Début de course. Entre Michael Schumacher, en tête depuis le troisième tour, et Fernando Alonso, derrière lui, l'écart semble coincé entre cinq et six secondes, quelles que soient les tentatives des deux pilotes pour l'augmenter ou le réduire.

Début de course. Entre Michael Schumacher, en tête depuis le troisième tour, et Fernando Alonso, derrière lui, l'écart semble coincé entre cinq et six secondes, quelles que soient les tentatives des deux pilotes pour l'augmenter ou le réduire.

Les duellistes se sont lancés dans une course-poursuite sans retenue, sans compromission, et sans pitié pour leur machine. Le moindre dixième gagné ou perdu, au moment de doubler des attardés, s'assimile à un drame épouvantable. Dans les garages Ferrari ou Renault, il ne reste plus un seul ongle à ronger.

C'est alors que la course, et le championnat, basculent. En une fraction de seconde. Au 37e tour, sans prévenir, le moteur de Michael Schumacher casse dans un nuage de fumée blanche.

Chez Ferrari, une chape de tristesse s'abat sur le stand. Les efforts de longs mois de travail viennent de s'envoler avec les volutes du V8 italien.

Qu'a-t-il bien pu se passer, au 37e tour, au coeur du bloc de la Ferrari numéro 5? Pourquoi un moteur de F1 casse-t-il? «Il ne faut pas oublier que les Formule 1 sont des prototypes, avance Michael Schumacher. Ce genre d'événements arrive. C'est la course.»

Plus scientifique, Denis Chevrier, le patron de l'exploitation moteur chez Renault, raconte les contraintes subies par un V8 de F1: «Suzuka s'avère très dur pour les moteurs, surtout cette année, avec les V8, plaide le Français. Sur ce circuit, la pédale d'accélérateur est à fond sur plus de 65 % de la longueur. Ici, les moteurs n'ont que peu de freinages pour souffler.»

Du coup, les ingénieurs doivent réduire d'autant les régimes de fonctionnement, pour ne pas pénétrer dans une zone à risque. «Nous définissons une plage de régimes dans laquelle nous nous tenons sur chaque circuit, précise Denis Chevrier. Je pense que, tout comme nous, les Ferrari étaient au maximum de leur potentiel moteur, mais je suis certain qu'ils n'ont pris aucun risque. Ils devaient être dans leur plage de fiabilité lorsqu'ils ont cassé.»

En plein effort, le pilote peut augmenter ou réduire la puissance de son moteur. Histoire de le solliciter davantage pour doubler un adversaire, ou de l'épargner lorsque tout danger est écarté. Chez Renault, les pilotes disposent ainsi d'une mollette à cinq positions, les pilotes devant rester normalement en position 2.

Lorsqu'un moteur tourne, un ordinateur enregistre une trentaine de paramètres dans une boîte noire, ce qui permet de retracer la casse lorsqu'elle se produit. Et de la voir venir pendant les essais.

Car les V8, avant d'être montés dans des châssis, parcourent l'équivalent de milliers de kilomètres au banc- un système qui permet à un opérateur de simuler des Grands Prix entiers, avec passages de vitesses et bosses de la piste.

Des essais qui n'empêchent pas des casses de se produire: «Plusieurs raisons peuvent entraîner la casse. Cela peut venir des soupapes, des pistons, des bielles, des vilebrequins, poursuit Chevrier. Si la distribution par pignons ne fonctionne plus, on casse tout. Si les bielles éventrent le carter, on casse tout. Si les soupapes traversent les pistons, on casse tout... à chaque fois, des pièces éventrent les chemises, ce qui laisse passer l'huile...» D'où la fumée blanche, typique et tant redoutée.

Quand ça casse, le moteur est complètement ravagé, et il n'y a guère de leçon à tirer de son examen. Reste la boîte noire: «À chaque casse, on surveille tous les paramètres mesurés. On traque leurs dérives juste avant l'explosion, et on peut généralement en déterminer l'origine.» Afin d'en corriger les causes pour le Grand Prix suivant. Chez Renault, Fernando Alonso avait cassé son V8 à Monza. La semaine suivante, l'équipe d'essais s'est ingéniée à traquer la panne. Avec succès.

«Pour chaque pièce du moteur (et il y en a plus de 3000, ndlr), nous calculons un risque de casse. En assemblant le bloc, on obtient une sorte «d'enveloppe globale de fiabilité», limitée à sa pièce la moins résistante. Quand on modifie le moteur, on définit ainsi le nouveau régime qu'il peut tolérer, par exemple 250 tours/minute de plus. Ces calculs restent très empiriques. Il faut de l'expérience. Surtout que lorsqu'on augmente le régime, les efforts sur les pièces croissent de manière exponentielle.»

Les archives de la F1 ont rappelé que le moteur Ferrari de Michael Schumacher n'avait plus cassé depuis le Grand Prix de France 2000. Les casses, c'était toujours pour son coéquipier, qu'il se nomme Rubens Barrichello ou Felipe Massa. Ce qui finissait par constituer un véritable défi à toutes les lois de probabilité.

La casse du 37e tour a donc simplement rappelé que Michael Schumacher ne saurait échapper aux statistiques, tout septuple champion et futur retraité qu'il est. Cette casse est simplement survenue à un très mauvais moment.