réputation décrivaient un joueur égoïste qui se préoccupait davantage de ses statistiques que du succès de son club. Un joueur frileux, qui s’écrasait dans les moments chauds.

Ce portrait semble pour le moins exagéré. S’il est vrai qu’on a souvent l’impression que le quart de 36 ans nous sort la cassette en entrevue, il semble avoir à cœur la cause des Alouettes.

Comme on le serait tous, Harris a été frustré de voir qu’on remettait en doute ses qualités d’homme, à savoir qu’il n’était pas un bon coéquipier.

« Pruneau m’avait expliqué que c’était une tactique pour essayer de jouer dans ma tête, mais je lui ai dit que j’estimais qu’il avait traversé la ligne. Je sentais que c’était une attaque personnelle et qu’il remettait mes valeurs en doute. Mais si c’est vraiment ce qu’il croit, c’est dommage, car ça démontre que j’ai été incapable de le rejoindre. Ça m’a servi de leçon et j’essaie encore plus d’être un bon coéquipier depuis. »

La première chose qu’il faut savoir dans le cas de Harris, c’est qu’il est religieux. Très. Comme d’autres joueurs, dont Eugene Lewis, il amorce la plupart de ses entrevues en remerciant Dieu. Il a gagné une Coupe Grey avec les Argonauts de Toronto en 2012 et une avec le Rouge et Noir d’Ottawa en 2016, mais dans des rôles de réserviste. Lorsqu’on lui demande s’il sentait le besoin de remporter un championnat à titre de partant pour pouvoir dire mission accomplie, il a énuméré ses priorités.

« Je n’ai jamais eu la mentalité que je devais remporter un championnat à un niveau individuel. Lorsque je me réveille le matin, la première chose que je fais, c’est glorifier Jésus-Christ. Ensuite, je veux rendre ma famille fière, puis je veux m’assurer que mes coéquipiers ne doutent pas que je fais tout en mon pouvoir pour nous donner les meilleures chances de gagner. »

Allez savoir si c’est en raison des critiques qu’il a dû essuyer, mais Harris parle de ses coéquipiers dans presque toutes ses réponses.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Trevor Harris

C’est ce qui me pousse à continuer de jouer, l’amour que j’ai pour mes coéquipiers. Ce n’est pas pour atteindre des objectifs individuels.

Trevor Harris

« Lorsque j’aurai 60 ou 65 ans, peut-être que je regretterai de ne pas avoir gagné une Coupe [comme partant], si cela s’avère. Mais pour le moment, je ne pense pas de cette façon, car le football est le sport d’équipe par excellence.

« J’aime mes coéquipiers. Beaucoup de joueurs disent la même chose, mais j’essaie de le démontrer en m’assurant que tout se déroule bien pour eux. Ce que j’aime le plus au football, c’est qu’il faut sacrifier énormément pour faire partie de quelque chose qui est beaucoup plus grand que soi-même. »

Prêt à souffrir

Dimanche après-midi, Harris aura l’occasion de mener les Alouettes à leur première victoire depuis 2014 dans un match éliminatoire. Contre l’équipe et la défense qui lui avaient fait perdre le ballon trois fois dans la demi-finale de l’Est de l’année dernière, les Tiger-Cats de Hamilton.

Une défaite de 23-12 qui avait donné des arguments à ceux qui sont d’avis que Harris flanche dans les matchs importants.

Or, c’est ce même Harris qui avait tronçonné la défense des Alouettes au premier tour des éliminatoires il y a trois ans pour permettre aux Elks de l’emporter au stade Percival-Molson. Le monsieur avait fait mouche à ses 19 premières tentatives de passe et avait complété un ahurissant total de 92,3 % de ses lancers (34 en 37) pour 421 verges.

En 2018, c’est dans l’uniforme du Rouge et Noir que Harris avait été éblouissant. En finale de l’Est, il avait réussi 29 de ses 32 passes et lancé 6 passes de touchés. Six !

Pour l’empêcher de connaître un après-midi similaire, dimanche, comptez sur les Tiger-Cats pour le frapper solidement dès que l’occasion se présentera. Harris soutient toutefois qu’il ne bronchera pas.

J’ai encaissé quantité de plaqués depuis que je joue, et c’est ce que je vais continuer de faire. C’est le football, on doit accepter de souffrir le lendemain matin.

Trevor Harris

« Ce sera un match très robuste et on sera prêts à se battre jusqu’à la toute fin. »

Adepte de la méthode Brady

Lorsque Harris sort au restaurant, c’est généralement pour manger du sushi. Il fait appel à des spécialistes pour optimiser sa forme mentale et physique, surveille étroitement la qualité de son alimentation et de son sommeil et est même un adepte de la fameuse méthode de Tom Brady, le TB12. Il a d’ailleurs participé à des évènements du TB12 à Foxborough, mais n’a jamais rencontré Brady. « J’adorerais passer du temps avec lui, il est une inspiration. »

Comme Brady, Harris a déjà dit qu’il espérait jouer longtemps, mais réévaluera sa situation chaque hiver.

« Je pense qu’il a encore quelques bonnes saisons devant lui, mais au stade où il est rendu dans sa carrière, les prochains matchs seront très importants pour lui. Il se sent bien et je suis convaincu qu’il va livrer la marchandise », a dit Maciocia cette semaine.

C’est tout un leader et nos joueurs aiment jouer avec lui.

Danny Maciocia, directeur général et entraîneur-chef par intérim

Ce qui est indéniable, c’est que Harris a apporté de la stabilité au poste de quart après des feux de paille (Tanner Marsh et Antonio Pipkin), des déceptions (Troy Smith et Johnny Manziel), du gaspillage de talent (Rakeem Cato) et les hauts et les bas de Vernon Adams fils.

Qu’on l’aime ou pas, Harris est un bon quart-arrière et un excellent passeur. Quant à l’individu, certains l’aiment beaucoup, d’autres un peu moins. Au bout du compte, ça dépend si on juge que ses paroles sont authentiques ou non.

« Tout le monde a droit à son opinion et personne ne fait l’unanimité. Certaines personnes nous apprécient et d’autres non », a lui-même philosophé Harris.

« Ultimement, ce que je souhaite, c’est voir mes coéquipiers boire dans la Coupe. Je veux voir mon fils manger un bol de céréales dans la Coupe. Je veux voir Danny Maciocia la soulever au-dessus de sa tête. C’est pour ça que je joue, ce n’est pas pour prouver quoi que ce soit. »