Dans le milieu de la Formule 1, personne n'est surpris de la suppression du Grand Prix du Canada. Et ses chances de revenir au calendrier semblent extrêmement minces.

Bernie Ecclestone n'a jamais été réputé pour son sentimentalisme. Mais, depuis qu'il a vendu sa société à un groupe d'investissement, CVC Capital Partners, il n'en est plus que l'employé. Il doit rendre des comptes à ses actionnaires, et il cherche à maximiser les bénéfices annuels avec encore moins de scrupules que par le passé.

Avec la prise de contrôle de CVC, les derniers restes de romantisme sont définitivement disparus de la gestion de la F1. Désormais, seuls comptent la gloire et les euros.

Dans ce contexte, personne, dans les paddocks, n'a été franchement surpris de l'annonce d'hier. Car plusieurs facteurs s'étaient conjugués pour menacer le Grand Prix du Canada.

À commencer par l'apparition d'Abou Dhabi au calendrier 2009. De 18 épreuves, la saison passait à 19 courses. Un détail apparemment anodin, mais qui ne l'était pas tant, car le contrat négocié entre Bernie Ecclestone et les écuries (les fameux «accords Concorde») prévoient un maximum de 18 Grands Prix par saison. L'apparition d'Abou Dhabi obligeait ainsi le Britannique à dédommager les écuries pour ce déplacement supplémentaire. Ces dernières semaines, Flavio Briatore, le responsable commercial de la nouvelle FOTÀ (la Formula One Teams Association, l'association des écuries de F1) avait publiquement expliqué son différend avec Ecclestone quant au montant du dédommagement exigé pour ce 19e Grand Prix.

Pour le grand manitou de la F1, il était finalement plus simple de supprimer le Grand Prix du Canada du calendrier, et plus logique de s'attaquer à celui qui lui versait le montant le plus faible et dont le contrat était résiliable.

Ecclestone l'avait expliqué à La Presse, dans une entrevue donnée à Monaco, l'an dernier: de toute la saison, c'est le Grand Prix du Canada qui verse le plus petit montant pour faire venir la F1. La rumeur veut que Montréal, en 2008, ait ainsi déboursé 12 millions (environ 8 millions d'euros), soit moins du quart des 35 millions d'euros consentis par Singapour et Valence.

CVC Capital Partners n'ayant d'autre but que de maximiser le bénéfice annuel de la F1, il était devenu évident, depuis plusieurs mois, que le Grand Prix du Canada était dans le collimateur d'Ecclestone. Sans compter que le Britannique montrait aussi du doigt la vétusté des installations du circuit de l'île Notre-Dame. «Montréal donne le mauvais exemple», avait-il confié à La Presse en 2007. En juin dernier, il en rajoutait une couche: «Je ne vois vraiment pas pourquoi la ville ne devrait pas disposer d'installations à la hauteur de Singapour ou de Shanghai. Je ne comprends pas les raisons qui font que nos amis, là-bas, ne consentent pas de petits efforts.»

Il est vrai que le circuit de Montréal fait désormais pâle figure au regard des dernières extravagances du calibre de Singapour (avec sa course de nuit) ou d'Abou Dhabi (dont la piste passe en partie sous l'eau, dans un tunnel de verre).

Montréal a bien essayé d'améliorer ses installations cette année, en investissant dans une nouvelle salle de presse (sous une tente!) et en refaisant l'asphalte de la piste. Hélas, c'était une mauvaise idée, le revêtement ayant commencé à s'effriter dès le premier jour des essais du Grand Prix 2008. Pour sauver la course, il a fallu faire appel à des solutions d'urgence qui n'ont pas redoré l'image du Grand Prix du Canada.

À Montréal, plusieurs observateurs supputaient que la Formule 1 ne pouvait se passer d'au moins une épreuve en Amérique du Nord. Encore un voeu pieux. Si Ecclestone avait réussi à rayer le Grand Prix des États-Unis du calendrier - à l'encontre du souhait des écuries -, il n'allait naturellement pas hésiter à faire de même pour le Canada.

Il n'empêche que c'est peut-être des écuries que pourrait venir le salut. Leurs patrons ont souvent répété leur intérêt pour le continent nord-américain, un marché essentiel pour des marques présentes en F1 comme Toyota, BMW, Mercedes ou Honda. «Je déplore réellement la suppression du Grand Prix des États-Unis, tonnait ainsi Nick Fry, le patron de l'écurie Honda, au début de la saison. Si cela ne tenait qu'à moi, nous n'aurions pas qu'une seule, mais deux ou trois épreuves là-bas.»

Il faudra néanmoins davantage que l'avis des écuries - qui ne disposent d'aucun réel moyen de pression sur Bernie Ecclestone - ou que les regrets sincères des pilotes - tous adoraient se balader dans le centre de Montréal - pour redonner vie au Grand Prix du Canada.

Tant sur le plan financier que sur celui de l'architecture de ses installations, l'épreuve de l'île Notre-Dame semble appartenir à un autre âge de la Formule 1, celui ou le sport et la passion avaient encore un sens.

En 2009, la F1 poursuivra sa route vers le spectacle, les courses de nuit, les circuits urbains ou ceux sortis du désert. New Delhi, Séoul et Moscou comptent parmi les projets de Bernie Ecclestone, tandis qu'il ne voit plus Montréal que dans son rétroviseur. Qui pourrait inverser le cours de l'histoire?